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Le virus Zika ravive le débat sur l'avortement au Brésil

Des militants tentent de faire modifier la législation sur l’avortement dans le contexte de l’épidémie de microcéphalie au Brésil.

Des nourrissons en habit de carnaval, affectés d'une microcéphalie visible, sont tenus dans les bras de leur mère à l'occasion du carnaval organisée dans un établissement de santé le 4 février 2016 à Recife, dans l'état du Pernambuco au Brésil. Photo: Mario Tama/Getty Images

On recommande aux femmes brésiliennes, ainsi qu'aux femmes résidant dans les pays affectés par l'épidémie du virus Zika, de ne pas tomber enceintes dans les prochains mois. Le but est de prémunir un futur enfant contre la microcéphalie, une malformation congénitale qui provoque le développement d'une tête de taille très inférieure à la normale.

Le lien entre le virus Zika et la microcéphalie n'a pas encore été confirmé, mais la corrélation est suffisamment forte pour provoquer l'inquiétude des autorités de santé. Comme on pouvait s'y attendre, le risque de mettre au monde un enfant microcéphale cumulé à l'incertitude sur l'origine de l'épidémie a semé la panique chez les femmes brésiliennes.

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En l'absence de directives claires en manière de planification familiale et d'utilisation de méthodes contraceptives, le vieux débat sur légalisation de l'avortement dans le pays a brusquement été ranimé.

Modifier la loi

L'avortement est considéré comme un crime dans le code pénal brésilien, à trois exceptions près : la grossesse provoquée par un viol, la mise en danger de la vie la mère, ou le diagnostic d'anencéphalie (lorsque la plus grande partie du cerveau de l'enfant est absente).

Avec l'augmentation de la prévalence de la microcéphalie en relation avec le virus Zika, les femmes enceintes sont à la recherche de procédures d'avortement légales, selon le quotidien Folha de São Paulo. Dans le même temps, le journal Estadão rapporte que des femmes de Pernambuco abandonnent leur partenaire une fois qu'on leur a annoncé le diagnostic de microcéphalie.

À présent un groupe de militants s'est organisé pour demander à la Court Fédérale Suprême (STF) de modifier la loi qui criminalise l'avortement au Brésil.

« Notre plan d'action ne se limite pas à réengager le débat sur l'avortement, mais aussi à encourager une politique sociale orientée vers les femmes et les nouveau-nés, » explique Débora Diniz, l'anthropologue à l'origine de la pétition.

Le projet réclame une protection et une assistance sociale pour les femmes qui choisissent de ne pas avorter, précise Diniz, qui considère que l'épidémie Zika révèle la négligence de l'État en matière de contrôle de la propagation des moustiques. (En d'autres termes, la pétition considère que le gouvernement a la pleine responsabilité de ce qui arrive, parce qu'il n'a pas agi à temps.)

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Les avortements clandestins

Au Brésil, indépendamment de l'épidémie de Zika, le problème de l'avortement est très pressant. On estime que plus d'un million d'avortements illégaux sont réalisés chaque année dans le pays. Le Groupe de recherche nationale sur l'avortement (PNA) montre qu'au moins une femme sur cinq a déjà eu recours à un avortement.

À São Paulo, les avortements clandestins réalisés par un médecin en clinique, dans des conditions décentes, coûtent de 750 à 3700 dollars. Une autre option consiste à utiliser des médicaments abortifs comme le misoprostol, plus connu sous le nom de cytotec, dont la vente est, elle aussi, illégale.

« Les femmes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir un avortement, tout le monde le sait ; quand elles n'ont pas accès à une solution sans risque, elles prendront la solution qui les met en danger. Hélas, certaines en meurent. »

Le principal problème est que les femmes n'ont pas accès à un système de soin de qualité. Les avortements, qui sont pour la plupart exécutés de manière expéditive, sont la 5ème cause de mortalité chez les mères dans le monde, selon l'OMS. Ils sont également cause d'emprisonnements de trois ans chez les brésiliennes.

Certains médecins brésiliens voient dans l'épidémie Zika une occasion de légaliser enfin l'avortement au Brésil, ou du moins, à défaut, de l'autoriser pour les cas de microcéphalie.

« Ce n'est pas la responsabilité de la femme enceinte, ce n'est pas juste de lui faire porter le poids des conséquences de ce qui lui arrive, » déplore le Dr. Thomaz Gollop, professeur de génétique à l'école de médecine de l'Université de São Paulo.

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Une autorisation de la cour de justice ne signifierait pas pour autant que toutes les femmes seraient encouragées à interrompre leur grossesse, dit-il. « Nous pensons qu'elles devraient être en mesure de choisir librement si elles veulent avorter ou non, d'autant plus que ces enfants ont des malformations sévères que l'on ne sait pas soigner. »

Le soutien aux femmes brésiliennes est venu, en premier lieu, de l'étranger. L'organisation caritative néerlandaise Women on Web a d'abord organisé la distribution de mifépristone et de pilules de misoprostol, qui combinés, permettent d'induire un avortement.

En plus de la solution médicamenteuse, l'organisation a envoyé des brochures pourvoyant des informations sur la procédure et sur les effets secondaires qui y sont associés.

Dans les années précédentes, les autorités brésiliennes avaient retenu ce genre de livraisons à la douane. Le groupe espère que, cette fois, dans le contexte de l'épidémie Zika et des craintes liées à la prévalence de la microcéphalie, les autorités laisseront passer les paquets remplis de médicaments abortifs.

« Nous espérons que l'urgence en matière de santé publique découragera les autorités brésiliennes de se saisir des paquets, qu'elles réaliseront à quel point cette option est importante pour les femmes qui n'ont pas accès à des procédures d'avortement décentes, » explique le Dr. Rebecca Gomperts, fondatrice de Women on Web. « Les femmes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir un avortement, tout le monde le sait ; quand elles n'ont pas accès à une solution sans risques, elles prendront la solution qui les met en danger. Hélas, certaines en meurent. Pour rien. »

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Pro-vie VS pro-choix : un vieux débat

Le débat est finalement classique, et tout à fait fondamental. Le droit à l'avortement anime tous les débats politiques et les décisions électorales au Brésil.

Simone Tavares, mère à plein-temps de deux athlètes handisport, a lancé une campagne contre l'avortement en cas de microcéphalie au sein de l'état de Mato Grosso.

« Je défends le droit, pour les femmes, de décider ce qu'elles doivent faire de leur corps ; mais désormais, je vois la situation à travers les yeux d'une mère, » explique-t-elle. « Je suis convaincue que tout le monde a le droit de naître, que tout le monde a une mission sur Terre et doit recevoir de la compassion, quel que soit son handicap. »

La journaliste brésilienne Ana Carolina Caceres, qui est née avec une microcéphalie, a récemment écrit une tribune pour BBC News dans laquelle elle qualifie l'avortement de « solution à court terme » ; elle pense également que la campagne qui promeut la légalisation de l'avortement dans les cas de microcéphalie est particulièrement blessante.

Cependant, la microcéphalie liée au Zika reste très insidieuse. Une étude récente réalisée au Brésil montre une corrélation entre des lésions cérébrales extrêmement graves chez les nouveau-nés microcéphales, et les grossesses de mères contaminées par le virus Zika, surtout si l'infection a eu lieu pendant le premier trimestre de la grossesse.

On sait très bien que l'abstinence est une consigne très difficile à suivre dans les faits.

La microcéphalie causée, a priori, par le virus Zika, est très différente des formes isolées de microcéphalie dues à d'autres infections ou à des causes génétiques, explique le Dr Gollop. Selon lui, la microcéphalie associée au Zika est plus grave, car elle provoque des lésions du système nerveux central.

« Les formes de microcéphalie que nous observons actuellement dans le pays ne sont pas du tout typiques ; en outre, elles sont beaucoup plus sévères et accompagnées de graves lésions cérébrales, » explique-t-il. « Les enfants affectés par la microcéphalie d'ordinaire, c'est-à-dire à partir d'une cause non virale, sont très différents. »

Thomaz explique que les lésions du système nerveux central se forment au moment où le virus traverse le placenta, provoquant une encéphalite (une grave inflammation du cerveau). Cela a des conséquences très graves : l'enfant peut naître sourd, non-voyant, et avoir un handicap mental. « Ces enfants commencent très mal dans la vie, » conclue-t-il.

Depuis que l'OMS a déclaré l'état d'urgence en ce qui concerne l'épidémie de Zika et la prévalence de la microcéphalie, le 1er février, les autorités de santé des pays concernés ont tenté d'orienter l'action vers le planning familial. Le Salvador conseille aux femmes de reporter leur projet de grossesse à 2018 au moins. Mais l'abstinence n'est qu'un aspect du planning familial dans la région. On sait très bien qu'elle est très difficile à suivre dans les faits. Hélas, pour le moment, les brésiliennes qui craignent la microcéphalie n'ont pas d'autre option sous la main.

Cet article est d'abord paru en portugais sur Motherboard Brésil.