La flagrante hypocrisie d’Instagram par rapport au weed
Illustration par Mathieu Rouland

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Drogue

La flagrante hypocrisie d’Instagram par rapport au weed

Instagram ne fait pas qu’interdire aux entreprises et aux influenceurs du cannabis d’acheter de la pub, le média social désactive aussi leur compte.

Tandis que les « ganjapreneurs » essaient de trouver des moyens stratégiques de faire la promotion de leur entreprise de manière responsable dans le cadre légal, les plateformes de médias sociaux ne font rien de plus pour les aider. Elles ajoutent même une couche de difficulté. En guise de protestation, la communauté du weed est en train de s’organiser autour du mot-clic #CannabisBlackoutDay, une initiative de l’activiste Bess Byers, et compte s’abstenir de publier du contenu sur Instagram le 6 octobre, date de fondation de la plateforme.

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Facebook et Instragram, entre autres, ont modifié leurs algorithmes pour réduire la portée des pages d’entreprises et de médias et, surtout, ont imposé des restrictions contre les publications et les publicités en lien avec le weed, et ce, même si celles-ci n’affichent pas la plante ou n’en font pas directement la promotion. Le rejet des publicités est une réalité que connaît trop bien la communauté du cannabis. Voici ce que stipule le règlement de la plateforme : « Les publicités ne doivent pas promouvoir la vente ou la consommation de drogues et médicaments illégaux, sur ordonnance et à usage récréatif. Évitez d’utiliser des images représentant des accessoires en rapport avec le tabac (comme des pipes à eau et du papier à cigarettes); des images de cannabis à usage récréatif ou médical et qui insinuent la consommation de drogues ou de médicaments à usage récréatif. »

Plus récemment, Instagram en a remis une couche en supprimant massivement des publications au cours du mois d’août, désactivant une foule de comptes en lien avec le cannabis, allant des entreprises aux influenceurs.

Les choses ont éventuellement atteint un point culminant lorsque Bess Byers, une activiste de Washington, fondatrice de Blaise Creative et possiblement l’une des influenceuses les plus importantes dans le domaine du cannabis, a été ciblée. Son compte, qui rassemble près de 100 000 abonnés et offre un aperçu du style de vie et de l’activisme liés au pot, a été désactivé à deux reprises. Après la seconde désactivation, elle a décidé de lancer #PetitionToInstagram, une pétition qui a récolté près de 16 000 signatures, afin de demander que la plateforme mette à jour ses conditions générales d’utilisation afin que celles-ci reflètent les changements législatifs autour du cannabis.

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« Honnêtement, c’est une chose que je craignais depuis la création de ma page et qui me semblait inévitable », affirme Bess en entrevue avec VICE. « Après avoir versé quelques larmes, lancé des jurons et fait quelques dabs, j’ai décidé d’agir. Instagram est une entreprise milliardaire, notre communauté est donc en droit de s’attendre minimalement à quelques éclaircissements. »

Bess a également fait mention d’un exemple flagrant d’hypocrisie, soit le fait que des images non menaçantes de plantes soient considérées comme offensantes, tandis que des publications affichant des objets violents et des drogues dures ne font pas l’objet de signalements aussi véhéments.

« C’est incroyable de constater qu’une publication portant sur le cannabis servant à soulager les crampes menstruelles soit signalée, mais que les publications répétées de l’artiste Lil Peep, maintenant décédé, sur le Percocet, le Xanax et la cocaïne, n’aient subi aucune répercussion », explique-t-elle.

Une semaine après notre entrevue avec Bess Byers, son compte a été désactivé et réactivé pour la troisième fois.

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Ce problème touche également le Québec. La marque locale Maitri, qui propose des accessoires autour du cannabis, a aussi fait récemment l’objet de signalements. Le fondateur Philippe Depault affirme que son compte a été soudainement désactivé. Il a soumis un appel et a vu son compte être réactivé après huit jours.

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« Instagram est une plateforme de choix pour notre communauté puisqu’elle offre une intimité dans un monde aussi stigmatisé que le nôtre, dit-il. Toutefois, Instagram est une immense entreprise et je ne crois pas que le cannabis est leur priorité. Il est important de se rappeler qu’Instagram est une entreprise américaine enregistrée au fédéral où le cannabis est encore illégal. »

Kyla Lee, une avocate criminaliste basée à Vancouver, qui se concentre sur la conduite avec les facultés affaiblies et la légalisation du cannabis, affirme qu’il est navrant de voir les influenceurs et les entreprises être ainsi ciblés. Elle croit que le fait de les bannir des médias sociaux a un effet dévastateur sur l’accès du public aux renseignements sur le cannabis.

« Après la légalisation, il sera important pour les utilisateurs naïfs ou néophytes de pouvoir obtenir des renseignements sur les souches, les dosages et les produits qui leur conviennent le mieux, indique-t-elle. Puisque ça ne sera pas permis à plusieurs niveaux de points de vente ou dans le cadre de campagnes publicitaires, les médias sociaux représentaient une façon de donner ces renseignements. À certains égards, ça pourrait contribuer à causer le préjudice que le gouvernement tente par tous les moyens d’éviter. »

Toutefois, elle insiste sur le fait qu’en théorie, Instagram a le droit de bannir des utilisateurs qui violent les conditions qu’elle adopte, quelles qu’elles soient. Même si on pourrait plaider que le flou entourant des règles signifie qu’il n’y a eu aucune violation des conditions d’utilisation, Lee affirme que le coût associé à un tel litige dépasse grandement la pertinence de mettre celui-ci en branle.

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« Je crois qu’Instagram a tout prévu en ce qui a trait aux conditions d’utilisation en stipulant que les drogues illégales ou les médicaments d’ordonnance, même ceux qui sont légaux dans une région donnée, ne peuvent faire l’objet de vente ou de promotion, déclare-t-elle. Cependant, l’application doit se mettre au goût du jour et réaliser qu’avec l’une des plus importantes bases d’utilisateurs sur le point de faire l’expérience du cannabis légalisé, les conditions doivent être ajustées afin de refléter les changements sociaux ou d’attitude. »

Pas de la promotion, de l’éducation

Vee Mercier, une photographe, consommatrice de cannabis médical et propriétaire d’entreprise, partage les mêmes inquiétudes que les autres adeptes d’Instagram. Bien que son compte n’ait pas été désactivé, elle dit qu’elle a été « shadow banned ». Elle s’en est rendu compte parce que, pendant quelques mois, le nombre de likes sur ses images a drastiquement diminué. Ce qui irrite Mercier, c’est le fait que ça la place, elle et ses entreprises, dans une situation désavantageuse.

« Il m’est totalement impossible de payer pour des publicités puisque mon compte affiche du cannabis ou des accessoires, affirme-t-elle. Comme j’ai un compte d’affaires, ces publicités m’aident à trouver différents clients et, même si je suis prête à payer, je n’ai pas accès à ce service en raison de la nature de ma plateforme. »

Considérant le fait que le projet de loi C-45 suggère qu’il n’y aura aucune tolérance à l’égard de la promotion du cannabis comme produit attrayant et positif, des personnalités comme Vee affirment que leurs comptes ne servent pas à la glorification du cannabis.

« Je n’essaie pas du tout de glorifier la plante, mais bien d’éduquer les gens par le biais de faits en lien avec la science. Comme mon expérience dans le domaine médical me l’a démontré, ce n’est que par la connaissance (ou la science) que l’on peut faire changer les gens d’avis. »

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