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Derrière la fin de la neutralité du net aux États-Unis : la déréglementation massive du secteur des télécoms

Prudence, les FAI européens pourraient bien s'inspirer des plus viles stratégies de la Commission fédérale des communications américaine.

La décision de la Commission fédérale des communications américaine (FCC) d’abroger la neutralité du Net a suscité l’indignation des internautes, et ce, à juste titre. Peu d’entre eux semblent comprendre, en revanche, que la suppression de ce principe fondateur s’inscrit dans le cadre d'un plan plus vaste qui pourrait avoir des conséquences dramatiques pour les petites entreprises.

En clair : l’abrogation de la neutralité du net est une décision abominable qui dessert à la fois les consommateurs américains, les personnes qui ont construit et construisent encore Internet, et les internautes dans leur ensemble. Elle met fin à de nombreuses mesures de protection qui empêchaient jusque là les fournisseurs d'accès à Internet américains d'abuser de leur position dominante sur le marché du haut débit.

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Sans cette réglementation, les fournisseurs d'accès pourront dorénavant proposer un Internet différencié, que ce soit sous la forme d’options payantes ou de limitation de débit, ce qui pourrait désavantager les plus petits concurrents. Si l'abrogation de la FCC devait résister à une contestation judiciaire en 2018, la seule chose qui se dresserait entre les Américains et les abus du câblo-opérateur Comcast serait de vaines promesses de la part d'une industrie spécialisée dans l'arnaque en série.

En réalité, c'est encore bien pire que ça.

Image : Getty

Un autre aspect de la circulaire a de quoi alarmer le plus placide des internautes. La FCC entend alléger son autorité sur les fournisseurs de haut débit, puis transférer ses compétences restantes à la Federal Trade Commission (FTC), qui n’est absolument pas armée pour les gérer.

En quoi est-ce un problème ? La FTC n'a pas la compétence nécessaire à l’élaboration de la réglementation et ne peut protéger les consommateurs qu’après qu'une violation de leurs droits a été commise. Or, cette action ne peut être entreprise que s'il est prouvé qu'un fournisseur d'accès à Internet a eu un comportement "déloyal et frauduleux", un prérequis facile à esquiver à l'ère de la neutralité du Net où les comportements anticoncurrentiels sont souvent cachés derrière un jargon faussement technique, et des affirmations selon lesquelles toute initiative est prise pour garantir la santé et la sécurité la réseau.

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Selon le président de la FCC, Ajit Pai, ce changement dans l'application de la loi se traduira par une meilleure supervision des duopoles du haut débit.

Mais pour les experts dans le domaine, cette affirmation est tout bonnement absurde. Par exemple, Harold Feld, avocat spécialisé dans les télécommunications et défenseur des consommateurs, a récemment noté que malgré ce nouveau système de contrôle de la FTC, l’agence sera impuissante face aux infractions des FAI puisqu’elles ne relèveront pas de son autorité.

L'ancien président de la FCC, Tom Wheeler, qui a contribué à l'élaboration des règles de la FCC, est même allé jusqu'à qualifier ce plan de "fraude pure et simple" dans une interview.

"C'est une fraude, a déclaré Wheeler. La FTC n'a pas de compétence réglementaire, c'est uniquement une autorité de contrôle des produits, fait-il remarquer. La FTC s'occupe de tout et n'importe quoi, des puces informatiques à l'étiquetage de l'eau de Javel. Bien sûr, les transporteurs veulent que [les problèmes de télécommunications] soient rapidement oubliés face à la léthargie de cette administration. C'était la stratégie depuis le début."

S'il n'y avait qu'une chose à retenir du vote de la FCC du 14 décembre, c'est que l'abrogation de la neutralité du net n'est qu'une partie d'un plan plus vaste et plus stupide, qui n'est ni subtil ni nuancé.

Dans le cadre d’un procès contre AT&T, la FTC pourrait perdre le peu de pouvoir qu’elle exerce actuellement sur les fournisseurs de haut débit américains.

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La FTC a poursuivi AT&T en 2014 après que l’entreprise a étranglé les clients des offres de données "illimitées" de l'entreprise, puis a menti à ce sujet à plusieurs reprises. Pour couronner le tout, les avocats d'AT&T se sont fortement appuyés sur l'exemption de l'article 5 de la FTC Act – prétendant que son statut de transporteur public l'exemptait d'être tenu responsable par la FTC.

En 2016, la FTC a averti que si l'agence perdait sa bataille juridique, cela pourrait créer une situation dans laquelle les entreprises pourraient échapper à la surveillance de la FTC si une partie de leur activité était admissible au statut de transporteur public. Pire, les entreprises pourraient acheter de petites filiales dans le but précis d'échapper à la surveillance de la FTC, a déclaré l’agence.

"La décision du panel crée une lacune dans l'application qui ne laisserait aucun organisme fédéral capable de protéger des millions de consommateurs à travers le pays contre les pratiques injustes ou trompeuses ou d'obtenir réparation en leur nom", a déclaré la FTC. "Les entreprises qui ne sont pas des transporteurs peuvent obtenir ce statut en offrant de nouveaux services ou par des acquisitions d’entreprises."

Ajit Pai et ses amis ont en revanche apparemment oublié de mentionner le fait que la FTC fait face à un procès qui pourrait annuler presque entièrement sa capacité à protéger les consommateurs.

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Certains géants des télécoms comme AT&T et Comcast font du lobbying pour ce projet parce qu'ils savent que cela réduira la capacité du gouvernement à freiner les abus commis dans un marché non concurrentiel. Et si les États intervenaient à titre individuel pour protéger les consommateurs, Verizon et Comcast se sont assurés de faire en sorte que la FCC sévisse pour contrer leurs initiatives.

"Il est évident que le haut débit sera soumis à un cadre national uniforme qui encourage l'investissement et l’innovation", a déclaré le commissaire de la FCC, Michael O'Rielly, avant de voter en faveur de l'abrogation. "Le service à haut débit ne s'arrête pas aux frontières des États et ne devrait pas être limité par un ensemble de règles nationales et locales."

"L'histoire nous a montré à maintes reprises que la déréglementation aveugle des monopoles naturels entraînait une hausse des prix, une détérioration de la qualité du service et d'innombrables abus de la part des monopolistes."

O'Rielly et Pai ont longtemps soutenu qu'il était normal que les FAI rédigent des lois protectionnistes afin d’empêcher que la concurrence prenne racine dans les marchés mal desservis, et que toute tentative visant à empêcher ces documents législatifs constituait une attaque contre les "droits des États". Mais quand les États américains tentent réellement de protéger les consommateurs, l'inquiétude concernant les droits des Etats disparaît comme par miracle.

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Encore une fois, s’il n’y avait qu’une chose à retenir du vote de la FCC du 14 décembre, c’est que l'abrogation de la neutralité du Net n'est qu'une partie d'un plan plus vaste et plus stupide, qui n'est ni subtil ni nuancé.

Verizon, AT&T et Comcast ont réussi à convaincre le gouvernement de réduire à néant la surveillance fédérale et des États exercée sur les duopoles non compétitifs avec une génération de comportements anticoncurrentiels documentés à leur actif. Étant donné que de nombreuses entreprises de télécommunications renoncent à l'expansion du haut débit, cela survient au moment où le haut débit par câble jouit d'un plus grand monopole que jamais auparavant. La combinaison d’une moindre concurrence et d’une moindre surveillance est une idée parfaitement stupide pour les Américains qui sont déjà mécontents de leurs options haut débit.

Si certains consommateurs sont persuadés que le haut débit sans fil viendra rétablir la situation, c’est sans compter le fait que la connectivité à haut débit des entreprises et la liaison sans fil représentent un autre problème de monopole sur lequel la FCC ferme les yeux. Or, le sans fil ne peut en aucun cas constituer un substitut solide aux réseaux câblés dans les territoires ruraux et les zones faiblement urbanisées.

De même, si les plus optimistes croient encore que la suppression de la réglementation des télécommunications règlera tous les problèmes du marché des télécoms américain, l’histoire nous a démontré à maintes reprises que la déréglementation aveugle des monopoles naturels entraînait des prix plus élevés, une détérioration de la qualité du service et d’innombrables abus de la part des monopolistes – surtout que l'on ne s'attaque jamais aux problèmes sous-jacents de la corruption gouvernementale ou de la défaillance du marché.

C'est exactement de cette façon que Comcast est né. La première place de Comcast sur la liste des entreprises les plus détestées d'Amérique est due en grande partie à la déréglementation du secteur des télécoms en 2002 et 2005, tandis que le patron de la FCC, Michael Powell (aujourd'hui le principal lobbyiste de l'industrie du câble), promettait une utopie compétitive qui ne s'est jamais matérialisée.