Une journée dans la fournaise du championnat de France de Street Fighter

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Une journée dans la fournaise du championnat de France de Street Fighter

Rien ne vaut la camaraderie, les drapeaux, les supporters régionaux, le hooliganisme bon enfant et le folklore entourant les petites rencontres d’un événement local.

L'année dernière, comme un gland, j'ai raté le Red Bull Kumite alors qu'il se déroulait dans ma ville. J'ai ainsi loupé un truc qui me faisait fantasmer depuis les premières fois où je me suis écharpé avec des potes sur Street FIghter II : un championnat de Street Fighter comme on n'en voit que dans des films de science-fiction. Une arène entourée de chaînes, des éclairages électrisants, une ambiance de WWF comme au début de Highlander. Un rêve que l'EVO avait déjà concrétisé. Mais pas loin de chez moi, à ma connaissance, le Red Bull Kumite était le premier à donner un peu d'ampleur à ce qui me semble être le seul eSport qui vaille : le jeu de baston. Et plus précisément, le plus légendaire d'entre eux : Street Fighter. Depuis plus de 25 ans, le jeu de Capcom domine la compétition malgré une concurrence pas honteuse. Pourquoi ? À cause du charisme inégalé de son roster, la manière dont il s'est indiscutablement inscrit dans l'ADN de n'importe quel mec ayant un jour tenu une manette ou un stick dans ses mains, et finalement, malgré les différentes alternatives, parce qu'il demeure LA référence. Celle vers qui tout le monde se tourne pour se pâmer devant des décors chatoyants et des génériques d'anthologie.

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J'attendais la nouvelle édition de la compétition Red Bull de pied ferme, quand j'ai vu que le directeur sportif du championnat international organisait une Coupe de France. J'allais peut-être passer à côté des pontes asiatiques, mais finalement – même si la France ne brille pas particulièrement sur League of Legends – en 2014 le champion de SFIV Ultra de l'EVO venait de Vitry-sur-Seine. Et Luffy participait évidemment à l'event, à la tête de l'équipe de Courbevoie et aux côtés de 120 combattants venus des quatre coins de la France. À défaut d'un Mondial, je saurai parfaitement me contenter d'une coupe de France plus ancrée dans le local. Ça ne me déplaisait pas. J'imaginais déjà la camaraderie, les drapeaux, les supporters régionaux, le hooliganisme bon enfant et le folklore entourant les petites rencontres d'un stade communal plutôt que national.

Le championnat allait se dérouler en 5v5, vieux format populaire désormais un peu tombé en désuétude dans les compétitions de VS Fighting. C'est le format souhaité par Guillaume Dorison, l'organisateur de l'événement, qui ne l'aurait pas vu autrement. « Pour moi, c'est le format idéal, parce que ça permet des retournements de situation en plein match qu'on ne voit pas forcément, ou pas comme ça, dans du 1v1 », m'explique-t-il sur les coups de 11h30, alors que les premières équipes commencent à prendre place autour des bornes installées à l'entrée du Grand Rex. Sur scène, 10 bornes entreposées symétriquement. À droite de la scène, un groupe répète des thèmes classiques de Street Fighter II à la guitare électrique et au violon électronique. Le rendu est plus proche d'un Stunfest que du Kumite fantasmé, mais après tout, qu'importe. Cette après-midi passée dans les vapeurs d'un Grand Rex transformé, pendant près de 10 heures, en un stade rempli de supporters de 24 villes différentes allait surtout m'apprendre que : 1 – Guillaume ne plaisantait pas quand il me parlait de retournements de situation. 2 – Le groupe qui fonctionnait bien en répétition m'a collé un frisson de la honte quand il est monté sur scène, quelques heures plus tard, pour faire la transition entre les matches de poules et les quarts de finale.

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Le 5v5 est un format rare mais foutrement excitant puisqu'il tire parti du meilleur de tous les mondes : l'instantanéité d'un match de VS, et l'esprit, la tension et les rebondissements qui ne peuvent émaner que d'un jeu en équipe. Comment rendre le 1v1 imposé par une Street Fighter soluble dans le format eSport le plus populaire actuellement ? Le 5v5 est une solution viable, et vu la réaction du public ce samedi 11 mars, un modèle à reproduire pour permettre à Street Fighter de prendre un peu de grade sur le scène eSport. Aujourd'hui encore, le jeu de Yoshinori Ono a beau bénéficier d'une notoriété bien plus importante que n'importe quel LoL ou Hearthstone aux yeux du grand public, il demeure un jeu relativement peu primé (120 000$ pour la dernière Capcom Cup, 2,7 millions pour la dernière Summoner's Cup de League of Legends, et ici, 30 000 euros pour l'équipe gagnante – « Pas mal quand même », s'enorgueillit Guillaume Dorison). Et il n'est pas aussi suivi que certains autres jeux compétitifs de haut niveau. Injustement, je dirais. Mais à en croire le fil Facebook du groupe français de LoL, je n'ai clairement pas l'esprit taillé pour jouer au jeu de Riot, ni pour matter un match. Si ça ne tenait qu'à moi, on disputerait la coupe de France de Street Fighter au Stade de France. Mais en 2017, c'est donc au Grand Rex que ça se passait, et ce n'était pas forcément plus mal.

Crédits : Al Batard

Comme il était autour de midi et que le championnat ne démarrerait pas avant 14h, Guillaume Dorison a profité de 5 minutes de battement pour me présenter le tournoi et ce qu'il en attendait. « Il ne s'agit pas de se mesurer au Capcom Pro Tour ou à l'EVO. Ce que je veux, c'est créer des events locaux, mais importants, m'a-t-il expliqué, un œil sur la scène baignée de lumière bleue et des riffs esquissés par le groupe Neko Light Orchestra. Courbevoie, Paris et Lyon sont les favoris, mais j'aimerais vraiment voir gagner une équipe inattendue genre Brest, Dijon ou Nancy… » Loin d'envisager un événement à la hauteur d'un championnat de classe internationale, Guillaume a tout fait pour que le spectacle demeure bon enfant avec le plus de participants possible. A 5 euros le billet – « un prix symbolique pour s'assurer que les mecs qui se sont inscrits se pointent » - vous pouviez donc voir les « meilleurs joueurs de France » se disputer la compétition par équipe et enchaîner les combats au fur et à mesure que les vaincus laissaient la place aux combattants suivants. Chacun était guidé par un capitaine chargé de recruter ses poulains parmi ses connaissances et au sein des championnats associatifs locaux – « enfin, tout le monde se connaît dans le milieu », me confiera plus tard le capitaine de l'équipe de Nancy. Ça aurait pu sentir l'embrouille et le low-kick dans les tribunes de supporters, mais d'après l'organisateur zélé, l'ambiance est bonne. « L'idée, c'est vraiment de créer une bonne émulation. Les mecs viennent applaudir leur équipe, mais je pense qu'une partie des spectateurs présents n'a jamais touché à Street Fighter. C'est un peu l'esprit que je veux donner à ce championnat », m'assure-t-il avant d'accueillir les centaines de spectateurs investissant le par terre du cinéma parisien.

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Il est 14 heures quand les premières équipes prennent place pour Dijon/ Courbevoie, aka l'une des « petites équipes » que Guillaume aurait aimé voir en quart contre… les monstres de Courbevoie dirigés par Luffy. Sur scène, c'est le chaos. Les joueurs en attente ou vaincus s'affairent autour des bornes. Dijon arrive tout de même à sortir un Courbevoisien avant de recevoir le fessée attendue. 5-1, on n'en parle plus. Match suivant : Nancy/Lille. A posteriori, il semblait assez évident que ce match en particulier s'inscrirait au Panthéon de la journée, puisqu'il commençait avec un match Isoudw (Nancy)/ Ryuuk (Lille) avec un gros avantage pour le Lillois, pour la simple raison que Isoudw avait décidé de se défaire de Guile – perso sur lequel il excelle et qui est particulièrement balèze sur SFV – pour s'essayer à Juri, perso méprisé au possible. « J'étais pas d'accord. J'ai pas compris son choix. Je l'avais pris exprès pour qu'il balance son Guile. Avec un bon tank dans l'équipe, on se voyait gagner… Et là il prend Juri… Le perso a des bons poke, et Isoudw est très bon, mais il était pas prêt, m'a affirmé plus tard le capitaine de l'intrépide compétiteur. Mais il m'a dit qu'il avait plus le feeling avec Guile, et ça, j'ai respecté. Si y a pas de fusion entre le joueur et le personnage, ça sert à rien. » Dans ses conditions, il parait normal de lancer Juri en première ligne. Malgré une bonne défense face à la R. Mika de Ryuuk, Isoudw et son bonnet finissent au tapis. Ryuuk semble d'ailleurs particulièrement impitoyable et enchaîne un streak mémorable jusqu'à se retrouver face au Gouki du capitaine de Nancy – « Mon perso préféré c'est Ryu, à cause de son bandana. Mais Akuma me plaît, même si sa barre de vie le fragilise vachement », m'expliquera-t-il après son passage. Abdess ne fait qu'une bouchée de son adversaire, ou presque. Déterminé, concentré, le joueur ressemble à Drake dans ses jours les plus classe – ceux où il porte des verres de correction. Enchaînent un second joueur, puis un troisième et enfin un quatrième. Le public est en liesse. Nancéen ou pas, impossible de ne pas vibrer face à l'exploit sportif qui est en train de se dérouler sur la scène du Grand Rex. Abdess, capitaine de Nancy, vient de décimer l'équipe qui semblait bien partie pour battre la sienne grâce à la rage de son premier joueur. Voilà exactement le genre de retournement de situation dont me parlait Guillaume en début de journée.

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Si certains matchs se jouent à un poil de couille de barre de vie près, aucun n'a réussi à faire monter la tension comme le face-à-face final qui oppose Abdess et son Akuma à Verdoyance et son Birdie – l'un des personnages les plus prisés de la compétition, dont la présence fera un sinistre écho à un match ultérieur. Malgré sa grosse maîtrise, Abdess se laisse piétiner par Verdoyance, qui n'a pourtant pas l'air en confiance face au bourreau de son équipe. Alors qu'on le sent flancher, avec une barre de vie largement entamée en fin de troisième round, Akuma se réveille et enchaîne de manière invraisemblable le Birdie de Verdoyance. Aucune ambiguité possible, le sauvetage est total. Abdess assène un ultime coup à son adversaire et pousse son équipe en quart de finale. Un exploit qui galvanise la salle et transforme Abdess, à mes yeux en tout cas – mais de certains échos, je n'étais clairement pas le seul – en héros de la journée.

Après ce match, difficile de retrouver le souffle suscité par la performance du Nancéen. Les rounds s'enchaînent alors que les commentateurs s'époumonent sur des « dragons », des « zoning », des « pressing » et des « reset ». Ken Bogard a été retenu par Millenium, me souffle un mec de chez O'Gaming, mais la star des casteurs n'aurait pas forcément aidé un néophyte à s'y retrouver dans ce jargon qui a bien évolué depuis mes journées passées sur Street Fighter II. Je crois que je n'ai pas entendu un « Shoryuken » prononcé de la journée – sinon dans la bouche du pathétique chanteur du Neko Light Orchestra, engoncé dans une espèce de costume de Glenn Danzig à sa pire époque, essayant de chauffer la salle, au demeurant réceptive avec ses riffs 16 bits réorchestrés. J'aurais voulu lui dire que son soundcheck était moins ridicule, mais je n'ai pas eu l'occasion de le faire. L'ambiance commençait à se chauffer. Les quarts approchaient et tout le monde attendait de voire ce que l'équipe de Nancy allait pouvoir donner à ce niveau de la compétition. Après un match Fort-de-France/ Lyon survolé par l'équipe menée par TKR, le Grand Rex accueille un classico : Paris/ Marseille.

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Supporters devant le Rex. Crédits : Al Batard

Dans la salle, l'ambiance a changé. On n'entend plus les petits boudins gonflés qui font « clac clac » plus fort qu'une paire de mains – accessoire indissociable de toute manifestation eSportive. Les cris de passion suscités par les coups balancés à la gueule de l'adversaire ont pris le pas. On n'applaudit pas une équipe, on applaudit une action. Personnellement j'ai beaucoup de mal à m'y retrouver, parce que j'ai surtout envie de soutenir des personnages. Comme mon personnage préféré sur SFV, Necalli, est très rarement préempté, je me retrouve souvent à applaudir, comme le reste du public, la belle action, bien plus facile à saisir dans un round de Street Fighter que dans un match éreintant de League of Legends. Je défie n'importe quel lecteur du site de L'Equipe qui manifesterait un semblant de dédain face à un article dédié à l'eSport de ne pas se prendre au jeu en se retrouvant au cœur d'une telle salle, portée par un beau match de VS Fighting en 5v5. Paris ayant plié Marseille, c'est à Courbevoie de remonter sur scène. Pour faire face à Nancy. Coup de chaud pour Abdess et son équipe qui se retrouvent face aux favoris de la journée. « Je crois que je m'étais vidé pendant les poules », me confiera Abdess, qui, effectivement, ne fait malheureusement plus le poids pour sauver son équipe des mains agiles d'un Birdie contrôlé par un Genius au sourire carnassier et intraitable. « J'ai même pas cherché à attaquer, je me suis mis trop en recul. Mais Genius, il ne réagit pas comme les autres Birdie, m'avouera Abdess. Pourtant j'ai l'habitude de jouer contre lui… Mais là je sais pas… c'est contre moi-même que j'ai perdu le combat. »

Rincé par la défaite de celui qui restait mon favori de la journée, j'ai préféré quitter la salle avec lui, déconfit et plus du tout motivé pour suivre la suite des hostilités. La journée s'est apparemment terminée, tard, sur un match attendu Courbevoie/Paris, duquel Courbevoie est sorti triomphant, confirmant les pronostics. Ouais, l'équipe de Luffy avait gagné. Et après ?

L'âme un peu en peine, je repense à la remontée légendaire d'Abdess, prof de dessin manga à Nancy et passionné de Street Fighter. Quand je l'ai appelé pour qu'il me raconte son expérience deux jours plus tard, le capitaine nancéen - Abdesselam Boutadjine de son vrai nom, 28 ans, et auteur du manga Team Handball – m'a raconté qu'il adorerait intégrer une équipe pro si l'opportunité se présentait. En revanche, très raisonnable pour un mec qui a passé ces 20 dernières années à s'astiquer le manche sur tous les jeux de baston possibles, il ne se voit pas jouer à Street Fighter dans 20 ans. « Je vais jouer longtemps, mais à un moment, faut se remettre en question, m'a-t-il confié. Si je vois que je gagne rien, je ne sais pas si je continuerai à jouer. Je pourrais peut-être être coach, parce que je sais comment fonctionne le mental d'un joueur. Et c'est ça qui compte le plus. Et qui m'a manqué en quart. » Par ailleurs, il sait qu'il peut compter sur la jeune garde coachée par son association NTSC pour prendre la relève. « Ça me ferait plaisir de gagner quelques compétitions, voire de me trouver un sponsor, a-t-il ajouté. C'est pour ça que j'aurais bien aimé gagner ce tournoi. Ça aurait permis de faire parler un peu de moi. De moi et de l'équipe. Quand tu vois David Dayum, qui joue Dahlsim, il est super prometteur. Nwa54 aurait pu faire de gros dégâts aussi. Il était vraiment en colère de perdre. »

Mais qu'importe. Le temps d'une journée, il aura marqué la conscience de spectateurs témoins de sa remontée spectaculaire et du sauvetage de son équipe. Un exploit seulement réalisable et appréciable dans un 5V5. Guillaume Dorison avait raison. Ce qu'il n'avait peut-être pas prévu, en revanche, c'est qu'un tournoi de Street Fighter serait capable de me faire verser une larme d'émotion devant la prestation d'un joueur. Et que dans 20 ans, si Abdess ne joue plus, je me souviendrai, moi, de ce jour où je l'ai vu jouer et baiser la gueule de 5 mecs à mains nues.