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Une entreprise veut remplacer vos proches décédés par des clones robotiques

Il suffit de constituer une copie numérique de la personnalité du défunt. Rien de plus simple, n'est-ce pas ?
Bina48. Image: Lifenaut

En 2002, l'épouse d'un charpentier vietnamien de 55 ans nommé Le Van est décédée. Le cœur brisé, l'homme en question a creusé une tombe pour la femme qu'il aimait, a recouvert son corps d'argile et a dormi « à ses côtés » pendant cinq ans.

Cette histoire est particulièrement triste. Pourtant, il y a quelque chose d'universel dans le combat des individus contre la mort et la séparation. La plupart des personnes en deuil se sentent connectées émotionnellement avec des objets qui représentent des êtres chers, comme les pierres tombales, les urnes funéraires et les sanctuaires. Or, certains experts en IA estiment que dans le futur, ce phénomène atteindra de nouvelles extrémités : certains humains remplaceront probablement leurs proches décédés par des clones robotiques synthétiques abritant une copie numérique du cerveau du défunt.

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« C'est comme quand les gens font empailler un chien ou un chat domestique qui les a accompagnés pendant plusieurs années. Certes, nous n'empaillons pas les humains, mais le robot constitue un moyen de conserver des informations sur leur personnalité, leurs souvenirs et leurs traits de comportement, » explique Bruce Duncan, responsable de Terasem Movement, une fondation à but lucratif dont le but est de trouver un moyen « de transférer la conscience humaine dans des ordinateurs et des robots. »

La société a déjà créé des milliers de « clones mentaux » afin d'archiver les souvenirs, valeurs et opinions de personnes spécifiques. En utilisant ces données, les scientifiques ont pu créé l'un des robots les plus avancés de la planète sur le plan social, une réplique de l'épouse du fondateur de Terasem Movement, Martine Rothblatt. Celle-ci a été baptisée Bina48 et s'est vendue à près de 150 000 dollars.

Rothblatt, qui est aussi la femme PDG la mieux payée de tous les Etats-Unis, avait en tête de créer une réplique numérique du cerveau humain. Elle a utilisé sa femme, Bina Aspen, comme prototype en installant ses « données mentales » dans un robot physique qui lui ressemble comme deux gouttes d'eau.

Recouverte de caoutchouc ayant la même texture que la peau humaine, Bina48 a été créée à partir de plus de 100 heures d'enregistrements audio de Bina expliquant ses croyances et relatant ses souvenirs en détails. Comme la vraie Bina, le robot adore les fleurs, possède une peau couleur caramel et un sens de l'humour basé sur l'autodérision. Il est capable de représenter plusieurs expressions faciales, d'accueillir des gens, de tenir une conversation (de manière un peu étrange, parfois) à l'aide d'un logiciel de reconnaissance faciale et auditive, d'un détecteur de mouvements et d'un accès Internet.

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« La définition de 'personne vivante' pourrait évoluer pour désigner toute entité qui rend accessible des informations organisées sur une personne. »

Bina48 a encore un peu de mal à s'engager dans des interactions sociales convaincantes, mais elle incarne avant tout une preuve de concept. En tant que mascotte de Terasem Movement, elle a pour mission d'encourager le public à s'engager dans un mouvement en faveur de la techno-immortalité. Ses concepteurs veulent montrer que dans le futur, la frontière entre le biologique et le synthétique pourrait être sérieusement mise à mal, explique Duncan. « La définition de 'personne vivante' pourrait évoluer pour désigner toute entité qui rend accessible des informations organisées sur un individu. »

Une version plus avancée des robots de type Bina48 pourrait débarquer sur le marché d'ici 10 à 20 ans, et coûter entre 25 000 et 30 000 dollars. Leurs applications sont potentiellement nombreuses et variées, même si c'est avant tout la réplication des défunts qui est visée. « Cela semblera très farfelu au début, parce que la technologie elle-même est nouvelle. Mais le désir de rester en contact avec quelqu'un après sa mort, lui, est éternel, » ajoute Duncan. « L'anthropologie nous montre projette des représentations humaines sur des objets inanimés depuis des centaines d'années. »

« Essayez de voir les choses différemment, » poursuit-il. « Quand le compas a été inventé, nous étions soudain capables d'explorer le monde d'une nouvelle manière. Mais le compas n'est pas responsable de notre envie de voyager en elle-même. »

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Au moins 56 000 personnes ont déjà collecté les informations nécessaires à la création de « fichiers mentaux, » un espace de stockage Internet dédié à la préservation « des caractéristiques uniques et essentielles d'une personne, » selon Lifenaut, une branche de Terasem Movement dédiée à la collecte gratuite de données humaines. Le but est de capturer l'essence des manières, croyances, souvenirs d'une personne afin de conserver ces caractéristiques sur une base de données qui pourra être extraite plus tard ; les données pourront ensuite être utilisées sur un robot ou un hologramme, selon le site web de Lifenaut.

Pourtant, de nombreuses personnes par ailleurs enthousiasmées par le projet n'aiment pas l'idée de vivre pour toujours par l'intermédiaire d'un avatar. Certaines veulent incarner une étape de l'histoire humaine exploitable par les historiens du futur. D'autres veulent avant tout être représentées au travers d'un projet artistique, ou contribuer aux recherches généalogiques de leurs descendants. Quelques uns peut-être utiliseront les robots pour « communiquer avec les morts », mais cela restera un désir marginal, explique Duncan.

Sa société n'est pas la seule à s'intéresser au concept de clones robotiques. L'année dernière, Google a déposé une demande de brevet pour un produit capable de répliquer la personnalité d'un humain, « proche décédé » et « célébrité » inclus.

Le brevet décrit un système reposant sur le cloud dans lequel une « personnalité » numérique peut être téléchargée comme une application. « La personnalité robotique peut également être modifiée à partir d'une base de construction de personnalité générique afin de fournir des états mentaux ou des humeurs représentants des conditions transitoires de bonheur, de peur ou de surprise, » explique le document. « La personnalité robotique pourra être partagée sur plusieurs robots situés dans des endroits différents. »

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Le brevet propose également que l'humeur du robot puisse changer et sa personnalité évoluer au fil du temps. Google a refusé de commenter leurs dernières avancées en la matière. Mais de nouvelles demandes de brevet ont été déposées mi-février, témoignant que le projet n'a pas été abandonné.

Pourtant, même si les géants de la tech semblent sur le point de s'investir corps et âme sur le filon, des projets similaires ont échoué par le passé. Il y a six ans, la société Intellitar, qui n'existe plus aujourd'hui, a lancé un clone numérique promettant « l'éternité virtuelle » à ses clients. Les utilisateurs pourraient uploader des photos, des échantillons vocaux et des tests de personnalité afin de composer un cerveau « avatar » pour 25 dollars par mois. Cependant, les activités de la startup se sont interrompues au bout de deux ans, en partie parce qu'elle n'avait réussi à rassembler que 10 000 clients.

Si ce concept semble si familier, c'est aussi parce qu'il a beaucoup inspiré la science-fiction, dont un épisode de la série britannique Black Mirror. On y voit une femme commander un avatar de son petit-ami défunt grâce à un service en ligne, puis s'engager avec lui dans une relation terrifiante impliquant sexe et dépendance émotionnelle.

Dans la vie réelle, il existe bel et bien une demande pour la réincarnation robotique, expliquent les experts du deuil. « Les gens estiment que le deuil est une expérience douloureuse, atroce, même. S'il existe un moyen de soulager cette peine, ils saisiront l'occasion, » explique Robert Zucker, conseiller en deuil et auteur de l'ouvrage The Journey Through Grief and Loss.

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Pourtant, de même qu'on ne peut pas compter sur les anxiolytiques pour régler ses problèmes, l'idée d'un avatar de deuil n'est peut-être pas la meilleure du monde pour affronter la perte d'un être cher. « Il y a quelque chose de très problématique là-dedans, » explique Zucker. « Ce désir semble être conduit par la peur, par le désir d'étouffer la douleur, de faire comme si elle n'existait pas. C'est une forme de déni très délétère. »

« Il existe de nombreuses manières de faire son deuil qui peuvent paraître étranges, voire extrêmes. »

Cependant, ajoute-t-il, « Il existe de nombreuses manières de faire son deuil qui peuvent paraître étranges, voire extrêmes. Mais tant qu'elles n'empêchent pas la personne concernée de passer à autre chose… on peut tout envisager. »

Les experts estiment qu'il faudra sans doute plusieurs dizaines d'années avant que la réincarnation robotique devienne quelque chose d'acceptable. « Il faudra sans doute quelques générations pour que les technologies de type 'fichiers mentaux' évoluent vers quelque chose de suffisamment abouti pour que la commémoration virtuelle devienne une pratique répandue, » suggère Duncan.

Pour lui, le concept n'est pas si éloigné que cela des pratiques actuelles en matière d'hommage aux morts, poursuit-il. « Les gens trouvent parfaitement normal de regarder des vidéos d'événements importants comme les mariages et les anniversaires. Il est tout à fait possible que, socialement, le fait de communiquer avec des avatars numériques de défunts de manière dynamique et interactive deviennent socialement acceptable avec le temps, » explique Duncan.

Les scientifiques ne captureront sans doute jamais ce qui fait l'essence d'un être humain, admet Zucker. « Une personne est plus que la simple somme de ses capacités intellectuelles et de ses expériences. »

Zucker pense qu'il ne faut pas rejeter les émotions qui font de nous des humains, dont la douleur du deuil. « Le deuil fait partie de la condition humaine. Il nous apprend des choses indispensables sur la manière de résister aux événements de la vie. En aucun cas nous ne devons nous en débarrasser. »