Le lac le plus profond du monde est "gravement malade"

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Le lac le plus profond du monde est "gravement malade"

Inondé de produits toxiques et menacé par des projets de barrage, le lac Baïkal est en danger.

Dans la rue principale de Koujir, la plus grande ville de l'île d'Olkhon, sur le lac Baïkal, la poussière dégagée par les bus qui crachent des hordes de touristes se propage dans les rues balayées par le vent. À côté des carcasses de véhicules dont les pièces ont été emportées depuis longtemps, des babouchkas errent parmi des piles de déchets, cherchant en vain quelque chose qui vaille la peine d'être ramassé. À l'ombre d'une ancienne prison, quelques personnes sont allongées sur une plage parsemée d'algues et de morceaux de métal rouillés. Alors que des chamanes Buryat, qui considèrent le lac comme sacré, pratiquent des cérémonies autour de totems enveloppés de rubans sur une falaise au-dessus de la ville, en-dessous d'eux, dans un cimetière de bateaux, des enfants se lancent des bouteilles de vodka vides pour s'amuser un peu.

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S'étendant sur 635 kilomètres, le lac Baïkal, vieux de trente millions d'années, est le lac le plus profond du monde. Classé au patrimoine mondial de l'UNESCO, il contient à lui seul un cinquième de l'eau douce liquide de la planète. Son écosystème fermé, unique en son genre, héberge plus de 3500 espèces et sous-espèces d'animaux et de plantes, dont 60% ne se trouvent nulle part ailleurs. Et ce lac unique est aujourd'hui plus menacé que jamais.

Je me suis rendu dans la région cet été, alors que des incendies d'une ampleur jamais vue auparavant faisaient rage, ce qui faisait dire aux habitants du coin qu'ils avaient l'impression de « vivre l'Apocalypse ». Le lac est confronté à plusieurs problèmes environnementaux : un ruissellement de phosphate et d'eaux usées causé par un tourisme galopant et mal géré, un tapis d'algues en expansion permanente, et un assèchement qui a vu le niveau de l'eau atteindre un seuil critique cette année (le lac a perdu 40cm de profondeur depuis 2013). Une usine installée au bord du lac qui produisait de la fibre de cellulose pour des pneumatiques d'avions soviétiques est désormais fermée, mais ses décombres contiennent toujours treize réservoirs hautement toxiques, chacun de la taille de deux terrains de football. Aujourd'hui, le lac Baïkal est menacé par un projet venu de Mongolie qui verrait l'implantation d'usines d'hydroélectricité, lesquelles priveraient le lac d'oxygène, si l'on en croit le Professeur Marianne Moore, de Wellesley College.

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Des détritus sur la plage près de la ville touristique de Khoujir. Image: Stephen M. Bland

À quelques kilomètres de Khoujir, derrière une ancienne usine de poisson qui avait également servi de goulag, je suis tombé sur les cadavres en décomposition de phoques de Sibérie qui s'étaient échoués. Selon Greenpeace, le nombre de ces phoques, qui constituent l'une des trois espèces de phoques vivant exclusivement dans l'eau douce, a diminué d'un tiers depuis le début des années 1990. Au sujet de cette « terrible extinction », le militant de Greenpeace Russie Roman Vazhenkov a remarqué que, même si les phoques étaient morts de maladie, le chlore retrouvé dans leurs tissus adipeux indiquait clairement que leur système immunitaire avait été affaibli.

J'ai parlé de la pollution qui menace le lac avec le Professeur Oleg Timoshkine, de l'Institut limnologique de l'Académie des sciences russe. « Dans certaines zones du nord du Baïkal, une croûte d'algues spyrogyres pourries épaisse de plus de dix mètres couvre ce qui furent autrefois des plages magnifiques, m'a-t-il décrit. Même les vaches et les chevaux refusent de boire l'eau. »

Les émissions en provenance d'une usine de traitement des eaux usées inopérante installée dans une ville locale ont causé la formation d'un banc d'algues malodorantes qui s'étend sur dix kilomètres. Comme si cela ne suffisait pas, les habitants du coin racontent que pendant des années, des camions chargés d'eaux usées venaient déverser leur cargaison dans une autre usine désaffectée proche du rivage.

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« L'usine de traitement n'a jamais fonctionné, en bonne partie parce que l'industrie du rail a déversé des produits de nettoyage dans les eaux traitées, m'a expliqué Moore. Ils nettoyaient des wagons avec du détergent très puissant, ce qui tuait tous les "bons" microbes. Des déchets non traitées se sont répandus dans des eaux peu profondes. »

Des piles de déchets devant l'usine de poisson/goulag, Khoujir. Image: Stephen M. Bland

J'ai traversé le lac en hydroglisseur pour rejoindre Oust-Bargouzine. Dans cette petite commune peuplée de chiens errants, on a accosté dans un port croulant sous les carcasses de bateaux à moitié coulées. Pour contrer les fumées âcres qui empestaient l'air ambiant, quelques-uns des habitants avaient accroché des linges mouillés à leurs fenêtres. Malgré une population avoisinant les 7000 âmes, les infrastructures de traitement des eaux d'Oust-Bargouzine sont, pour citer Timoshkine, « complètement détruites. »

Alors que le nombre de touristes se rendant aux abords du lac Baïkal est passé de 300.000 à 1,3 millions entre 2009 et 2015, selon le Siberian Times, les infrastructures ont du mal à suivre. « À l'extrémité sud du lac, il y a une ville qui s'appelle Listvianka, raconte Moore. C'est une sorte de Mecque du tourisme local, et les hôtels locaux, dont la plupart se sont construits au cours des quinze dernières années, n'ont absolument aucun équipement de retraitement. Tous les déchets vont directement dans le lac. »

Au cours de la dernière expédition de son groupe, Timoshkine et ses collègues ont aussi découvert qu'un agent pathogène décimait les éponges, qui filtrent naturellement l'eau. Dans la zone où ils ont enquêté, « entre 30 et 100% des spécimens de Lubomirskia baicalensens étaient malades ou endommagés, et mouraient », affirme-t-il.

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Sur la rive proche du monogorod (ville-usine) de Baikalsk, on trouve les ruines de l'Usine de Pâte à Papier du Baïkal. L'usine, dont les déchets remplis de chlore se sont frayé un chemin jusqu'au lac, a finalement fermé ses portes fin 2013 – pour des raisons financières, pas écologiques. Mais 6,2 millions de tonnes de déchets toxiques emplissent toujours ses réservoirs. Le Baïkal se trouve sur une zone sismique, et si un tremblement de terre venait à se produire, les réservoirs contaminés pourraient rompre, provoquant un désastre écologique.

Un chamane Buryat en pleine cérémonie sur la colline qui surplombe le Maloe More. Image: Stephen M. Bland

En 2014, le Moscow Times rapportait que le site de l'ancienne usine allait être transformé en un « Disneyland à la Russe » après une vaste entreprise de nettoyage qui devait prendre six ans. Mais avec la crise économique, le projet a depuis été abandonné. « Je pense que la Russie n'a tout simplement pas la volonté politique », dit Moore.

Aujourd'hui, alors que la Mongolie prévoit de bâtir une série d'immenses barrages en amont, le lac Baïkal se trouve face à un défi en comparaison duquel tous les autres problèmes « semblent bien légers », selon Moore. Ce plan, qui est actuellement en cours d'évaluation dans le cadre d'un projet environnemental financé par la Banque Mondiale, comprendrait la construction d'un barrage sur la rivière Selenga, qui fournit près de 50% de l'eau du lac.

« Si ce barrage est construit, cela risque d'avoir un impact terrible sur l'écosystème du Baïkal, déplore le Professeur Anton Mackay de University College (Londres). La Selenga est capitale pour le lac. Si son débit était réduit, cela pourrait avoir des conséquences catastrophiques à long terme pour l'écologie et la vie sauvage à l'intérieur et autour du lac. »

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Le projet mongol était l'objet principal des discussions lorsque des ONG ont rencontré les autorités locales à Irkoutsk et Baikalsk il y a quelques semaines. La Convention pour la protection du patrimoine mondial culturel et naturel affirme que les pays ne peuvent en aucun cas prendre des mesures susceptibles de menacer des sites classés au patrimoine situés dans d'autres pays. Les associations de défense de l'environnement ont donc mis en doute la légalité du projet.

Pendant ce temps-là, les autorités russes continuent à assécher le lac pour faire fonctionner une station hydroélectrique située en aval, ce qui explique au moins en partie un niveau d'eau que Jennie Sutton, de l'ONG Baikal Wave, décrit comme « dangereusement bas. » Une source, qui a préféré rester anonyme car elle n'a pas l'autorisation de s'exprimer publiquement, affirme que, malgré les 54 millions de roubles qui ont été investis dans la protection du lac au cours des trois dernières années, la région ne cesse de se détériorer. En cause : une gestion déplorable des fonds publics. Malgré l'évidence, le rapport le plus récent produit par le ministère de l'Environnement et de l'Écologie sur l'état du lac Baïkal maintient que son écosystème n'a subi « aucun changement majeur. »

Timoshkine, qui décrit le lac comme étant « gravement malade », appelle à davantage de transparence concernant l'action du gouvernement. Il n'est pas le seul à penser que l'approche actuelle n'est bonne qu'à « diagnostiquer un cancer en phase terminale. » L'UNESCO accuse Moscou de « manquement au devoir » dans sa gestion de la région du Baïkal.

Alors que le soleil se couche, un groupe de chauffeurs de minivans ramène les touristes vers Khoujir. Sous un ciel menaçant, les vacanciers russes se dirigent vers les bars, jetant tranquillement leurs déchets sur un sol qui ressemble déjà à une poubelle. Des feux de camp illégaux illuminent les bois qui bordent le détroit de Maloe More. Des masses informes d'algues et de déchets s'échouent sur la rive. Alors que le Baïkal s'ouvre comme jamais auparavant au tourisme, il est de plus en plus dépendant de cette source de revenus. Et le futur est plus qu'incertain pour un lac qui, jusqu'à récemment, était considéré comme le plus propre au monde.

Clarification: This story originally referred to Lake Baikal as the "largest" lake in the world. It's the largest by volume, unless you count the Caspian Sea, which is a matter of debate. Baikal, however, is definitely the deepest freshwater body on Earth, which makes for a clearer headlines, so we've referred to it as such. The body of the story never referred to Lake Baikal as the world's largest lake. Apologies for any confusion.