De "Blade Runner" à "Westworld" : les robots doivent-ils nous ressembler ?

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De "Blade Runner" à "Westworld" : les robots doivent-ils nous ressembler ?

Les robots humanoïdes sont souvent terrifiants, et posent de nombreux problèmes sur le plan de la sécurité et de l'éthique. Alors pourquoi nous entêtons-nous à en fabriquer ?

Que diriez-vous de disposer d'un double virtuel, une intelligence artificielle éthérée capable de parler exactement comme vous, de reproduire votre manière de vous exprimer, vos tics de langage, d'adopter vos réflexions et votre attitude par rapport à l'existence, au point que même vos proches se laisseraient berner ? Certains futuristes chevronnés trouveront sans doute l'idée excitante, d'autres seront terrifiés ou révoltés. L'idée semble d'ailleurs tirée du scénario d'une nouvelle série de science-fiction dystopique. Pourtant, il n'en est rien : il s'agit au contraire d'un projet très sérieux, baptisé Replika, actuellement en phase d'incubation à San Francisco. Créé par l'équipe d'ingénieurs déjà à l'origine de la start-up Luka, qui propose un chatbot spécialisé - entre autres - dans la recommandation de restaurants, il est inspiré par l'histoire personnelle d'Eugenia Kyuda, cofondatrice de Luka. Après avoir perdu son meilleur ami, Roman Mazurenko, dans un accident de voiture, celle-ci a mis au point une intelligence artificielle capable de s'exprimer comme lui. Elle souhaitait ainsi lui parler une dernière fois, lui dire adieu afin de faire plus facilement son deuil. Replika n'est cependant pas uniquement un monument virtuel destiné à laisser une trace de l'utilisateur après son décès : il est aussi conçu comme une sorte de secrétaire personnel, un double capable de gérer certaines tâches fastidieuses à notre place.

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De la charrue aux androïdes

L'essor de l'intelligence artificielle constitue une nouvelle étape du lent processus d'automatisation croissante, à l'oeuvre de longue date dans les sociétés humaines. Intelligence artificielle et robotique nous permettent d'automatiser un certain nombre de tâches simples, afin de soulager le travail des hommes, comme l'ont auparavant permis la charrue, le métier à tisser et l'automobile. Mais comme l'illustre l'exemple de Replika, l'intelligence artificielle ne se cantonne pas à cela. Il existe une seconde tendance à l'oeuvre, qui touche au mythe prométhéen, et vise à créer des êtres factices ayant les caractéristiques physiques et mentales de l'homme. On voit d'une part se développer des robots anthropomorphiques de plus en plus ressemblants, et d'autre part des intelligences conversationnelles éthérées capables de converser comme des humains. À l'avenir, il n'est pas impossible que les deux tendances fusionnent pour donner naissance à des humanoïdes ultra-réalistes, à l'image de ceux dépeints par la série Westworld. Dans cette optique, Ray Kurzweil, star du courant futuriste américain, a rassemblé un maximum de données sur son père (photographies, lettres disques, films et même factures d'électricité), mort il y a une cinquantaine d'années, dans l'espoir de lui redonner vie lorsque ce moment viendra.

Dans la catégorie robots anthropomorphiques, les créations ultra-réalistes du professeur Hiroshi Ishiguro ont fait le tour de la toile : ce scientifique japonais conçoit des robots à l'apparence humaine, avec l'accent mis sur les expressions faciales. Le professeur a poussé le vice jusqu'à concevoir un double de lui-même, qu'il assoit à ses côtés lorsqu'il donne des conférences. David Levy, champion d'échecs et ingénieur informatique spécialisé dans l'intelligence artificielle, imagine de son côté, dans son livre Love and sex with robots, un futur pas si éloigné où (accrochez-vous) des robots sexuels seront conçus à l'image des célébrités (avec l'accord de celles-ci et moyennant gracieuse rémunération), permettant ainsi aux fans les plus chevronnés d'assouvir leurs fantasmes. « On peut très bien imaginer des gens dire "J'ai un robot sexuel qui ressemble à Angelina Jolie et elle est merveilleuse au lit !" » prédit-il.

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Hiroshi Ishiguro et son double (ou l'inverse ?). Image : Iroshi Ishiguro

Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?

Si la coquille devient de plus en plus réaliste, le cerveau n'est pas en reste. Des chercheurs de l'University College London ont ainsi mis au point un système permettant aux robots d'écrire comme des humains. Baptisé My Text In Your Handwriting, il consiste en une intelligence artificielle capable de copier n'importe quelle écriture cursive et de la reproduire fidèlement. L'ordinateur peut retranscrire l'ensemble des détails qui rendent chaque écriture unique : la manière de former les lettres, de les lier entre elles, leur taille… tout en intégrant une part d'incertitude et de variations pour que l'écriture restituée ne semble pas trop parfaite.

Si l'intelligence artificielle peut désormais tenir un stylo plume, elle sera aussi bientôt capable de rêver. Dans un épisode de la série Westworld, lorsqu'on lui demande si les robots humanoïdes conçus par son entreprise rêvent, une ingénieur informatique répond qu'il n'y aurait aucun intérêt à les envoyer dans les bras de Morphée. Ce n'est pourtant pas si sûr : les rêves permettent en effet de consolider la mémoire. Or, l'apprentissage non supervisé, méthode la plus prometteuse pour construire des intelligences artificielles de niveau humain, repose sur l'expérimentation, l'échec et l'adaptation. Les machines doivent essayer, échouer et apprendre de leurs erreurs pour s'améliorer. Le projet peut paraître délirant, il est pourtant mis en oeuvre par Google DeepMind, succursale de Google à l'origine du programme AlphaGo, qui a permis de battre l'un des meilleurs joueurs de go au monde. Nous ne savons en revanche pas encore si les androïdes de DeepMind rêvent de moutons électriques.

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L'intelligence artificielle devient également capable de battre les humains à des jeux conçus par ces derniers, dont les règles complexes ont longtemps laissé à penser qu'ils demeureraient inaccessibles aux machines. Nous parlions à l'instant d'AlphaGo. Auparavant, Watson, le superordinateur d'IBM, s'est illustré en 2011 au jeu télévisé américain Jeopardy! en battant les champions Ken Jennings et Brad Rutter. En 1996, le logiciel Deep Blue battait le champion du monde d'échecs Gary Kasparov.

Le champion du monde d'échecs Gary Kasparov affrontant l'IA Deep Blue en 1996. La machine l'emporta.

Entretien avec un robot

Et il y a bien sûr les intelligences artificielles conversationnelles, qui ne cessent de se multiplier, comme celle proposée par Replika. Les plus célèbres ont pour nom Siri, Google Now ou Cortana et jouent le rôle d'assistants virtuels multitâches. D'autres intelligences plus spécialisées occupent la fonction de secrétaire ou d'assistant médical. Dans tous les cas, il s'agit de logiciels avec lesquels on peut interagir comme avec des humains, par écrit ou à l'aide de la voix. Pour Ron DiCarlantonio, fondateur et CEO d'iNAGO, entreprise d'intelligence artificielle basée au Japon et en Amérique du Nord, il s'agit d'un vieux rêve. « Depuis mon enfance, j'ai toujours souhaité avoir un ordinateur qui puisse être mon ami, quelque chose qui soit plus qu'une simple machine utilitaire. J'ai fondé iNAGO avec cet objectif : construire une technologie avec laquelle on puisse interagir, exactement comme avec un autre être humain. » raconte-t-il. Selon lui, si le but est encore loin d'être atteint, nous progressons lentement mais sûrement : « Simuler un être humain est bien plus difficile que je l'imaginais. Nous travaillons là-dessus depuis quinze ans et pour l'instant, nous sommes loin d'approcher la complexitédu cerveau humain. Disons que nous avons réussi à créer un bébé. C'est un début. Pour avoir un adulte, il faut d'abord un enfant ! »

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D'après Ron DiCarlantonio, les intelligences artificielles conversationnelles sont aujourd'hui capables de répondre à un grand nombre de questions différentes, en naviguant à travers d'immenses bases de données non structurées. En revanche, aucune intelligence artificielle n'est pour l'heure capable de suivre le fil d'une conversation et de prendre en compte les propos qui ont déjà été échangés pour construire ses réponses. Les intelligences artificielles d'aujourd'hui ne sont pas non plus très douées pour l'improvisation : « Par exemple, si l'intelligence artificielle me dit qu'elle aime le baseball, et que je lui demande ensuite quel est son joueur de baseball préféré, sans qu'elle n'ait jamais été programmée pour répondre àcette question, elle va botter en touche. » explique-t-il. « Ce genre de problème est particulièrement difficile à résoudre, car il introduit des questions de goûts et préférences personnelles, caractéristiques d'une personnalitéhumaine. »

Pour résoudre ces difficultés, il faut selon lui s'inspirer des principes de l'évolution : « Dans la nature, des erreurs se produisent, et les écosystèmes s'adaptent automatiquement pour éviter de nouvelles erreurs dans le futur. Il faudrait que l'intelligence artificielle soit capable dvoluer pour résoudre des problématiques que nous n'avions pas prévues au départ, sans toutefois échapper ànotre contrôle. Nous n'aurions ainsi plus besoin de lui apprendre comment résoudre les problèmes, elle le ferait toute seule. C'est un objectif totalement atteignable au cours des cinq prochaines années. »

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Humains, trop humains

Certains rêvent d'ores et déjà de robots faisant la synthèse de ces différentes technologies, pour combiner apparence et intelligence humaine. L'entreprise française Softbank Robotics propose des robots dotés de corps similaires à ceux des humains, capables d'entretenir une conversation simple. Leur création phare est le robot Pepper, qui écume les salons pour faire la démonstration de ses capacités. Il était ainsi présent lors de la dernière édition du Web Summit, à Lisbonne, en novembre dernier. Leurs robots sont toutefois plus proches de C3PO que des réplicants de Blade Runner.

Depuis Hong Kong, la société Hanson Robotics repousse encore les limites de l'anthropomorphisme. Le chef du département intelligence artificielle de l'entreprise, Ben Goertzel, est un transhumaniste convaincu, fervent défenseur de la théorie de la Singularité, qui postule notamment que l'intelligence artificielle finira par égaler, puis dépasser l'intelligence humaine, devenant ainsi source de bouleversements imprévisibles dans la société. « À mesure que nous approchons de la Singularité, les robots vont ressembler toujours plus aux humains, et se comporter davantage comme eux. » prédisait-il lors du Web Summit. « Nous nous dirigeons vers un monde plus pacifié et plus intelligent, où humains et robots vivront en harmonie. » Les visions prophétiques de Ben Goertzel ne s'arrêtent pas là. Il imagine d'ores et déjà un monde où les robots seront dotés du droit de vote, voire où les humains renonceront à la politique pour confier les affaires publiques à une intelligence artificielle omnisciente, qui se montrera bien plus sage que l'homme. Il prévoit également la mise en place d'un droit des robots, corollaire logique de l'apparition de machines intelligentes, dotées d'une cyberconscience. Rêveries de savants fous ? Pas vraiment : plusieurs voix, dont celles de l'avocat Alain Bensoussan, s'élèvent aujourd'hui pour pointer l'urgence à mettre en place un droit des robots.

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L'uncanny valley

Si cette idée d'un avenir peuplé de robots humanoïdes suscite l'enthousiasme de Ben Goertzel, force est de constater que ce n'est pas le cas de tout le monde. De nombreuses personnes émettent des craintes quant aux développements de l'intelligence artificielle et éprouvent un sentiment de gêne, voire de répulsion à l'égard des robots anthropomorphiques. Ce sentiment a été théorisé en 1970, bien avant que les androïdes n'apparaissent comme une réalité tangible, par le professeur japonais Masahiro Mori. Selon lui, nous avons tendance à exprimer davantage de sympathie pour les robots qui ressemblent aux humains, mais seulement jusqu'à un certain point. Passée une certaine limite, que le professeur désigne sous le terme de bukimi no tani, plus connu sous sa traduction anglaise, Uncanny Valley (ou "vallée dérangeante" en VF), nous éprouvons au contraire de l'aversion. Ce sentiment s'explique selon lui par le fait que le robot ressemble alors trop à un humain pour être considéré comme une simple machine, mais n'est pas non plus suffisamment réaliste pour apparaître comme un humain à part entière. À l'époque, le concept ne rencontre aucun succès, et il faut attendre le milieu des années 2000 et les premiers robots anthropomorphiques vraiment poussés pour le voir apparaître sur toutes les lèvres.

Le rêve de Prométhée

Si le concept nous dérange tant, pourquoi nous obstinons-nous à concevoir des robots humanoïdes ? Selon Luke Dormehl, écrivain et journaliste spécialisé dans les nouvelles technologies, la réponse est d'abord d'ordre philosophique. L'ampleur de la tâche, sa résonance symbolique et sa portée font écho aux rêves prométhéens et à l'esprit aventureux de l'homme. Les expérimentations des futuristes s'inscriraient dans la droite ligne du mythe du Golem et de la créature de Frankenstein. « Créer de la vie àpartir de rien a toujours été l'un des grands rêves de l'humanité. Il y a aujourd'hui une double dimension : la possibilitéde donner naissance àune forme de vie artificielle, chose totalement nouvelle, et celle de créer, avec nos capacités humaines limitées, quelque chose qui dépasse ces capacités. » explique-t-il.

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Un avis partagé par Roman Yampolsiky, chercheur à l'Université de Louisville, spécialisé dans l'intelligence artificielle. « Nous souhaitons mieux nous comprendre nous-mêmes. Or, quelle meilleure manière de développer une connaissance approfondie du cerveau humain que de tenter de le recréer de A àZ ? Nous voulons également explorer de nouveaux possibles, nous avons un élan fondamental vers le mieux, et ce nouveau défi nous présente l'occasion de faire encore mieux que le cerveau humain. Il y a presque une dimension religieuse dans ce mouvement transhumaniste, qui occupe en partie la place qui était jadis celle des religions dans le coeur humain. »

Car si les robots anthropomorphiques inquiètent, ils exercent aussi un indéniable pouvoir de fascination. Tout comme l'écrit David Hanson, fondateur et CEO d'Hanson Robotics, l'entreprise de Ben Goertzel, il existe une certaine admiration, qui confine au sentiment artistique, pour les robots les plus parfaits possible : « De nombreuses créations représentant l'homme ont apportéjoies et réflexions au cours de l'histoire, qu'il s'agisse des sculptures de Michel-Ange, des chefs-d'oeuvre de la littérature, ou encore de films d'animation comme ceux de Disney, de Miyazaki et bien d'autres. Il n'y a aucune raison pour que les robots ne puissent également être le support de la création (…) au même titre que les autres arts figuratifs. »

De l'intérêt pratique des robots humanoïdes

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Mais si certains s'efforcent de construire des robots humanoïdes, c'est également parce qu'ils sont utiles. Pour leurs défenseurs, dans tous les domaines où s'institue un contact entre humains et machines, où il s'agit de créer un lien, même ténu, l'homme échange plus facilement avec un robot à l'apparence humaine. « De nombreuses études, dont celles conduites avec les humanoïdes Nao, Bandit, Kaspar et Zeno, montrent que les enfants autistes répondent favorablement à de tels robots. Àla clef, des possibilités de traitements et d'entraînements sociaux. Pensons également àRobonaut, le robot humanoïde de la NASA, pour ne citer que lui. Ses aptitudes àtravailler dans l'espace comme dans un atelier permettent de créer un environnement de travail plus sûr et efficace pour les humains. » écrit ainsi David Hanson. Un point de vue partagé par Ben Goertzel : « On noue plus facilement une relation profonde lorsqu'on est confrontéàun visage humain. En outre, les robots anthropomorphiques ont plus de chances de développer des qualités humaines, d'apprendre comment fonctionnent les hommes. »

Robonaut, robot humanoïde développé par la NASA pouvant réaliser les travaux effectués normalement par les astronautes durant les sorties extravéhiculaires. Image : NASA

Enfin, la construction de robots humanoïdes, tâche exigeante s'il en est, permet la convergence de nombreuses disciplines et l'instauration de synergies entre elles. Explications de David Hanson : « Construire des robots humanoïdes implique de grandes exigences scientifiques. Ils repoussent les limites de la biologie, des sciences cognitives et de l'ingénierie, engendrent des tonnes de publications scientifiques dans de nombreux domaines, dont les neurosciences computationnelles, l'intelligence artificielle, la reconnaissance vocale, les techniques du toucher et de la manipulation, la robotique cognitive, la navigation robotique, la perception et l'intégration de ces formidables technologies dans des humanoïdes ultimes. Cette approche intégrative coïncide avec de récents progrès en biologie des systèmes. Ainsi, la robotique humanoïde peut être considérée comme une sorte de métabiologie. Les robots anthropomorphiques établissent des ponts entre les sciences, et représentent eux-mêmes un sujet de recherche scientifique. »

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Le cauchemar de Darwin

Cependant, les recherches sur les robots humanoïdes suscitent également de nombreuses inquiétudes, qui ne sont pas seulement dues à la manière dont les dépeint la science-fiction, de Terminator à I, Robot, en passant par Blade Runner. Car s'ils devenaient suffisamment réalistes, ils poseraient instantanément un problème majeur : celui de l'usurpation d'identité. Une crainte notamment exprimée par Andra Keay, directrice de Silicon Valley Robotics : « Que se passera-t-il le jour oùchacun pourra construire un double robotique de vous-même, lui faire dire n'importe quoi et le faire agir à sa guise ? » s'interroge-t-elle. Selon elle, l'empathie, la bienveillance qu'inspirent les robots à visage humain et que leurs défenseurs vantent comme des atouts, sont en réalité dangereuses. « Nous avons tendance àplacer une trop grande confiance dans les robots qui nous ressemblent. Or, face àun robot, nous ne savons pas qui le contrôle, quelles sont ses intentions, et nous devons nous montrer prudents. En créant des robots humanoïdes, nous créons de fausses attentes et nous mettons potentiellement des individus en danger. »

Un risque d'autant plus grand que, ces robots ayant un coût non négligeable, ils seront probablement concentrés entre les mains d'une minorité : « Il s'agira de robots coûteux, achetés par des grandes entreprises et utilisés pour des opérations de marketing ou de vente. Un individu entrant dans un magasin pourra trouver le robot qui l'accueille sympathique et sincère, lui accordant ainsi sa confiance, mais il s'agira d'un robot conçu pour lui faire acheter des produits, qui pourra ainsi profiter de la confiance qu'il inspire pour abuser le client. Ce n'est pas ainsi que les robots devraient être utilisés. »

Elle conteste aussi fortement la thèse de Ben Goertzel, selon laquelle les robots anthropomorphiques développeraient plus facilement des qualités humaines : « L'intelligence des machines diffère de l'intelligence humaine, les robots ne seront pas capables de ressentir des émotions humaines, et personne ne devrait encourager cette croyance. » Enfin, Andra Keay ne partage absolument pas l'enthousiasme de David Levy quant aux robots sexuels : « On chosifie ainsi les relations sexuelles, ce qui est étrange en soi, et on facilite l'apparition de comportements violents qui pourront se reporter sur les relations sexuelles entre humains. »

Les androïdes de la série Westworld, plus vrais que nature.

Les robots sont-ils des hommes comme les autres ?

Pour d'autres, les thuriféraires des robots anthropomorphiques se fixent tout simplement des buts irréalistes, car il ne sera jamais possible de reproduire l'intelligence humaine sur un ordinateur. C'est notamment l'avis du professeur Masahiro Mori, l'inventeur du concept d'Uncanney Valley : « Je suis d'accord avec le fait que certaines composantes de l'humain sont comme des machines. Mais pour l'esprit, je ne suis pas sûr. » écrit-il. « Je crois que c'est un problème que les hommes ne seront jamais capables de résoudre. Personne ne peut expliquer pourquoi un objet peut ou non posséder un esprit. Nous ne savons pas si un esprit se formera lorsque les ordinateurs deviendront vraiment précis. Est-ce qu'un jour, un ordinateur se dira qu'il n'est pas de bonne humeur, ou qu'il n'aime pas telle personne ? Je ne sais pas. Certains pensent que l'esprit peut être créé, mais je ne le crois pas. Car nous n'avons aucune idée de ce qu'est vraiment l'esprit. » Contre la vision prométhéenne de la robotique, le professeur Masahiro Mori prône une approche… bouddhiste : « Je travaille sur les relations entre la technologie et les enseignements de Bouddha. Pour construire des robots, il faut comprendre les humains. Je crois que les leçons de Bouddha sont la meilleure manière de comprendre les humains, notamment pour ce qui concerne l'esprit. La technologie n'est pas uniquement bonne, et dans certains cas, ses aspects négatifs apparaîtront de manière évidente. Nous devons empêcher la technologie de devenir négative. » écrit-il.

Masahiro Mori n'est pas le seul à contester l'idée que l'on puisse recréer artificiellement l'esprit humain. C'est également le cas de Jean-Gabriel Ganascia, chercheur spécialisé dans l'intelligence artificielle. Pour lui, les arguments scientifiques et philosophiques avancés par les tenants de cette théorie ne tiennent pas la route : « La Singularitéest devenue une nouvelle religion. Elle postule un dualisme extrêmement fort, une dissociation complète entre l'esprit et le corps, doublée d'un certain réductionnisme informatique. Rien ne permet de penser que l'esprit d'une machine, àsupposer qu'il y en ait un, soit comparable à l'esprit humain. »

Roman Yampolskiy, et avec lui Ben Goertzel, Ray Kurzweil et autres partisans de la singularité, pensent de leur côté que si le corps humain n'est qu'une simple mécanique, aussi complexe soit-elle, rien n'empêche, passé un certain niveau technologique, de recréer cette mécanique de manière artificielle, en générant l'ensemble des stimuli et réactions chimiques qui font naître les émotions, les pensées, jusqu'à recréer un esprit humain. Une fois cet esprit généré, il serait possible de le transposer d'un corps vers une machine et réciproquement. En somme, les tenants de la Singularité affirment que l'esprit humain n'est que la somme de ses parties et n'est pas nécessairement lié au corps, tandis que ses opposants suggèrent qu'il est davantage que cela, ne peut donc être reproduit par de simples combinaisons techniques et n'a de sens que conçu dans un corps spécifique. Bien qu'appliquée à des problématiques futuristes, la controverse de la Singularité n'est ainsi qu'un retour de la vieille querelle entre le dualisme cartésien et la théorie de l'identité psychopsychique.