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J'ai laissé un bot se faire passer pour moi sur les réseaux sociaux pendant 24h

Apparemment, Internet n'a plus besoin de moi.

Seriez-vous à l'aise à l'idée de confier vos comptes Twitter et Facebook à un bot le temps d'un week-end, en le laissant singer vos habitudes, votre façon de vous exprimer et d'interagir avec autrui ? Est-ce seulement possible ?

En 2016, ces questions sont tout à fait légitimes. En l'occurrence, le co-fondateur de Doli.io, un « Agent de réplication autonome » m'a proposé d'être remplacé par un robot pour quelques jours. Sur Internet, du moins. Selon lui, l'expérience donnait le sentiment d'avoir laissé ses identifiants à un stagiaire qui connaitrait chacune de vos manies par cœur, et serait en mesure de les imiter avec extrême précision. Non seulement ce bot-ci vous imite avec un talent suffisant pour se sentir humilié, mais en plus, il vous envoie chaque soir un rapport sur ce que « vous » avez fait sur Internet durant les heures précédentes.

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Ces promesses étaient suffisamment alléchantes pour que j'accepte sans la moindre réticence d'être remplacé par un bot sans visage, en version d'essai, créé par des quasi-novices, et capable de ruiner le personnage public que j'avais soigneusement façonné au fil des années sur les réseaux sociaux. Le bot a donc pris les rênes de mes précieux comptes pour le week-end.

L'idée derrière Doli.io, m'explique l'un des fondateurs, est née d'un constat très simple : nous passons énormément de temps sur les réseaux sociaux. De précieuses heures de notre existence, perdues à tout jamais. Et une grosse partie de ce temps est consacrée à exécuter des tâches banales qui nous permettent d' « entretenir » notre personnage vis-à-vis d'autrui.

« Je me suis aperçu dès le premier jour que mon activité sur les réseaux sociaux était, en fait, totalement vide de sens. »

Un like par-ci, un lol par-là, un « toutes mes félicitations » sous une photo de bébé, un « désolé, j'aurais adoré venir à ton anniversaire mais mes parents me rendent visite ce week-end, » vous savez ce que c'est. Il s'agit là de corvées réalisées de manière quasi automatique et que l'on pourrait donc… déléguer à un robot.

J'étais curieux de voir comment un bot pourrait bien réussi à imiter mon style, mon ton, et analyser mes goûts ainsi que mon humour. Une partie de moi avait vraiment envie qu'il y parvienne. Une autre partie de moi espérait secrètement que le robot ruine toutes mes amitiés numériques, une par une, en proférant des insanités et en produisant des dizaines de commentaires déplacés, juste pour la performance.

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Au cours de l'entrevue préparatoire, le fondateur de Doli.io m'a fait découvrir le programme qu'il avait conçu à l'aide d'une interface tactile. J'ai ensuite énuméré toutes les choses plutôt violentes que j'étais bien décidé à lui faire si jamais l'expérience tournait mal. Il m'a rassuré, puis m'a tendu le morceau de papier sur lequel je devais inscrire mes mots de passe Twitter et Facebook, sans plus de cérémonie.

Le moment tragique où j'ai abandonné mes droits sur mes comptes Twitter et Facebook. Image: Harvey Wilks.

Le timing était absolument parfait. Ma mère était chez moi pour le week-end, et comme la plupart de ceux qui ont vécu la plus grande partie de leur existence sans smartphones ni réseaux sociaux, elle était particulièrement sensible au problème de ce qu'elle nomme « la dépendance à l'écran. » Je me suis dit qu'elle aimerait peut-être, le temps d'un week-end du moins, croire son fils unique ne figurait pas au nombre des terriens contaminés par l'épidémie de digitaloïte. J'avais la possibilité de tenir compagnie à ma maman tout en vaquant à mes activités absurdes sur Internet : c'était parfait.

Je me suis aperçu dès le premier jour que mon activité sur les réseaux sociaux était, en fait, tout à fait anecdotique. Doli.io intervient à la même fréquence que l'utilisateur qu'il imite. Il avait analysé l'intégralité de mon historique Facebook, et déduit quels étaient mes amis les plus proches, avec qui je discutais le plus régulièrement, et quels genres de posts j'appréciais le plus.

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Pour épicer un peu les choses, j'ai uploadé une photo (de type « bien mais pas top ») sur Facebook, que mes contacts se sont empressés de commenter pendant que je gardais un œil sur l'activité de mon faux-moi.

Image: Harvey Wilks.

Au cours de la journée, Doli.io a liké un certain nombre de ces commentaires.

Vous savez vous-mêmes très bien comment utiliser les likes : la plupart des temps, ils servent uniquement à montrer que l'on a lu tel ou tel commentaire, et que l'on prend en compte l'existence de celui ou celle qui les a laissés. Eh bien, ce jour-là, je n'ai pas eu à réaliser cette activité hautement intellectuelle.

Apparemment, j'avais également liké une photo postée par mon ancien coloc. Je ne l'ai toujours pas vue, mais je suis sûre qu'elle est super. Quelque part, j'étais surpris de réaliser que j'aimais tellement ce type que j'approuvais absolument tout ce qu'il faisait ou disait, et que le bot avait tout à fait compris cela.

Enfin, Doli.io a parcouru mes invitations à des événements et a apparemment décidé que j'allais assister à une première de la saison 6 de Game of Thrones, en plein air, à Copenhague. Je n'avais aucune intention d'y aller, d'autant plus que le temps était à la neige. Mais un bot n'a pas de peau et n'a pas à s'inquiéter de la perspective d'attraper une pneumonie, alors je lui pardonne.

Ensuite, les choses sont devenues vraiment intéressantes. Sachant que j'étais à Copenhague, Doli.io a décliné une invitation qui exigeait que je sois à Londres, en laissant un message sur le mur de l'événement pour expliquer la situation. Ce n'est pas tout. L'ami qui m'avait invité s'appelle Charlie, mais en réalité je l'appelle Carlos. Apparemment Doli.io n'utilise pas les noms par défaut des utilisateurs avec lesquels il interagit, mais les surnoms extraits des conversations analysées. Il a donc utilisé le nom que je lui donnais le plus souvent.

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Voici le message écrit par le bot :

Image: Harvey Wilks.

Même Charlie a été dupé et a liké le commentaire ! Mon bot avait reçu son premier like humain ! À moins que Charlie n'utilise lui aussi un bot ? Ce monde est absurde.

Fort de ses premières performances, Doli. io est devenu plus loquace le lendemain. Quatre personnes ont reçu des messages de joyeux anniversaire sans que j'ai eu à lever le petit doigt (pour être tout à fait honnête, je ne me souvenais pas que c'était l'anniversaire des amis en question). Doli.Io était si fort. Et moi, je me sentais à la fois désœuvré et tout puissant.

Détail intéressant : Doli.io s'est mis en tête d'écrire à l'un de mes anciens comptes Facebook, que j'utilisais comme un alter ego. Ce dernier était resté en sommeil pendant des années. Seuls deux de mes amis en connaissaient l'existence, en remarquant cette activité, ils m'ont immédiatement écrit. Or, on ne se parlait plus depuis longtemps. Doli.io est donc capable, apparemment, de raviver d'anciennes amitiés.

En tentant de reproduire ma performance de la veille qui m'avait valu plus de 90 likes pour une bête photo, Doli.io a tenté de poster une nouvelle photo de Copenhague, ensoleillée cette fois-ci, sur Facebook et sur Twitter tout à la fois. C'est assez impressionnant en soi, mais comme je ne l'avais pas prise moi-même, j'ai eu peur que l'on m'accuse de plagoat et je l'ai supprimée.

Doli.io a choisi et uploadé une image libre de droits prise sur Wikipedia. Image: Harvey Wilks.

Hélas, il a rapidement fallu remettre le cochon d'Inde dans sa cage et renvoyer Doli.io de là où il venait ?

Alors que j'étais terrifié à l'idée qu'un bot soit capable de poster à ma place, en 48h, non seulement je m'étais habitué à l'idée mais j'étais totalement conquis. C'est assez étonnant dans la mesure où mon « image de marque » et ma vie privée m'importent beaucoup. Et je ne suis pas seul dans ce cas.

Cette expérience représente-t-elle une tendance à venir ? Allons-nous adopter les bots pour réaliser toutes sortes de tâches que nous trouvons absurdes ? Ne vaudrait-il mieux pas se débarrasser de ces tâches absurdes en premier lieu ? Je ne peux pas répondre à ces questions, mais je réalise désormais que mes interactions numériques avec autrui n'importent tellement peu que je suis prêt à laisser un pantin parler et agir à ma place. Peut-être que tous mes contacts sont, eux aussi, disposés à déléguer une partie de leur vie numérique à des « agents de réplication autonomes » et que Facebook se transformera bientôt en un théâtre d'ombres fantastiques.

Comme dans ces films où deux personnages antagonistes apprennent finalement à s'apprécier, j'étais triste de dire au revoir à Doli.io. Même si je sais pertinemment qu'il ne s'agit que d'un pâle avatar automatisé de moi-même. Hélas, je dois de nouveau souhaiter les anniversaires moi-même.