Dessin de Ralph Damman
Dessin de Ralph Damman

FYI.

This story is over 5 years old.

Music

Confessions d’un ancien fan de metalcore chrétien

De l’importance du genre musical dans la vie d’un adolescent blanc évangélique en pleine découverte de sa sexualité.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

Cet article a été initialement publié sur VICE US.

Nous avons roulé près de 60 heures pour assister au concert.

C'était en plein hiver, début 2013. Nous étions sept à avoir économisé un peu d'argent. Il nous paraissait sensé de faire le trajet dans un van de location décrépit depuis Calgary jusqu'à Détroit pour voir jouer le légendaire groupe de metalcore chrétien Underoath.

Sur la route, nous avons crevé deux pneus et bousillé le démarreur. Un préposé de station-service nous a généreusement offert ses câbles de démarrage à trois heures du matin et nous a conseillé d'arrêter le moteur. La bière aqueuse du Wisconsin nous a rendus malades et, dans un élan de frustration, nous avons jeté le pack dans la neige. Enfin, nous avons attendu trois plombes à la frontière – un de nos amis s'est fait arrêter par la Gendarmerie royale du Canada pour une histoire de billet de transit.

Publicité

Sans surprise, le voyage en valait vraiment la peine.

Voir Underoath et deux autres de mes groupes préférés jouer dans une salle comble – avec un élégant toit en dôme et une immense scène flanquée de deux véritables armures – a été pour moi une expérience quasi religieuse, la fin effective d'une très longue obsession pour ce genre musical et la culture associée.

Le metalcore chrétien a fait partie de ma vie pendant des années. Depuis, j'ai abandonné la religion pour adopter l'agnosticisme, et dit adieu au metalcore en faveur de la trap et de la techno. J'éprouve toujours une profonde affection pour ce genre musical – comme beaucoup de mes vieux amis –, et il me fallait mettre des mots sur les expériences que nous avions vécues et comprendre la raison pour laquelle elles ont toujours une telle résonance aujourd'hui.

La petite visite chez le disquaire chrétien local – qui a depuis laissé place à un strip-club – était le temps fort de mes semaines d'adolescent. J'y ai acheté des centaines d'albums d'August Burns Red, Norma Jean, As I Lay Dying, Demon Hunter, Oh Sleeper et Haste the Day (ainsi que des groupes moins orientés metal mais tout aussi dévots, comme Project 86, Thrice, P.O.D. et Pillar). Je collectionnais posters, documentaires, T-shirts et autographes. Une fois, le groupe Becoming the Archetype a squatté l'appart d'un de mes potes pendant sa tournée, mais je n'ai malheureusement pas eu le courage de me présenter – la faute aux innombrables heures passées à écouter leurs morceaux impressionnants sur MySpace.

Publicité

Pendant près d'un an, j'envisageais très sérieusement de me faire tatouer des paroles d'Underoath sur l'avant-bras, chaque mot imitant l'écriture d'un ami différent. Cela m'aiderait, me disais-je, à rester « responsable » et résister à la tentation de la pornographie en ligne ; à chaque fois que j'en ressentais le besoin, je chantonnais leurs chansons dans le sous-sol de mes parents en priait. Et souvent, ça marchait.

On ne peut pas nier le rôle du genre musical dans la vie d'un adolescent blanc évangélique, socialement et sexuellement anxieux, ayant grandi dans les Prairies canadiennes. Le metalcore chrétien est souvent lié à une forme toxique de masculinité ; par exemple, le chanteur d'un de mes groupes préférés, Pillar, était réserviste dans l'Armée, ses chansons ont souvent un rapport avec cette expérience. Il y a en outre un aspect de sexualité réprimée et d'homoérotisme en jeu.

De même, avoir le nez ensanglanté après s'être pris un coup de coude à un concert d'August Burns Red était presque un rite de passage. Tout comme sauter dans la fosse à un concert d'Haste the Day à Edmonton – la capitale de la province canadienne de l'Alberta.

Paradoxalement, ce sentiment communautaire a aidé à assouvir quelques-uns des besoins réprimés par la même religion qui a donné naissance à de tels groupes. L'histoire du metal chrétien est profondément marquée par cette tension particulière. J'ai récemment discuté avec deux professeurs et spécialistes du genre musical : Marcus Marr de l'Académie d'Åbo en Finlande et Eileen Luhr de l'université d'État de Californie. Tous deux ont souligné une même tendance : les groupes de metal chrétien des années 1980 – comme Stryper, Whitecross et Stryken, ce dernier ayant essayé, en 1987, de ruiner un concert de Mötley Crüe en se pointant avec une croix de quatre mètres de long – étaient ouvertement religieux, alliant prestations glam-heavy, appels à la repentance et distributions de tracts.

Publicité

Selon Luhr, nombre de groupes ont écrit au sujet de l'abstinence, de l'avortement et des droits des homosexuels. Leur inspiration était souvent liée au projet de Saint Paul et Jésus d'évangéliser les païens jusqu'aux « confins ». Alors pourquoi pas les fans de metal ? Ça n'a jamais vraiment marché. Comme l'explique Marr : « C'était trop metal pour les chrétiens, et trop chrétien pour le metal. » Les fans de metal de la première heure vous diront qu'il s'agissait d'un exercice de prosélytisme. Au fil du temps, le degré de visibilité de la foi a largement diminué, les groupes chrétiens ayant suivi le chemin d'autres artistes comme Amy Grant et King's X.

Ça ne voulait pas dire que ce n'était plus un élément central du projet ; si des appels à la repentance et des « Dieu vous bénisse » se faisaient entendre à l'occasion, il était surtout question de déchiffrer des paroles et des clips cryptiques. Après tout, les cris et les grognements permettent à certains chanteurs de raconter des trucs ridicules en toute impunité.

Shannon Low – chanteur d'Order of Elijah – m'a précisé que les chansons des groupes de metal religieux étaient principalement « axées sur le croyant ». « On essaie de garder ce segment sociologique en tête, déclare-t-il. On perd énormément en liberté artistique, puisqu'on essaie de répondre aux besoins d'un segment en particulier. Et si on ose montrer le moindre signe d'humanité, on nous reproche de ne pas être un "vrai" groupe chrétien. »

Publicité

En mai 2016, Low a posté un long « témoignage » sur la page Facebook du groupe. Il y détaillait sa perte de foi à la suite de son divorce, sa plongée dans l'alcoolisme et sa découverte du biologiste évolutionniste Richard Dawkins. Selon Low, le groupe a connu une « transition parmi ses fans » et le post a « repoussé beaucoup de fondamentalistes ».

Les fans évangéliques exigent souvent une stricte adhésion à la religion, même si celle-ci ne passe que par des paroles cryptiques et des dédicaces occasionnelles à Jésus. Autrefois, j'aurais coupé les ponts avec Order of Elijah suite à de tels propos. Il ne s'agissait pas tant qu'un groupe soit forcément explicite au sujet de sa foi, mais plutôt de sa mentalité. Les groupes chrétiens m'aidaient à lutter contre la constante tentation du porno.

Low affirme avoir rencontré beaucoup de fans qui étaient capables de lui parler de tous les groupes de metal chrétien underground, mais qui ne connaissaient aucune chanson de Slipknot (j'en faisais partie).

En 2013, Tim Lambesis – chanteur du très influent As I Lay Dying – a été condamné pour avoir embauché un tueur à gages dans le but d'assassiner son ex-femme. Il a ensuite admis avoir feint sa croyance pendant des années dans le seul but d'accroître son nombre de fans. À l'époque, il a déclaré qu'« un groupe chrétien sur 10 avec lesquels nous sommes partis en tournée était en réalité chrétien ».

Publicité

Il ne s'agit pas, bien entendu, de suggérer que se détourner de la religion implique de tuer sa femme. Mais peut-être qu'il y a une leçon à tirer de la façon dont le genre musical pousse les musiciens – et, par conséquent, les fans – à adhérer à certains récits collectifs, quitte à mentir. Les obligations associées au christianisme évangélique peuvent devenir beaucoup plus digestes lorsque vos modèles masculins y croient.

L'inverse est également vrai et libérateur. Le chanteur d'Underoath aurait lutté contre des problèmes d'addiction l'an passé ; Low affirme que la plupart des groupes de metalcore chrétien qu'il connaît boivent et fument. Si ça ne concerne pas le genre metal dans son ensemble, des poids lourds de l'indie chrétien comme Derek Webb de Caedmon's Call ou David Bazan de Pedro the Lion ont publiquement mis à mal leur foi, le dernier s'étant fait expulser d'un festival de musique chrétien en 2005 après s'être baladé avec une bouteille de vodka.

Voir « tomber » mes héros a été tragique pour moi à l'époque. Finalement, de telles évolutions sont devenues le symbole des faiblesses personnelles qui touchent tout un chacun. Au fil du temps, je me suis mis à écouter des groupes de metal non-chrétien pour lesquels je n'avais aucune considération auparavant : Between the Buried and Me, Parkway Drive, Lamb of God. Des paroles comme celles de Dillinger Escape Plan : « Save us from the nonexistent/teaching that suffering is love/suffering is not love » (Sauvez-nous du néant/qui nous enseigne que la souffrance est amour/la souffrance est tout sauf amour) avaient une importance toute particulière pour un gosse comme moi, qui se laissait littéralement mourir de faim pendant des jours pour plaire au Seigneur.

C'est pourquoi le séjour à Détroit a eu une telle influence : il a marqué la fin d'une époque. Underoath conçoit toujours un T-shirt unique qu'il distribue lors de chaque dernier concert d'une tournée. Celui réalisé pour le concert de Détroit représentait une chaîne de montagnes brumeuse, noire et grise, sur un fond jaune pâle. Il était assez représentatif du moi de l'époque : j'étais de retour dans les Rocheuses, incertain de ma foi et de mon avenir, mes oreilles étaient flinguées à cause du concert et j'étais toujours malade à cause de la bière du Wisconsin.

Le T-shirt, quant à lui, est toujours dans mon placard.

Suivez James Wilt sur Twitter.