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Crime

L'Afghan qui restaure les Bouddhas détruits par les talibans

Khan Ali, un simple maçon est devenu un expert dans la rénovation de ces monuments historiques et emblématiques d'Afghanistan, détruits il y a quinze ans par les talibans.
Photo Ali M Latifi

La première fois que Khan Ali a posé son regard sur les niches et les crevasses, là où s'élevaient autrefois les statues des Bouddhas de Bamiyan, la tâche lui est apparue insurmontable.

Ali se demanda comment lui, un simple maçon afghan qui n'avait travaillé que sur des chantiers de construction, pourrait aider à stabiliser cette niche qui abritait autrefois un « Solsol » haut de 53 mètres, l'une des deux immenses statues de Bouddha détruites par les talibans en mars 2001après la parution d'un édit du Mullah Mohammed Omar contre les représentations « anti-islamiques » d'humains ou d'animaux.

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« Quand les talibans ont fait exploser les Bouddhas, ils les ont délogés des montagnes, donc on a du ériger des échafaudages et des poutres de soutien pour éviter de nouveaux dommages, » a expliqué Ali à VICE News.

Cette première année, passée à creuser à plusieurs mètres dans la roche pour verser une mystérieuse « substance » dont Ali dit qu'elle aiderait à fixer les tiges de métal pour maintenir l'échafaudage, était pénible.

Mais lentement, tout au long de l'année, l'homme alors âgé de 45 ans a acquis un savoir-faire qui l'a emmené de site historique en site historique.

La situation économique d'Ali s'est améliorée avec chaque nouvelle mission, et il est vite devenu spécialiste de la restauration.

Bamiyan, Afghanistan. (Photo par Ali M Latifi)

« Ces travailleurs ont l'air de villageois ordinaires, mais avec le temps, ils sont tous devenus spécialistes d'une discipline qui requiert de la précision et une attention au détail, » a expliqué Mujtabah Mirzai, un archéologue germano-afghan qui travaille avec Ali depuis près d'une décennie à présent.

L'expérience amassée par Ali et par d'autres ouvriers est devenue particulièrement importante, explique Mirzai : à la base de chaque projet de reconstruction, ce sont les mêmes matériaux naturels et les mêmes techniques que celles utilisées par les premiers bâtisseurs de ces sites.

Khan Ali admet qu'en grandissant, il ne se souciait pas beaucoup des Bouddhas ou de Shahr-e Gholghola — une ancienne citadelle construite dans les falaises, mise à sac par les troupes de Genghis Khan au XIIIe siècle — où il travaille depuis près de deux ans.

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À présent, ces sites sont devenus une source de revenus et une fierté culturelle pour Ali et pour les deux douzaines d'autres Bamiyanis (les habitants de Bamyan, la ville voisine), qui sont en train de restaurer le Gholghola.

« Ces lieux nous sont bénéfiques en tant que peuple, ils témoignent du fait que notre histoire ancienne était pleine d'ingéniosité et de talent, et qu'elle remonte à des centaines d'années, » a déclaré à VICE News Ali Reza, qui travaille avec Khan Ali depuis près de dix ans.

Des ouvriers au travail à Bamiyan. (Photo par Ali M Latifi)

Dans une région où plus de 30 pour cent de la population vit sous le seuil de pauvreté, ces emplois de restauration sont devenus une précieuse source de revenus.

Mais les mécènes étrangers sont aujourd'hui plus réticents à continuer à aider l'Afghanistan. Les travailleurs disent que les apports en finances et en moyens de la décennie passée deviennent un souvenir lointain.

« Travailler un mois par ici, deux semaines par là, ce n'est pas assez pour passer l'hiver, » déclare Reza.

Des travailleurs restaurent un site à Bamiyan. (Photo par Ali M Latifi)

L'hiver, avec la neige et les chutes de température, beaucoup des emplois agricoles de cette région disparaissent pour près de cinq mois par an. L'argent que gagnent les travailleurs sur les chantiers historiques doit leur durer aussi longtemps que possible.

« La vie est beaucoup plus chère à présent. Vous pouvez mettre 200 afghanis (environ 4 dollars) de côté par-ci par-là, mais ça ne fait pas grand-chose une fois l'hiver venu, » explique Reza.

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Avec une paie de 12 dollars par jour (25 dollars pour les saisonniers habituels qui peuvent former les nouveaux venus), le salaire journalier des ouvriers de la restauration de monuments historiques dépasse de loin la moyenne des 5 dollars par jour que gagnent les commerçants et les travailleurs qui restent à la ville.

Mais les travailleurs disent qu'avec un kilo de viande à 4,31 dollars et chaque kilowatt d'électricité coûtant 28 centimes (comparé à un demi-centime à Kaboul), leurs salaires ne leur permettent pas de nourrir leurs grandes familles ou de chauffer leurs maisons pendant l'hiver, quand il fait trop froid pour poursuivre les projets de restauration.

Avec l'affaiblissement de l'aide internationale dans les efforts de reconstruction, cette expérience dans le domaine est à la fois un don et une malédiction pour les travailleurs.

Ils ont été l'objet de critiques. On leur a dit qu'ils devenaient bouddhistes ou qu'ils acceptaient de l'argent « profane » pour réparer les Bouddhas. Mohammad Ismail, qui travaille aussi pour le site de Gholghola a dit qu'à cause de leur affiliation avec l'UNESCO, ils étaient perçus comme des « fonctionnaires », ce qui peut être un obstacle lorsqu'ils recherchent un emploi plus classique dans le secteur de la construction.

« Ils nous disent : "Vous travaillez pour l'UNESCO, vous avez de l'argent", ou "vous allez partir dès qu'un travail de restauration se présentera, on ne peut pas compter pour vous", du coup, on ne peut même plus travailler sur des chantiers qui n'ont rien à voir avec de la restauration de monuments, » a expliqué Ismail à VICE News.

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Gen. Ghulam Ali Wahdat, le gouverneur de Bamiyan. (Photo par Ali M Latifi). 

Tous les travailleurs que VICE News a interviewé sur le site de Gholghola ont déclaré qu'ils estimaient qu'après plus d'une décennie de loyaux services, l'UNESCO devrait leur assurer un revenu pendant la trêve hivernale.

Pour Ali, « Ce serait comme une assurance, pour nous aider à passer l'hiver. »

Au-delà de l'UNESCO, les travailleurs disent qu'ils ont demandé à différentes instances de la communauté internationale de les considérer, eux ces travailleurs et leur savoir-faire très spécialisé, comme une raison suffisante pour poursuivre les investissements nécessaires à la préservation et à la reconstruction des sites historiques d'Afghanistan.

Le général Ghulam Ali Wahdat, le gouverneur de la province de Bamiyan, a dit à VICE News qu'il avait plaidé pour que les investissements continuent dans les « provinces en paix » comme la sienne.

« L'attention est tellement portée sur le sud et l'est du pays, là où il y a une guerre active. La communauté internationale en oublie les provinces en paix, où les investissements ne risqueront pas d'être réduits à néant, » dit Wahdat.

Malgré les préoccupations qui entourent la sécurité de la route de Bamiyan, où militaires et talibans s'opposent, Wahdat dit que « des centaines et des centaines » de touristes afghans visitent Bamiyan chaque année. Il espère que cela inspire le reste de l'Afghanistan.

« S'ils sont les témoins du développement de cette région, les gens retourneront chez eux en ayant compris pourquoi la paix est si importante, ce qu'elle peut leur apporter, » dit Wahdat.

Suivez Ali M Latifi sur Twitter: @alibomaye