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société

Quand se masturber devient une déviance sexuelle

On a demandé à une sexologue de nous expliquer pourquoi certains hommes se masturbent devant les autres sans leur consentement.
Photo par Ben Gabbe/Getty Images pour le Tribeca TV Festival

« J’ai 42 ans, et je suis vraiment bon pour me masturber. Je suis le meilleur masturbateur de la Terre. Personne n’est meilleur que moi, alors je vais continuer. Je vais me concentrer là-dessus et sur l’éducation de mes enfants. Je sais que ce n’est pas bien de dire ces deux choses dans une même phrase, mais ce sont vraiment les deux choses que je fais le mieux », affirmait l’humoriste américain Louis C.K. en 2010 dans l’épisode Night Out de sa série Louie. Sept ans et plusieurs blagues sur la masturbation plus tard, Louis C.K. s’est vu confronté aux témoignages de cinq femmes relayés dans le New York Times racontant qu’il s’était masturbé devant elles. Le 10 novembre dernier, au lendemain de la publication, il avouait que les témoignages sur lui étaient véridiques. « Je me disais que c’était correct parce que je ne montrais jamais mon pénis à une femme sans le lui demander d’abord. Ce que j’ai appris plus tard dans la vie, trop tardivement, c’est que, lorsque tu es en position d’autorité sur une personne, lui demander de regarder ton pénis n’est pas une question. C’est la placer dans une situation difficile. »

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Exhiber son pénis par surprise pour provoquer la peur, le désir ou l’humiliation

Le comédien n’est pas le seul homme accusé de s’être touché le sexe sans le consentement de la personne forcée de le regarder. La journaliste de Fox News, Lauren Sivan, a rapporté que le producteur Harvey Weinstein s’était fait jouir dans une plante, au restaurant Cipriani, après qu’elle avait refusé de l’embrasser. Elle couvrait à l’époque les nouvelles locales de Long Island, dans l’État de New York. Le fondateur de la compagnie American Apparel, Dov Charney, s’était aussi masturbé devant une journaliste. Claudine Ko racontait qu’en 2004, il lui aurait confié qu’il était un peu un dirty guy, mais que les gens appréciaient ça à ce moment-là. En sa compagnie, en l’espace d’un mois, alors que Claudine Ko tentait d’écrire un article sur les particularités de son entreprise pour le magazine Jane, Dov Charney se serait masturbé environ huit fois devant elle. Un tel comportement, répété plusieurs fois, révélerait une paraphilie, soit une pratique sexuelle qui dévie de la norme. Pascale Robitaille, une sexologue s’intéressant à la gestion de la sexualité compulsive et atypique, travaille avec certains exhibitionnistes et capte leur logique obsessive, tentant de les rendre conscients de la violence de leur geste et des séquelles en découlant.
En entrevue avec VICE, elle explique que, même si la masturbation n’implique pas de contact physique ou verbal avec une victime, ce n’en est pas moins un acte potentiellement sadique. « Les délinquants sexuels veulent humilier, provoquer la peur, causer la surprise. Ils veulent coincer et se faire une victime, quand celle-ci ne s’y attend pas », résume-t-elle.

Sadique, délirant ou en manque de réconfort

Ces agresseurs jouissent du pouvoir qu’ils ont sur les autres. Si certains exhibitionnistes souhaitent n’importe quelle réaction, même le rire, les agresseurs pervers ne veulent pas de réactions positives. « Si une femme voit le pénis d’un sadique et qu’elle dit amène-la-moi, ta grosse graine, il peut débander. »

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D’autres, plus rares, croient réellement que l’idée de s’exhiber peut exciter une personne qui ne s’attendait pas à voir un pénis apparaître par magie devant elle. « Il y a un double standard dans la société. L’exhibitionnisme féminin est plus valorisé que l’exhibitionnisme masculin. Quelques hommes que je vois en thérapie trouvent plaisant quand une fille se montre, alors eux aussi veulent faire plaisir. Ils projettent leurs propres fantasmes. Ça peut devenir délirant », note la sexologue. Dov Charney avait mentionné à Claudine Ko que se masturber devant une femme était sous-évalué. Pour lui, c’était une expérience sensuelle, facile à apprécier pour une femme, qui n’implique aucune violation. « Lorsque l’homme a libéré sa semence, c’est fini et tu peux continuer la conversation. » Pascale Robitaille a aussi été confrontée dans sa vie personnelle à un homme qui croyait l’exciter en sortant simplement, sans avertissement, son pénis devant elle. Elle relate que, lors de ses études universitaires, un étudiant qu’elle n’avait pas l’habitude de fréquenter est débarqué un midi chez elle, entre deux cours. Il a demandé à se rendre à la salle de bains. Elle a continué de manger son lunch, puis elle l’a vu sortir de la salle de bains, tout nu. Il a commencé à se toucher devant elle. « Il a dû se dire que je ne serais pas capable de me retenir. Il était perdu dans ses fantasmes. Je suis restée à table et je lui ai dit : “Écoute, mon grand, tu peux te finir, mais je ne t’aiderai pas.” » Quelques hommes ont des sentiments mitigés par rapport à leur sexe. Ils ne l’aiment pas ou se sentent inadéquats. Ils imposent alors cette partie du corps par colère ou par besoin de renforcement positif. Se masturber en espérant du réconfort se produit dans cette optique. « Ce genre d’exhibitionnistes ont des complexes. Ils ont par exemple besoin d’être rassurés sur la taille de leur pénis », explique Pascale Robitaille.

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Remords chorégraphiés ou réels?

Dans la lettre d’excuses de Louis C.K., le remords est mentionné : « Je regrette mes actions. J’ai essayé d’apprendre d’elles. Et de les fuir. Maintenant, je suis conscient de leurs conséquences. Le regret le plus difficile à accepter est de savoir qu’on a causé du mal à quelqu’un. » Pour Pascale Robitaille, il est nécessaire d’expliquer les conséquences de tels actes d’exhibition, même si certains de ses patients manquent d’empathie. Elle a déjà traité un compulsif qui se masturbait devant toutes les amies de sa femme. Il les touchait aussi. « Avant un de nos rendez-vous, il s’est masturbé dans la salle d’attente. Je lui ai indiqué qu’il ne pouvait pas faire ça, que je ne le suivrais plus s’il continuait. Il ne peut pas savoir qui il fragilise quand il fait ça. Si une fille dans la salle d’attente avait subi une agression sexuelle… Il avait de la misère à comprendre que son geste pouvait provoquer de la peur. Pendant nos consultations d’une heure, il tremblait, tellement c’était dur pour lui de résister à la tentation de se masturber. »

Le hasard déclenche un intérêt sexuel pour l’exhibitionnisme non consenti

Boris, lui, connaît cette envie de se masturber, lorsqu’il est excité devant une fille qui se penche devant lui et qu’il devine la courbe de ses seins. « C’est un fantasme, mais je n’irais pas jusqu’à me crosser devant elle. Je l’ai fait aux danseuses, mais dans les toilettes, tout seul. » Il n’aurait pas connu, lors de son développement sexuel, un événement exhibitionniste gratifiant et émotionnellement assez fort pour le marquer. La sexologue Pascale Robitaille constate que souvent le hasard crée un intérêt sexuel inhabituel pour des tendances déviantes. « Ça peut être dans les vestiaires, sous la douche, à l’école secondaire. Un gars a pu voir un autre le regarder et ça l’a excité, ou il s’est imaginé que c’était une fille qui prenait plaisir à le voir se dénuder. Le goût du risque relié à l’exhibition a pu se développer à partir de ce moment-là. »

Se masturber sans être un prédateur

La peur et l’excitation sexuelle étant très proches dans le cerveau, celui qui cherche à vivre des émotions fortes provoquera des situations dangereuses pour se satisfaire. Pourtant, avec le consentement de l’autre, la masturbation peut-être une pratique satisfaisante aussi. Les cinq sens sont présents dans toute aventure sexuelle, mais la majorité des personnes seront allumées par la vue et se situeront entre voyeurs ou exhibitionnistes. « Si ça excite quelqu’un d’être regardé et de créer un effet sur l’autre, il est possible de recréer cet émoi avec un conjoint. Ou de le faire dans un cadre professionnel, en devenant danseuse. Il y a des moyens de se faire voir sans entrer dans la délinquance sexuelle et dans une dynamique de prédateur », selon Pascale Robitaille. Quand Louis C.K. insinuait, en 2007, dans son spectacle d’humour Shameless, que les hommes avaient absolument besoin de jouir, sinon ils deviendraient des tueurs en série, il aurait dû prévoir que ce n’était pas une excuse pour s’exhiber devant des femmes qui l’admiraient et qui ne pouvaient rien faire dans l’immédiat, sauf se soumettre à son pouvoir et à son foutre plus oppressif que spectaculaire.

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