Dans le labo high tech de l'armée US où des chercheurs font exploser des trucs

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Dans le labo high tech de l'armée US où des chercheurs font exploser des trucs

Les chercheurs y sont littéralement payés pour créer des explosions. Le job de rêve, en somme.

Alfred Nobel a bâti sa fortune en faisant exploser des trucs. Le scientifique et entrepreneur suédois fut un pionnier du secteur des explosifs, et le tout premier à gagner beaucoup d'argent grâce aux applications militaires et industrielles d'un nouveau produit baptisé nitroglycérine. Très puissante mais extrêmement sensible, la nitroglycérine allait changer le monde. Le problème, c'est qu'elle est très, très dangereuse. Le moindre choc, même infime, peut la faire exploser.

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Le 3 septembre 1864, une énorme explosion a détruit l'usine d'explosifs d'Alfred Nobel à Stockholm, où son entreprise produisait de la nitroglycérine pour l'Armée. L'explosion fit cinq morts, parmi lesquels le frère cadet du savant. Cette tragédie poussa Nobel à concevoir des explosifs moins risqués à manipuler que la nitroglycérine, trop instable. Le résultat, ce fut la dynamite, qui lui rapporta une petite fortune – lui permettant ainsi de financer son célèbre prix – et est toujours utilisée aujourd'hui.

En 2016, la science des explosions a bien progressé. Et c'est à l'Aberdeen Proving Ground, un immense centre de recherche de l'Armée américaine situé dans le Maryland, à une heure de route de Baltimore, que des chercheurs étudient les dégâts causés par une multitude d'explosifs à longueur de temps.

Là, des chercheurs travaillant pour l'Armée étudient les caractéristiques fondamentales de différents types d'explosifs, observant comment l'énergie qu'ils produisent affecte divers objets, qu'il s'agisse de bunkers ou de corps humains, se trouvant sur le trajet de l'onde de choc.

L'Armée garde bien ses secrets. Mais en juin, après avoir franchi deux contrôles de sécurité, j'ai été autorisé à visiter ce fameux laboratoire high-tech où les scientifiques font exploser des choses.

Le petit bunker en béton qui abrite la chambre d'essai. Image: Paul Tadich

C'est par une matinée chaude et humide que j'ai pénétré dans la base, où j'ai été escorté en permanence par des militaires. Une fois entré, j'ai conduit pendant une vingtaine de minutes, le long d'un lac, jusque sur une île située à l'intérieur de la base. On m'a bien précisé que je n'avais pas le droit de photographier les bâtiments, et qu'il me faudrait demander l'autorisation avant de photographier quoi que ce soit.

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Je finis par apercevoir le laboratoire – un bâtiment robuste qui semblait pouvoir résister à une frappe nucléaire. En m'approchant, je vis deux lampes rouges installées sur des poteaux. Un panneau indiquait que si les lumières étaient allumées, il ne fallait tourner à gauche sous aucun prétexte.

Mais les lumières étaient éteintes, et le terrain d'essais très calme. J'ai pris à droite, toujours accompagné de mon escorte, vers l'espace principal du labo. C'est là que j'ai rencontré Richard Benjamin, chercheur de l'Armée américaine payé pour faire exploser des trucs et regarder les explosions à 2,5 millions d'images par seconde. L'endroit semblait tiré tout droit d'un rêve d'ado prépubère.

Une fois à l'intérieur du labo, nous sommes entrés dans un vaste atelier. Au premier coup d'œil, rien ne le distinguait vraiment d'un atelier improvisé dans un garage, où un quadragénaire bricoleur passerait ses week-ends. Sur un panneau, on pouvait lire Merci de garder cet endroit propre. Dans la plupart des garages, ce genre de panneau ne se trouve pas au-dessus d'une poubelle remplie de cartouches de gros calibre.

L'atelier. Image: Paul Tadich

Richard Benjamin, physicien en chef de l'US Army Research Lab's Detonation Science Facility, est d'une politesse désarmante, surtout pour quelqu'un qui détient un tel pouvoir. Il est un peu rougeaud, rondouillard, et extrêmement bien élevé.

Il m'a expliqué qu'il utilisait les outils à sa disposition au laboratoire pour analyser très en détail ce qu'il se passe quand un explosif détonne. « La définition même d'un explosif, c'est que quand il réagit, la réaction va plus vite que la vitesse du son », dit-il.

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Alors que le matériau explosif se transforme brutalement en gaz, des ondes de choc s'accumulent en son sein. Ces ondes de choc se pressent les unes contre les autres, formant peu à peu une sorte de cartouche de gaz en expansion. Cette cartouche s'échappe du matériau et transfère son énergie à l'atmosphère environnante, laquelle se dilate alors. L'énergie de l'explosion est également transférée à tous les objets se trouvant sur son passage. Les résultats peuvent être dramatiques, voire mortels.

Image extraite d'une vidéo montrant un crâne artificiel (ayant la même densité qu'un crâne humain) équipé d'électrodes pour mesurer l'impact d'une explosion. Image: Paul Tadich

Richard Benjamin m'a ensuite emmené jusqu'à un grand écran de télévision installé au-dessus d'un établi pour me montrer quelques vidéos de charges explosives en train d'exploser en slow-motion. Cela permet d'analyser comment les ondes de choc se propagent au sein de l'explosif.

Dans la vidéo la plus marquante, on voyait une boule de C-4 (l'abréviation de Composition-4, un explosif militaire) exploser, les images tellement ralenties que je pouvais voir les gaz brûlants s'échapper du boîtier en métal qui contenait la charge.

Je remarquai que la pièce était dotée de plusieurs hublots, d'un verre aussi épais que mon poing. Une leur faible émanait de derrière ces hublots. Je demandai donc à Richard ce qui produisait cette lumière, et il me répondit seulement d'être patient.

La porte qui mène à la chambre d'essai. Image: Paul Tadich

Il m'a ensuite emmené dans un autre coin. Une pompe hydraulique s'est mise à ronronner, un verrou s'est ouvert, et une porte métallique de 30 centimètres d'épaisseur s'est ouverte à son tour. Là, nous nous sommes retrouvés face à la pièce maîtresse du bâtiment : la chambre d'essai. À l'intérieur, il y avait un cube en béton armé, doté de murs de 45 cm d'épaisseur. La pièce était couverte d'un alliage résistant aux chocs, rouillé et tacheté de cratères, avec des trous de quelques centimètres de profondeur là où des fragments de métal avaient été propulsés contre les murs.

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Finalement, je pus voir la source de la mystérieuse lumière : deux projecteurs façon plateau de tournage de film étaient braqués sur une estrade installée au beau milieu de la pièce. C'est là que les explosifs étaient posés, en attente d'être détonnés.

Un faux explosif. Image: Paul Tadich

J'ai vu des images d'un cylindre en métal, bourré de TNT, explosant dans la chambre d'essai. Au moment où il explosait au ralenti, on pouvait voir l'énergie parcourir l'objet. À chaque image, le métal se déformait aussi facilement qu'un ballon que l'on aurait gonflé d'air. Alors que la ligne de fragmentation se déplaçait le long de l'objet, elle était suivie par une flamme jaune et blanche correspondant aux gaz brûlants qui s'échappaient des fissures qui apparaissaient sur le métal.

Image tirée d'une vidéo de TNT explosant dans une cartouche. Image: Paul Tadich

C'est à ce moment-là que j'ai pris conscience de la puissance brute d'une explosion. Même le métal le plus solide est instantanément broyé en fragments minuscules, sans la moindre résistance.

D'énormes caméras capables de filmer à très grande vitesse étaient placées de l'autre côté des hublots de verre, pour filmer les explosions. La chambre est conçue pour être hermétiquement fermée, afin que tous les reliquats puissent être observés et analysés. Autrement dit, elle est parfaitement isolée, et le jour de ma visite, la chaleur des spots avait fait monter le mercure bien au-dessus des 30°C.

Ce panneau permet d'envoyer une charge électrique qui active les explosifs dans la chambre d'essai. Image: Paul Tadich

Toutes ces précautions et protections sont absolument indispensables. J'ai demandé à Richard s'il pouvait entendre les explosifs se déclencher depuis son laboratoire, malgré les murs de 45cm d'épaisseur. « Oh, absolument, m'a-t-il répondu. Je les sens, aussi »

Une manière de rappeler que même si nous nous trouvions dans un lieu de science, celui-ci appartenait tout de même à l'Armée américaine. Quand j'ai demandé à Richard pourquoi son travail était important selon lui, il m'a répondu sans hésiter : « Tout ce que nous faisons vise à aider les soldats. Nous faisons tout notre possible pour que leur job soit plus sûr et plus facile. »

Alors qu'on m'escortait, dans ma Jeep de location, vers la sortie, je repensai à ce qui avait initialement poussé les hommes à inventer les explosifs : gagner en puissance militaire.