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Avec les locataires permanents des cybercafés de Tokyo

Faute d'argent ou par peur des autres, certains tokyoïtes vivent littéralement dans des cabines de cybercafés d'à peine deux mètres carrés. Un journaliste français leur consacre un court documentaire.

Tokyo est une ville coûteuse. Au premier trimestre 2015, le loyer mensuel moyen de ses 23 arrondissements s'élevait à 97 000 yens, soit 830 euros. Le Global Property Guide estime que la capitale japonaise est la huitième ville la plus chère du monde pour les locataires, trois places derrière Paris. Bien que ses habitants gagnent en moyenne 3 500 euros par mois, de nombreux individus précaires vivent dans un hôtel capsule ou l'une des fameuses tentes bleues du parc Yoyogi. Depuis quelques années, les Tokyoïtes sans emploi ou mal placés sur la grille des salaires s'installent aussi dans des cyber-cafés ouverts 24 heures sur 24. Ces établissements proposent souvent des douches, des boissons gratuites et un minimum d'intimité pour une quinzaine d'euros par nuit. Dans son court documentaire Lost in Manboo, le journaliste français Jérôme Plan donne la parole à deux de ces tristes locataires.

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Manboo est un cyber-café de Shinjuku, l'un des arrondissements les plus grouillants de Tokyo : les gratte-ciel pour hommes d'affaires se frottent à une vaste zone commerciale, et les minuscules bouges du Golden Gai sont à quelques pas du quartier douteux de Kabukichô. Masata, un webmaster de 39 ans, vit dans l'une des cabines de l'établissement depuis deux ans. Elle fait deux mètres carrés et n'a pas de plafond. Avant, l'homme louait un vrai appartement. "Beaucoup de choses me tracassaient, explique-t-il avec un sourire poli dans le documentaire. Je ne m'entendais pas avec mes voisins. Je préférais traîner dehors. Je n'aime pas avoir d'attaches. Je n'aime pas être dépendant." Hitomi, 23 ans, est moins revendicatrice. Cette "travailleuse de la nuit", comme elle se présente, loge au Manboo depuis deux mois. "Je ne sais même pas où je serai dans un an, murmure-t-elle face à la caméra. Mon sort ne m'intéresse pas. Je n'arrive pas à avoir de rêves, de projets. C'est déjà bien d'être en vie."

En seulement neuf minutes, Lost in Manboo parvient à rendre sensible le mal-être typiquement japonais de Masata et Hitomi. L'archipel nippon passe pour le seul pays post-industriel capable de produire de telles situations de misère : il a déjà enfanté des hikikomori, ces jeunes individus qui font le choix de ne plus quitter leur chambre. Il a également vu naître le phénomène du kodokushi, la mort solitaire de milliers de personnes âgées. Dans un documentaire diffusé en 2010, la chaîne de télévision japonaise NHK a désigné ces formes émergentes d'isolement social sous le terme "muen shakai", littéralement "une société sans relations humaines". 99, la plate-forme de documentaires en ligne créé par Jérôme Plan, se présente comme "le média des invisibles", "ceux qui sont hors-champ, hors-cadre, oubliés." De beaux jours attendent sans doute le Japon dans cette ligne éditoriale ; les deux locataires permanents du cyber-café de Lost in Manboo ne semblent même pas s'entraider.