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Des scientifiques pensent avoir résolu le mystère de la « machine d'Anticythère »

Le premier ordinateur analogique connu au monde est d’une complexité étonnante.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
machine d'Anticythère
Images : Wikimedia (à gauche), © 2020 Tony Freeth (à droite) 

Au printemps 1900, des pêcheurs d’éponges ont découvert l’épave d’un navire romain chargé d’objets divers au large d'Antikythera, une île grecque de la mer Égée. Parmi ces objets se trouvait la « machine d'Anticythère », un calculateur astronomique hautement sophistiqué datant d’il y a plus de 2 000 ans. Depuis sa récupération en 1901, des générations de chercheurs se sont émerveillées devant sa complexité étonnante et son mécanisme impénétrable, ce qui lui a valu la réputation de premier ordinateur analogique connu au monde.

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Grâce à un enchevêtrement très complexe d'engrenages, la machine permettait d’indiquer les mouvements des planètes et du Soleil, les phases du calendrier lunaire, la position des constellations, et même l’heure des événements sportifs comme les Jeux olympiques antiques. Le dispositif reflétait également une conception ancienne du cosmos, avec la Terre en son centre. 

Alors que certains des mystères du calculateur ont été résolus au cours du siècle dernier, une équipe de scientifiques de l'University College London (UCL) présente, pour la première fois, « un nouveau modèle radical qui correspond à toutes les données et aboutit à une élégante représentation du cosmos de la Grèce antique », selon une nouvelle étude publiée dans Scientific Reports.

« Nos travaux révèlent que le mécanisme d’Anticythère provient d’une magnifique conception, dont la superbe ingénierie se traduit en un dispositif de génie. Il remet en question toutes nos idées préconçues sur les capacités technologiques des Grecs anciens », écrivent les auteurs. 

« C'est un appareil extraordinaire », dit Adam Wojcik, scientifique spécialiste des matériaux à l'UCL et coauteur de l'étude, qui se dit fasciné par cet artefact depuis son enfance. « Il est tout simplement hors du commun, compte tenu de ce que nous savons, ou savions, au sujet de la technologie dans la Grèce antique. Il est unique et il n'y a rien d'autre, au cours des siècles ou même des millénaires suivants, qui s'en rapproche de près ou de loin. »

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Les chercheurs se sont longtemps interrogés sur le fonctionnement de l'appareil, dont 82 fragments ont été conservés. Il s'agit notamment de mécanismes d'engrenage complexes et d'inscriptions qui n'ont pu être observées que grâce à la technologie moderne. Les images de surface et les scans tomographiques ont notamment révélé des données mathématiques qui correspondent à une sorte de mode d'emploi du mécanisme ; des avancées qui ont été décrites dans une autre étude publiée en 2006.

Aujourd'hui, l'équipe pense avoir trouvé les pièces manquantes du puzzle : les rouages complexes situés à l’avant de l’appareil. Pratiquement aucun élément de cette face n'a survécu et « aucune reconstitution antérieure n'a pu inclure toutes les données », indique l'étude, qui fait la synthèse des recherches précédentes. Elle aborde également les nombreux détails et nuances problématiques qui ont été ignorés jusque-là, explique Wojcik.

Les inscriptions décrites dans l'étude de 2006 suggèrent que la représentation du cosmos manquante sur la face avant était un réseau mobile d'anneaux retraçant les trajectoires de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne, ainsi que la course du soleil, les phases de la Lune, et les positions des constellations. En plus d'étudier ces inscriptions en détail, l'équipe a créé des simulations informatiques et des répliques partielles de l'appareil pour tester son nouveau modèle.

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L'un des indices les plus cruciaux est apparu lors d'une analyse menée en 2016 qui a révélé des inscriptions sur l'avant, dont deux valeurs : 462 et 442, respectivement associées à Vénus et Saturne. L'équipe de recherche a pu expliquer la provenance de ces chiffres en utilisant une méthode mathématique du philosophe grec Parménide : elles concernent le temps que mettent les planètes, vues de la Terre, pour revenir à leur position initiale supposée. 

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Le modèle des engrenages de la machine d’Anticythère. Image : 2020 Tony Freeth

À l’époque de la Grèce antique, on croyait que la Terre était au centre du système solaire. Ce parti pris a nécessité l'invention de modèles complexes pour rendre compte du mouvement rétrograde des planètes : un phénomène dans lequel les planètes semblent reculer vers l'arrière. Cet effet est une illusion d'optique qui se produit lorsqu'une planète se déplaçant plus rapidement dépasse sa voisine plus lente dans son orbite autour du Soleil.

La découverte de ces cycles pour Vénus et Saturne a permis à l'équipe de concevoir un système d'engrenages qui reproduit le mouvement planétaire décrit dans les inscriptions, y compris le mouvement rétrograde. Pour une seule planète, ce serait encore relativement simple, mais pour représenter de cette manière les cinq planètes connues à l'époque, il fallait de grandes compétences en ingénierie. 

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« Si l'on veut représenter toutes les planètes, il faut que toutes leurs positions soient correctes, explique Wojcik. Lorsque vous tournez la manivelle sur le côté du mécanisme, toutes ces petites planètes se mettent en mouvement, comme un mécanisme d'horlogerie dans cette sorte de mini-planétarium. De temps en temps, l'une d'entre elles recule, puis avance à nouveau. Ensuite, une autre plus loin commence à reculer à son tour. Mais quel que soit le moment où vous arrêtez le mécanisme, il vous donnera une reproduction fidèle de l'image céleste, car c'est là tout l'intérêt de l'appareil. »

Pour créer cet effet dans son modèle, l'équipe a déduit les cycles des autres planètes à partir des données concernant Vénus et Saturne et a conçu un système élaboré d'engrenages pour les reproduire. Mais même si ce nouveau modèle permet de reconstituer ce puzzle étrange mieux que tous les précédents, cela ne signifie pas que tous les mystères entourant le mécanisme sont résolus, loin de là.

L’équipe espère maintenant recréer l'ensemble du dispositif en utilisant la technologie des Grecs anciens. « Il est remarquable de constater la précision et le sens artistique que cela requiert », conclut Adam Wojcik.

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