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La géo-ingénierie ne nous sauvera pas du changement climatique

Quel sera le prix à payer pour réduire la quantité de dioxyde de carbone dans l’atmosphère ?

En décembre, les gouvernements des pays du monde entier se sont accordés sur le fait qu'il fallait limiter le réchauffement climatique à 2°C par rapport aux températures de la période préindustrielle, et si possible, cantonner cette hausse à 1,5°C. L'accord de Paris sur le climat reconnaît que si nous échouons à atteindre ces objectifs, les conséquences seront catastrophiques. En outre, s'il est facile de faire des promesses dans un amphithéâtre, certains scientifiques estiment que nous ne parviendrons jamais à réduire suffisamment nos émissions de carbone, quoi qu'il arrive.

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Actuellement, nous sommes bien partis pour voir les températures augmenter de 2,7°C d'ici à 2100. Les modèles prédictifs qui étaient considérés comme irréalistes et catastrophistes il n'y a pas si longtemps sont maintenant examinés avec le plus grand soin. Il y a tout juste dix ans, les technologies capables de réduire la quantité de carbone présent dans l'atmosphère, en convertissant de grandes surfaces de terres agricoles à la production de biocombustibles capturant le carbone (BECCS), par exemple, étaient qualifiées de fantaisistes, voire de techniques de « géoingénierie » dangereuses capables de perturber la planète.

Aujourd'hui, tandis que le compte à rebours du carbone a commencé, et que de nouveaux objectifs ambitieux ont été acceptés par la communauté internationale, ces approches, qui étaient autrefois de purs fantasmes pour les scientifiques, commencent à gagner en popularité. Kevin Anderson du Centre Tyndall pour la recherche sur le changement climatique, au Royaume-Uni, les appelle « options foldingues à la Dr Strangelove. » « De nombreux militants et scientifiques s'inquiètent du fait que nous nous soyons habitués à prendre d'énormes risques.

« La plupart des scénarios avancés pour limiter la hausse des températures s'appuient sur l'hypothèse selon laquelle la quantité de carbone dans l'atmosphère va diminuer de manière drastique d'une manière ou d'une autre, » explique Teresa Anderson, de l'ONG ActionAid (Londres) lors du dernier sommet de l'ONU sur le climat, à Bonn, en Allemagne.

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« Le monde va changer du tout au tout. »

Elle faisait référence au fait que la plupart des prédictions des Nations Unies s'appuient sur l'idée, très optimiste, selon laquelle nous allons trouver un moyen de vider l'atmosphère de son carbone d'ici 2050. Cela nécessiterait soit de disposer d'une toute nouvelle technologie capable de piéger et de stocker le carbone de manière stable, soit d'utiliser des technologies existantes de type BECCS à grande échelle, avec des effets incertains.

Non seulement elles n'ont jamais été testées sérieusement, mais ces technologies pourraient avoir des conséquences désastreuses pour notre planète.

On comprend donc mieux pourquoi la géoingénierie en crispe plus d'un. « Les technologies pour des émissions négatives » semble être un concept simple et anodin ; pourtant, il sous-entend bien qu'il faudra renverser la tendance amorcée depuis un siècle : l'utilisation effrénée de combustibles fossiles. Ramener le carbone dispersé dans l'atmosphère sur Terre sera bien extrêmement difficile, voire impossible, et nous n'avons que très peu de temps pour y parvenir.

« Les changements progressifs, nous déviant peu à peu de notre système énergétique bien confortable ne nous mèneront nulle part, » explique Pete Smith, chef du groupe de modélisation environnementale à l'Université d'Aberdeen.

« Le monde va changer du tout au tout, » ajoute-t-il.

Smith et ses collègues sont spécialistes de modèles prédictifs. Cela signifie que leur travail ne consiste pas à mettre au point de nouvelles technologies, mais à apprécier quel effet auront les technologies existantes sur le monde tel que nous le connaissons.

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Dans un article de 2016 publié dans Nature Climate Change, Smith et ses collègues ont calculé quelle surface de terre exploitable, quelle quantité d'eau, d'énergie, et d'argent seraient nécessaires pour réduire la présence de carbone dans l'atmosphère selon les scénarios considérés par les Nations Unies.

L'article fait remarquer que l'utilisation de la BECCS, la méthode utilisée dans la plupart des scénarios en question, et dont ActionAid s'inquiète tout particulièrement, requerrait entre 380 et 700 millions d'hectares de cultures de biomasse comme le panic ou la colza. Cela correspond à une surface équivalent à la moitié, jusqu'à la totalité du continent australien. Il faudrait l'équivalent de la moitié du volume total du lac Ontario pour l'irriguer chaque année, et environ 138 milliards de dollars d'investissement par an.

« Ce serait comme nous offrir une liposuccion climatique. C'est superficiel, ça ne sert à rien à long terme, et ça nous coûtera très cher. »

D'autres études prédisent qu'une grande partie du grand ouest américain, le pays du coton et du maïs, ainsi que le sud de l'Europe, seront utilisés pour ces nouvelles cultures ; mais la plupart supposent que l'Afrique et l'Asie consisteront en un terrain idéal, et qu'il faudra exploiter les terres autour de l'Équateur. ActionAid estime que ces bouleversements seront vecteurs d'insécurité alimentaire et de confiscation de terres.

D'autres technologies, qui se font pour le moment plus discrètes, pourraient-elles aussi présenter de graves problèmes si elles étaient adoptées à grande échelle. Par exemple, les systèmes piégeant le carbone directement dans l'atmosphère par l'intermédiaire de processus chimiques amorcés par des arbres robotiques sont plutôt prometteurs ; mais ils n'existent que sous forme de prototypes, et ne parviennent pas à récupérer plus d'une tonne de CO2 par jour ; or, nous en produisant environ 40 gigatonnes (40 milliards de tonnes) par an.

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« La seule solution est de changer radicalement la façon dont le monde produit et consomme de l'énergie, » déclare Sabine Fuss, économiste à l'Institut Mercator de recherche sur les communs et le changement climatique, à Berlin, qui a contribué au rapport publié dans Nature Climate Change. « Ce phénomène n'a aucun précédent. Nous ne pouvons pas nous inspirer de l'histoire. »

Le futur décrit ici flirte avec la frontière des phénomènes connus. L'histoire moderne n'a jamais connu de transformation globale d'une telle ampleur. Pour qu'elle soit amorcée, il faudrait compter sur les mêmes puissances mondiales qui tiennent des conférences sur le climat depuis 1992, sans la décision de réduire les émissions globales à effet de serre ne se soit traduit en des mesures concrètes, radicales et efficaces.

Smith pense la fonction du rapport est de montrer les politiciens d'un doigt accusateur, afin de s'assurer qu'ils savent pertinemment à quoi ressemblera notre futur si l'on n'intervient pas, et qu'ils assumeront toute décision, ou absence de décision. Le rapport conclue d'ailleurs que le « plan A » soit être de réduire immédiatement et agressivement les émissions de carbone, car le « plan B », la géo-ingénierie, causera trop de dommages.

« Si nous échouons à atteindre nos objectifs, nous serons forcés d'examiner les solutions les plus folles. »

« Les gens disent qu'il ne faut surtout pas recourir aux technologies d'émissions négatives de carbone. Pourtant, il faudra bien y venir : sinon, nous n'arrivons jamais à contenir la hausse des températures à 1,5°C, » dit-il.

La vision d'un avenir où nous causerions des dommages délibérés et irréversibles à la planète fait songer à un scénario de James Bond : cette fois-ci, nous pourrions être à la place méchant mégalomaniaque désireux de transformer son environnement quel qu'en soit le coût. En 2009, la Royal Society a publié un rapport évaluant le rapport bénéfices/risques des BECCS et autres technologies de capture du carbone. Parmi ces dernières, figuraient des stratégies aussi folles comme l'ensemencement de nuages pour bloquer les rayons du soleil. Celle-ci n'est certes pas considérée sérieusement par la communauté scientifique, mais si nous échouons à atteindre nos objectifs, nous serons sans doute forcés d'examiner les solutions les plus improbables.

D'ailleurs, celles-ci ne manquent pas : refroidir la planète en renvoyant les rayons du soleil dans l'espace grâce à des miroirs géants ou à des lasers, par exemple.

« Les scientifiques craignent que l'élimination du dioxyde de carbone de l'atmosphère soit l'équivalent d'une liposuccion climatique. C'est purement esthétique, ça ne sert à rien à long terme, et ça nous coûtera très cher, » explique Jack Stilgoe, professeur au sein du département d'études sur les sciences et les technologies à l'University College de Londres.

Il estime que le débat scientifique autour des émissions négatives, tout particulièrement au sein des Nations Unies, n'est pas près de faire accepter les technologies en question.

Nous réalisons progressivement que nous sommes dans une situation inextricable ; dans ces conditions, les solutions les plus insensées apparaissent de plus en plus comme des outils nécessaires, ce qui est extrêmement inquiétant. Les scientifiques sont déjà en train de réfléchir à la solution de la dernière chance. Et puisque les gouvernements sont bien conscients qu'ils ne pourront pas tenir leurs promesses, ils risquent d'encourager l'adoption de ces technologies de l'extrême. Jusqu'où ira-t-on par crainte de franchir la frontière fatidique des 2 ℃ ?