Apple force les centres de recyclage à détruire les iPhones et les MacBooks

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Apple force les centres de recyclage à détruire les iPhones et les MacBooks

Selon des documents obtenus par Motherboard, Apple est le champion toutes catégories de l’hypocrisie et du greenwashing.

Apple a publié son Rapport de responsabilité environnementale annuel mercredi dernier. Ce document incarne les efforts colossaux déployés par la compagnie pour se faire passer pour une entreprise progressiste et écolo. Pourtant, derrière le vernis de la sympathie pour les idées écologistes et la protection de l'environnement, Apple saborde volontairement toutes les initiatives visant à prolonger la durée de vie de ses produits.

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Apple a déclaré qu'il comptait désormais fabriquer des iPhones et des ordinateurs à partir de matériaux recyclés, en faisant pression sur l'industrie du recyclage afin de la pousser à innover. Pourtant, des documents obtenus par Motherboard via le Freedom of Information Act (FOIA) américain montrent que les pratiques actuelles d'Apple empêchent les centres de tri américains de prendre les initiatives les plus respectueuses de l'environnement, en les obligeant à déchiqueter les appareils Apple dont les pièces pourraient être réutilisées.

Ainsi, l'entreprise s'assure que les iPhones et MacBooks n'auront pas de seconde vie et ne se retrouveront pas sur le marché de l'occasion, encourageant l'achat de matériel neuf. Aux États-Unis, de nombreux centres de recyclage sont contraints par Apple lui-même à transformer des milliers d'ordinateurs et de téléphones en paillettes de métal et de verre.

« Les appareils sont démontés manuellement et déchiquetés mécaniquement en fragments de métal, de verre et de plastique », explique John Yeider, directeur du programme de recyclage d'Apple, dans une rubrique intitulée 'Rapport sur le programme Takeback' dans un rapport de 2013 pour le Département de qualité environnementale du Michigan. « Tous les disques durs sont réduits en paillettes. Les morceaux sont ensuite triés et classés en fonction de leur qualité. Après le tri, les matériaux seront vendus et utilisés pour fabriquer de nouveaux produits. Pas de collecte ni de réutilisation des pièces électroniques. Pas de revente. »

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Extrait du rapport de 2013 d'Apple pour le compte de l'État du Michigan.

Fondamentalement, Apple est un constructeur et non une entreprise de recyclage. En dépit des « robots recycleurs » qu'il expose dans ses spots publicitaires, l'entreprise ne peut désassembler que 2,4 millions de téléphones par an. Or, Apple a vendu 215,3 millions d'iPhones en 2016. La plupart des iPhones ne sont jamais retournés à Apple, qui n'a pas la capacité de recycler ce matériel dans tous les cas.

Pourtant, la compagnie est responsable du recyclage de milliers de tonnes de déchets électroniques chaque année à cause d'une série de lois sur « la responsabilité constructeur » intervenant au niveau des États américains ; ces lois obligent les entreprises à recycler leurs déchets électroniques proportionnellement à leurs ventes dans l'État concerné. Pour mieux comprendre les pratiques de recyclage de la société, j'ai passé toute une année à éplucher des rapports d'Apple remis à différents États américains en faisant valoir le FOIA.

Les documents concernant le Missouri, la Caroline du nord, l'Illinois, le Maryland, l'Oklahoma, Washington, le Michigan, et le Wisconsin obtenus grâce à une requête FOIA m'ont confirmé plusieurs choses :

A) La plus grosse partie des activités de recyclage d'Apple est effectuée par des sous-traitants
B) Les produits Apple représentent une infime partie de ses activités de recyclage
C) Apple a passé des accords de déchiquetage obligatoire avec des entreprises de recyclage et leur interdit de trier et récupérer les déchets électroniques.

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Selon les documents remis au ministère des Ressources naturelles du Missouri, Apple travaille avec « trois entreprises de recyclage sous contrat, à l'échelle nationale. » Il s'agirait de SIMS Recycling Solutions, ECS refining et Metech Recycling. La société a également commissionné Dynamic Recycling et Advanced Technology Recycling afin de recueillir les produits que d'autres entreprises recycleront par la suite, et collabore avec une société appelée Call2Recycle pour recycler les batteries stockées dans ses magasins.

Le rapport d'Apple auprès du Département de qualité environnementale de Caroline du Nord.

Aux États-Unis, il n'est pas inhabituel qu'un constructeur face appel à des sous-traitants pour effectuer des opérations de recyclage, mais il faut bien comprendre à quel système nous avons affaire ici. Parce que ces entreprises travaillent pour le compte d'Apple, cette dernière possède un contrôle total sur le devenir des déchets électroniques collectés. Si Apple estime que les appareils électroniques jetés doivent être détruits, alors ils seront détruits, même s'ils pourraient parfaitement être réparés, réutilisés ou revendus.

Un rapport de 2013 à destination de l'Illinois.

Les documents de l'Illinois montrent que la grande majorité des appareils recyclés par Apple sont des téléviseurs, des imprimantes, des lecteurs de DVD, des magnétoscopes, des ordinateurs et des moniteurs produits par d'autres marques. Ces appareils font partie d'une classe dite « lourde » de déchets électroniques que l'on recycle plus volontiers, d'autant que les quotas de recyclage définis par les États sont basés sur la masse total d'appareils, et non sur leur nombre. Néanmoins, nombre de MacBooks et d'iPhones possédant une valeur latente échouent tout de même dans les bacs d'entreprises de tri de déchets électroniques.

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« Les entreprises de recyclage électronique sont remplies d'iMacs et de MacBooks cassés, qui, au vu des contraintes économiques et des standards de l'industrie, sont plus volontiers détruits que réparés et revendus », explique John Bumstead, qui répare et remonte des MacBooks à partir de pièces provenant de différents appareils qu'il reçoit d'entreprises de recyclage non affiliées à Apple.

« Tous les fabricants parlent d'écologie, mais quand leurs propres intérêts sont en jeu, ils privilégient toujours leur sécurité et leur marque. »

Un document soumis par le Département de qualité environnementale de Caroline du Nord en septembre 2016 montre que la politique de déchiquetage obligatoire d'Apple n'a guère changé au cours des dernières années, même si, dans le même temps, l'entreprise a entamé une stratégie de greenwashing vigoureuse : « Tous les équipements collectés pour recyclage sont démontés manuellement et déchiquetés mécaniquement en fragments de métal, de verre et de plastique, puis revendus. »

À première vue, la situation semble plutôt acceptable : au moins les appareils sont recyclés d'une manière ou d'une autre. Et il n'est pas absurde de déchiqueter des disques durs qui contiennent des données personnelles.

Mais en pratique, le recyclage prématuré d'un iPhone et d'un MacBook n'est pas vraiment une idée brillante. Les disques durs de MacBook peuvent parfaitement être enlevés et remplacés. Et les sous-traitants d'Apple suivent tous des processus de destruction de données standardisés garantissant une sécurité maximale aux anciens propriétaires des produits, ce qui permettrait de déchiqueter lesdits disques durs en réutilisant le reste de l'appareil. Bumstead vend des ordinateurs datant de 2009 et 2010, remontés, reconditionnés, après le changement de pièces clés. Ils sont en parfait état et sont vendus à prix très bas à des personnes qui n'ont pas besoin d'un ordinateur haut de gamme.

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« Apple parle de recyclage responsable de ses produits, et effectivement ils font du bon boulot sur les appareils retournés par leurs clients. Le problème, c'est que seule une minuscule fraction de produits leur sont retournés », ajoute-t-il.

Triage de matériaux avant déchiquetage. Image : Jason Koebler

En essayant de suivre le chemin parcouru par des MacBooks partis en réparation, Bumstead m'explique que des entreprises de recyclage lui ont répété à plusieurs reprises qu'ils ne pouvaient pas lui vendre des produits Apple.

Kyle Wiens, le PDG de iFixit, considère que le recyclage « devrait être la dernière option » parce que les métaux rares non recyclables sont perdus dans le procédé, et les matériaux fondus perdent en qualité par rapport aux matières premières. Selon lui, il faudrait toujours privilégier la réparation et la réutilisation afin d'accroître la valeur des matériaux d'origine extraits du sol.

En clair, les pratiques d'Apple vont contre les voeux des entreprises de recyclage elles-mêmes, qui rechignent à déchiqueter des produits de valeur. J'ai d'ailleurs visité ECS Refining juste avant de savoir qu'il travaillait pour Apple, et à cette occasion, j'ai pu assister à un spectacle terrible : des centaines de MacBookRetinas écrabouillés les uns après les autres sans ménagement.

J'ai demandé au PDG d'ECS, Jim Taggar, de me dire ce qu'il pensait de l'obligation de détruire des appareils hauts de gamme, parfois presque neufs. Il m'a confié qu'il s'agissait là d'une initiative "extrême" qu'il aimerait éviter à tout prix, mais qui est malheureusement une exigence de base chez de nombreux constructeurs.

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« Tous les fabricants parlent d'écologie, mais quand leurs propres intérêts sont en jeu, ils privilégient toujours leur sécurité et leur marque», ajoute-t-il. « Nous essayons de les encourager à nous laisser sauver ce qui mérite d'être sauvé, et dans le cas où nous ne sommes pas tenus de détruire les disques durs, nous effaçons les données nous-mêmes avant de les vendre à un tiers. »

« Renoncer à réutiliser des produits Apple est une décision stupide, même sur le plan financier. »

ECS, SIMS, Apple, Metech Dynamic Recycling n'ont pas souhaité répondre à mes questions.

Apple a récemment lancé un programme de réutilisation de ses produits, qui exige un retour direct des appareils à Apple en échange de cartes-cadeaux Apple Store d'un montant très inférieur à la valeur de ce produits valent sur le marché de l'occasion.

« Il est naïf de croire que les initiatives d'Apple représentent une solution au problème de la durabilité des appareils électroniques et à leur impact environnemental », a déclaré Bumstead. « Renoncer à réutiliser des produits Apple est une décision stupide, même sur le plan financier. Un ancien produit Apple vaut toujours plusieurs centaines de dollars, et les consommateurs en sont bien conscients. Ebay, Craigslist, et d'autres plateformes de ce type représentent une économie à part entière, parfaitement saine, de millions de produits vendus, réparés et réutilisés. »

Apple peut bien affirmer qu'il va révolutionner l'industrie du recyclage, mais aujourd'hui, il est en retard de dix ans sur le sujet.