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LE NUMÉRO DU JOUR MALADE

L'histoire du premier lanceur d'alerte

Avant Chelsea Manning, Julian Assange et Edward Snowden, il y avait Thomas Drake.

Photo : Justin T Gellerson

Cet article est extrait du numéro du « Jour malade »

Dans les années qui suivirent le 11-septembre, Thomas Drake – qui bossait pour la NSA – prit connaissance d'un fait qu'il ne put accepter : l'existence d'un programme de surveillance mis en place par l'Agence nationale de sécurité américaine, Stellarwind. L'objectif de celui-ci était simple : espionner les Américains en collectant des données via Internet et autres écoutes téléphoniques.

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Thomas Drake s'est opposé à ce programme en dénonçant le viol du Quatrième amendement de la constitution américaine, relatif aux « perquisitions et saisies non motivées ». Malheureusement pour lui, Michael Hayden, alors à la tête de la NSA, était convaincu que son agence se devait de tout faire pour prévenir une nouvelle attaque.

Selon Drake, à partir du 11 septembre 2001, le complexe militaro-industriel lié au renseignement est devenu obsédé par l'idée de pourchasser des terroristes, au mépris des droits les plus élémentaires des citoyens américains. En 2006, après des années de lutte en interne, il a contacté une journaliste du Baltimore Sun afin de l'aider à révéler les agissements dont il avait été témoin.

Cette décision a changé la vie de Thomas Drake. Le FBI a perquisitionné son domicile et il a été accusé d'espionnage. Il encourait une peine de 35 ans de prison jusqu'à ce que le gouvernement abandonne les charges les plus graves pesant contre lui.

Aujourd'hui, Thomas Drake travaille pour Apple dans l'anonymat le plus complet. J'ai voulu en savoir plus sur cet Américain, héros pour les uns, traître pour les autres. Pour ce faire, je lui ai donné rendez-vous dans un bar de Washington

VICE : Pouvez-nous nous rappeler pourquoi la NSA a été créée ?
Thomas Drake: La NSA s'intéresse avant tout au renseignement extérieur. L'organisme a été créé en 1952 sur décision unilatérale du président de l'époque, Harry Truman. On parle d'un mémorandum top secret, que le Congrès n'a jamais validé – ce que les gens ont oublié. À l'époque, la « Peur des rouges » était omniprésente.

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Le problème réside dans l'obsession de la NSA pour les « données ». C'est comme une drogue, en fait. Plus vous en collectez, plus vous en voulez.

Que s'est-il passé après le 11-septembre ?
Avant cette date, il était impossible d'espionner un Américain sans disposer d'un mandat. J'ai été témoin d'un changement spectaculaire dans les jours qui ont suivi le 11-septembre. Le pouvoir de l'agence – celui d'espionner n'importe qui à l'étranger – est devenu total. On a autorisé ses employés à surveiller des gens sur le territoire national. Les raisons étaient toujours les mêmes : On ne sait pas d'où peut venir le danger. La fin justifie les moyens. On a besoin de savoir.

Aujourd'hui, la NSA opère sans aucun contrôle sur l'ensemble du globe. C'est du jamais-vu dans l'histoire des États-Unis.

Qu'en est-il de l'utilisation des « portes dérobées » – les backdoors – par la NSA ?
La NSA a mis en œuvre tout ce qu'il était possible de faire afin d'espionner les Américains. Elle s'est associée aux grandes entreprises du secteur technologique afin d'accéder à leurs logiciels et a contribué à l'affaiblissement de l'encodage des données. Selon moi, la NSA est coupable d'avoir fragilisé l'ensemble des infrastructures de notre société. Pensez-vous que cela ait eu une influence sur la lutte contre le terrorisme ?
En fait, je crois que la situation a empiré à cause de ces mesures. Ça fait partie du paradoxe entourant le « big data ». À première vue, on pourrait se dire que plus vous emmagasinez de bottes de foin, plus vous pouvez trouver d'aiguilles. Le problème, c'est qu'après avoir collecté toutes ces bottes de foin, il faut s'atteler à trouver les aiguilles. Et là, comment déterminer ce qui relève du foin et ce qui relève de l'aiguille ?

Souvenez-vous que la NSA possédait suffisamment de données pour pouvoir prévenir le 11-septembre mais qu'elle n'a pas été en mesure de les traiter efficacement. Elle n'a pas fait appel aux personnes compétentes au bon moment. C'est pour cela que j'ai désiré prendre la parole.

Cela en valait la peine, selon vous ?
Oui, car l'histoire était en jeu. J'ai fait le serment de défendre une idée. Vous pouvez donc imaginer ma réaction face à l'ouverture de cette boîte de Pandore après le 11-septembre. J'ai compris que je me devais de défendre la Constitution des États-Unis, que le gouvernement – pour lequel je bossais – ne respectait plus. Il s'agissait d'un véritable coup d'État à l'encontre de la Constitution.

Un gouvernement qui n'espionnerait pas ses citoyens est-il une chimère ?
Je ne le crois pas. Je ne serais pas devant vous si c'était le cas. Il n'est pas encore trop tard. Comme je le dis toujours : après les ténèbres vient l'aurore.

Cyberwarest une émission télé présentée par Ben Makuch sur le thème du hacking et des techniques de surveillance géopolitiques.