FYI.

This story is over 5 years old.

Sports

Exploitation au Qatar : un vrai risque pour les jeunes footballeurs ?

La politique de naturalisation du Qatar attire dans le pays des joueurs du monde entier. Mais le système de la kafala les rend vulnérables.
Image via Wikimedia Commons

En Angleterre, on a toujours eu un certain degré de snobisme concernant les joueurs nés à l'étranger qui sont sélectionnés par l'entraineur de l'équipe nationale. De fait, la plupart des joueurs responsables des échecs des Three Lions aux grands tournois, ces 20 dernières années, sont des Anglais de sang royal. Ouais, c'est à toi que je parle Graeme Le Saux !

Cependant, il existe certains pays comme le Qatar, l'hôte de la Coupe du monde 2022, qui croient que la naturalisation de joueurs représente une solution pour améliorer la densité de talents, et donc le niveau de la sélection nationale.

Publicité

« La QFA, la Fédération du Qatar de football, recrutait des joueurs vedettes comme [Frank] Lebœuf et [Gabriel] Batistuta, explique le docteur Mahfoud Amara qui fait des recherches sur la migration dans le sport à l'université du Qatar. Xavi a perpétué cette tendance, mais il semble que l'âge moyen diminue pour les joueurs étrangers qui signent des contrats en faveur des clubs qatariens. »

Une des explications de cette tendance est que les joueurs plus jeunes n'ont pas encore joué pour leur pays, ce qui signifie qu'ils peuvent demander la nationalité qatarienne et jouer sous les couleurs du Qatar. Amara explique que c'est le cas de Karim Boudiaf, un Français qui a déménagé au Qatar quand il avait 22 ans et qui, maintenant, cumule 25 sélections pour la sélection du pays. C'est la même chose pour Boualem Khoukhi, natif d'Algérie qui a porté le maillot qatarien à 29 reprises.

L'attrait pour les jeunes footballeurs peut être perçu comme une réaction à la stratégie sportive que le pays a adopté pour son équipe de handball, qui consiste en la naturalisation de joueurs étrangers confirmés. Un politique de naturalisation qui a plus ou moins porté ses fruits, puisque le Qatar s'est hissé en finale du championnat du monde de handball en 2015.

Le Ghanéen Mohammed Muntari compte 15 sélections pour l'équipe du Qatar // PA Images

« Récemment, surtout après Rio 2016, certaines personnes ont commencé à se poser des question au sujet de cette politique, précise Amara. Il y a eu la volonté, au moins pour le football, de faire de plus en plus appel aux talents locaux et d'investir plus d'argent dans la formation ».

Publicité

Alors que l'équipe du Qatar galère dans les qualifications pour le Mondial 2018 – l'équipe occupe la cinquième place de son groupe avec une seule victoire – certains pensent que la QFA, la Fédération de Qatar du football, va ralentir ou arrêter sa politique de naturalisation pour se concentrer sur le développement de jeunes joueurs locaux à Aspire, l'académie de formation du petit Etat du Golfe. L'entraîneur de l'équipe nationale, Jorge Fossati, a menacé de quitter son poste si un tel virage était décidé « Si la Fédération veut prendre une direction différente, je respecterai cette décision à 100 %. Ce serait mieux pour l'équipe nationale du Qatar d'avoir un entraîneur qui soutient une telle politique de formation », a-t-il expliqué au magazine Doha Stadium Plus.

Depuis sa prise de fonction en septembre 2016, l'Uruguayen s'appuie sur des talents étrangers comme le Brésilien Rodrigo Tabata ou son compatriote Sebastian Soria. Il est probable que Soria et Tabata jouent sous le maillot qatarien jusqu'au Mondial 2018. Le premier aura alors 35 ans et le second 37. Malgré tout, il semble évident que le futur de l'équipe nationale qatarienne s'écrive avec des joueurs naturalisés. Lors de son match de qualifications face à la Chine (0-0) huit joueurs nés à l'étranger étaient titulaires. Au Qatar, le marché du travail est composé à 90 % d'immigrés et on peut penser que le football reflète cette dépendance de la société envers la main d'œuvre étrangère. Et ce, même si Sepp Blatter, lorsqu'il était encore le boss du football mondial, estimait que cette politique de nationalisation pourrait détruire l'intégrité du jeu.

Publicité

Nous avons déjà évoqué les abus et autres mauvais traitements dont souffrent les travailleurs étrangers au Qatar, notamment ceux recrutés pour construire les infrastructures de la Coupe du monde 2022. Ces immigrés sont exploités, leurs passeports subtilisés et leurs faibles salaires pas toujours versés. Les footballeurs étrangers jouant au Qatar ne sont pas épargnés. Bien que certaines lois aient été changées le mois dernier, certaines associations et organisations humanitaires affirment que de nombreux travailleurs restent vulnérables et exploités via le système de kafala (parrainage).

« La législation met tant de responsabilité entre les mains des entrepreneurs, leur octroie tant de pouvoir, que les conditions dans lesquelles vivent les travailleurs immigrés varient énormément. Tout dépend de l'employeur, affirme James Lynch, directeur adjoint sur les grandes thématiques à Amnesty International et autrefois diplomate britannique à Doha. Ce que nous pouvons dire c'est que les violations des droits de l'Homme des travailleurs immigrés sont répandues. C'est une problématique très sérieuse ».

Ce système controversé lie les travailleurs à un employeur spécifique, ce qui les empêche d'en changer ou même de quitter le pays sans permission. Ari, footballeur togolais de 26 ans, a été victime du système de la kafala en 2014. Joueur professionnel en troisième division togolaise, il a décidé de quitter son pays pour le Qatar, en quête d'une vie meilleure, après avoir demandé de l'argent à sas parents afin d'obtenir son visa. Une connaissance lui a promis qu'il allait pouvoir être footballeur au Qatar et qu'il pourrait gagner suffisamment d'argent pour rembourser ses parents en quelques mois. Mais quand il a atterri à l'aéroport international Hamad, la situation était bien différente.

Publicité

« Ils ont pris mon passeport, il me l'ont volé, a déclaré Ari à VICE Sports. Ils m'ont dit que c'était la loi dans le pays. J'ai immédiatement pensé que nous allions devenir des esclaves. Puis ils nous ont emmenés dans une maison, là où nous allions vivre. Le lendemain matin ils nous ont donné des uniformes d'agents de sécurité et c'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que nous n'étions pas au Qatar pour jouer au foot ».

Xavi et d'autres stars ont terminé leur carrière au Qatar // EPA

Ari apprend à ce moment-là qu'il ne va donc pas être footballeur pour l'entreprise qatarie QTRS, où il travaillera de 6 heures à 18 heures sans week-end pour 1 110 riyals (288 euros). Pour le compte de QTRS, il a travaillé à l'ambassade de France pendant huit mois et lorsqu'il a demandé de l'aide aux diplomates français, ces derniers lui ont répondu qu'ils ne pouvaient pas l'aider. Comme il n'y a pas d'ambassade du Togo au Qatar, Ari a demandé l'aide de l'association Human Rights Watch qui l'a assisté dans ses démarches pour quitter l'émirat. Ari a ensuite travaillé à l'aéroport, toujours en tant qu'agent de sécurité.

« Après 14 mois à l'aéroport, j'ai dit que je voulais rentrer au Togo. Ils m'ont dit que je devrais payer 2 000 riyals pour récupérer mon passeport, raconte Ari. J'ai refusé mais ils ont tout de même accepté de me rendre mon passeport et j'ai pu rentrer au Togo le 5 décembre 2014. »

Il s'est avéré qu'il était précisé ''agent de sécurité'' sur son visa, mais ne lisant pas l'anglais, Ari ne s'en est pas rendu compte et, en vertu du système de parrainage, il était à la merci de son employeur une fois arrivé au Qatar. Aujourd'hui, Ari est footballeur professionnel dans son pays, mais son histoire n'est pas unique.

Publicité

Abdeslam Ouaddou, l'ancien défenseur marocain de l'AS Nancy-Lorraine, s'est fait remarquer après avoir gagné son procès contre Qatar Sports Club, le club lui ayant retiré son passeport suite à un litige relatif aux salaires. Aujourd'hui, Ouaddou utilise son image pour dénoncer le système kafala. De même, l'attaquant franco-algérien Zahir Belouis s'est vu retirer son visa de sortie après une dispute avec son club au sujet des versements des salaires. Il a déclaré que les 19 mois d'emprisonnement l'ont « détruit ».

« C'était très, très dur, affirme Zahir. Aujourd'hui, je remercie le Seigneur, j'ai retrouvé une vie normale, avec ma famille. Mais c'était horrible, je ne souhaite ça à personne. »

Zahra Babar, directrice adjointe de la recherche au Centre d'études internationales et régionales à l'université de Georgetown au Qatar, constate que les projecteurs seront fixés sur le pays avant le Mondial en 2022. Cela signifie que le Qatar va essayer de répondre aux critiques en essayant « d'engager des réformes, qui ne satisferont pas nécessairement les attentes des organisations internationales comme Amnesty ».

Alors, pourquoi les joueurs sont-ils attirés au Qatar ? La réponse évidente est l'argent, mais selon Babar, les joueurs peuvent être attirés par la perspective d'obtenir la nationalité qatarienne. Bien qu'il y ait peu de joueurs qui obtiennent la nationalité en jouant dans le pays, elle estime que beaucoup de footballeurs l'utilisent comme un tremplin pour obtenir un passeport dans un autre pays, comme le Canada, l'Australie ou Saint-Christophe-et-Niévès.

« Ils viennent ici, ils gagnent de l'argent et sont en sécurité pour quelques années, explique Babar. S'ils ont été athlètes ici, ils ont une bonne situation, ils ont voyagé. Ils ont développé leur crédibilité et leur légitimité, ce qui leur permet d'obtenir plus facilement une citoyenneté que dans leur pays d'origine ».

Mais les lois de travail régressives au Qatar signifient que les jeunes joueurs attirés par l'argent, ou la possibilité d'obtenir facilement un passeport, sont peut-être plus exposés à l'exploitation. Une exploitation inconnue par les grands noms venus en préretraite au Qatar.