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Illustration: Thien Ngoc Ngo Rioufol pour VICE FR 
santé mentale

Ma séance de chamanisme à la recherche de mon animal totem

« Me voilà descendue sur une longue échelle, je vois apparaître une abeille et un poisson qui me tournent autour »

Il est 15 h 30 ce dimanche et c’est aujourd’hui que je tente ma première expérience de chamanisme avec tambours et sans substance hallucinogène. Une amie qui participait à un cercle chamanique m’en avait parlé quelques mois auparavant et cela avait réussi à titiller ma curiosité et à bousculer mon esprit cartésien. Généralement pratiqué dans la jungle amazonienne, le chamanisme est censé donner les clefs de compréhension de ton moi profond. C’est une pratique spirituelle introspective durant laquelle les différents participants, guidés par un chaman, vont à la rencontre des profondeurs de leur être. Dis comme ça, c'est légèrement flippant. Si je devais résumer mon expérience, c’est une séance chez le psy en beaucoup moins formel.

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C'est sur Internet que je trouve les coordonnées d'Olivier. « La manière la plus simple d'appréhender la pratique chamanique est de participer à un cercle chamanique. Des personnes ayant déjà pratiqué ou non le chamanisme se regroupent pour jouer du tambour (ou hochet). Les rites peuvent aller des plus classiques (voyages chamaniques dans le monde d'en bas…), à des rites plus avancés (soins, voyages dans le monde du milieu ou dans l'au-delà,…). Selon la dynamique et le besoin du groupe, selon les rites qui y sont menés. » Cette annonce sur le site d’Olivier est donc son accroche. Je lui envoie un texto pour connaître la date du prochain cercle. Quelques minutes plus tard, j’obtiens une réponse qui se termine par « amitiés spirituelles ». Je souris, tout en me persuadant du sérieux de la démarche.

Le jour J arrive et la séance se déroule dans l’appartement d’Olivier, en proche banlieue parisienne. Le salon est truffé d’objets spirituels en tout genre : de Shiva, la déesse aux milles bras, jusqu’à la vierge Marie en passant par un livre intitulé Les Lettres de Jésus et quelques romans philosophiques signés Eric-Emmanuel Schmidt… Il m’est difficile de garder mon sérieux car, il faut bien l’avouer, on est en plein dans le cliché. Je suis venue avec Clément, un ami, pour partager l’expérience et aussi par appréhension. Je fuis les sectes et tout ce qui peut s’en rapprocher. Je préfère donc faire appel à un garde-fou.

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« Il n’était pas bavard comme à son habitude, il s’est contenté de me faire la fête en me lavant avec sa trompe. Cette eau m’a fait un bien fou, comme si c’était un médicament » – Nathalie

Nous sommes huit participants cette après-midi-là. Un chiffre sacré, certainement, dont Olivier est fier. Son acolyte Julien un autre chaman certifié est aussi présent et c’est lui qui mènera la séance en pratiquant le tambour. Trois autres adeptes sont là, trois femmes, des habituées. Nathalie, la cinquantaine plutôt réservée ; Rania, la plus jeune, qui fait le ramadan ce jour-là ; Lina, d’origine indienne, qui est mal dans sa peau. On ressent d'ailleurs tout de suite sa gêne et son mal-être, c’est une sorte de thérapie qu’elle vient chercher dans ces séances. A côté de ce groupe d’initiés, nous sommes trois petits nouveaux, Yassine, Clément et moi.

La séance va commencer, mais il faut d'abord se purifier. Pour ce faire, Olivier passe autour de nous en tenant une branche de sauge en train de se consumer. L’odeur est forte, entêtante, mais elle semble faire partie du décorum. Selon le maître elle facilite la venue des esprits. Cela tombe bien, la prochaine étape est l’invocation. « Nous appelons les esprits à nous rejoindre et nous les remercions » : nous sommes tous debout un hochet à la main, déclamant cette formule que nous répétons quatre fois pour chaque orientation de la pièce.

Le maître nous invite ensuite à former un cercle assis sur le grand tapis. Le voyage va pouvoir commencer. C’est Julien qui prend le relais, il est à l’écoute et plutôt en retenue contrairement à Olivier. Il nous demande de nous allonger, les yeux fermés avec un foulard posé par-dessus pour plus de confort. Il faut se détendre et aller chercher dans le monde d’en bas notre animal totem. Ce monde contrairement aux deux autres – celui d’en haut, fortement connoté dans la religion chrétienne et celui du milieu, dans lequel nous vivons – est un monde difficile à atteindre et empli de réjouissance. C’est dans ce monde que se trouve la ménagerie des animaux totems, il nous suffira de sonder pour savoir lequel est le nôtre.

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Le tambour retentit. La musique n’est pas clairement identifiable : des coups de gong à un rythme continu et par-dessus une voix fluette. L'incantation magique opère. Pour ma part, je m’efforce de ressentir cette sensation de descente, j’imagine un escalier dans le noir et je me vois descendre continuellement jusqu’à me retrouver au point de départ, tout en haut de cet escalier. J’attends de longues minutes de voir apparaître un quelconque animal, un signe, une forme… Rien. Le rythme du tambour s’intensifie, il est temps de remonter – c’était le signal qui avait été donné par Julien pour marquer le retour dans le monde du milieu. Tout le monde ouvre les yeux, puis se rassoit en cercle. Il est temps pour chacun de conter son voyage.

Pour ma part, je reste discrète au début, ne sachant pas quoi dire… C'est Nathalie qui commence. Comme la plupart du temps depuis plus d’un an, elle descend assez rapidement. Son point de départ est une sorte de clairière dans laquelle se trouve un trou qu’elle emprunte pour y rejoindre son éléphant. « Il n’était pas bavard comme à son habitude, détaille-t-elle, il s’est contenté de me faire la fête en me lavant avec sa trompe. Cette eau m’a fait un bien fou, comme si c’était un médicament ».

Rania, elle, a les yeux qui pétillent, elle vient de vivre une chouette expérience avec ses deux animaux totems qui sont l’aigle et le cerf. Après avoir volé avec l’aigle au-dessus des nuages, elle entre dans une pyramide dorée et scintillante en compagnie du cerf. A l’intérieur, milles couleurs se reflètent, elle en prend plein la vue. « Toutes ces couleurs et cette chaleur étaient tellement agréables, je me sens tellement épanouie ».

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C’est au tour de Lina de nous dévoiler son expérience : « Je rentre toujours par mon petit terrier pour retrouver mon oiseau aux grandes ailes, je ne sais toujours pas quel oiseau c’est exactement, mais il est immense puisque j’arrive à me blottir aux creux de ses ailes. Je lui ai ensuite posé plein de questions concernant ma rupture conventionnelle, il a réussi à m’orienter sur le comportement que je devais adopter, face à ma famille notamment. Je sais que je n’ai pas confiance en moi et c’est lui qui réussit à me guider. » Olivier la félicite et l’encourage. Il était connecté à elle lors de son voyage et il sait que tout ira mieux.

« Vous savez, avant mon animal totem était un simple serpent, maintenant, c’est un dragon ! Il a fallu du temps pour qu’il évolue et qu’il m’offre cette force » – Olivier

Pour sa part, Olivier avait besoin d’un conseil sur un comportement à adopter avec une femme de son entourage. « Je voulais la dégager ce matin, j’ai préféré patienter et demander conseil à mon guide et comme à son habitude, il a été astucieux ». De son côté, Yassine n’a pas réussi à descendre, idem pour Clément et pour moi finalement. Pour ne pas nous laisser sur la touche Julien nous rassure. C’est normal au début, il faut insister, il faut y mettre du sien, ce n’est pas un état naturel, c’est une vraie démarche et ça viendra, mais pour cela, il faut apprendre à lâcher prise. Je retrouve alors le fameux lâcher prise des séances hypnoses spectacles auxquelles je ne suis pas du tout réceptive. Je pense être trop terre-à-terre, mais ma curiosité m’a mené là cette après-midi, dans cet appartement avec ces inconnus, pour tester, pour ne pas mourir idiote, je fais pas mal de chose « pour ne pas mourir idiote ».

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Olivier me met véritablement mal à l’aise, avec une espèce de suffisance qui le caractérise, mêlée à une bêtise certaine. Il est grotesque. « Vous savez, avant mon animal totem était un simple serpent, maintenant, c’est un dragon ! Il a fallu du temps pour qu’il évolue et qu’il m’offre cette force », clame t-il en demandant à Clément s’il peut l’aider à attacher son bracelet en peau de serpent autour de son poignet. Comment garder son sérieux et ne pas faire un lien direct avec un célèbre manga japonais lorsqu’il parle de son animal évolutif. Il continue : « Aujourd’hui, je communique direct avec la vierge Marie par exemple, naturellement sans avoir à me mettre en état de voyage chamanique, les esprits me parlent en continue, mais pour obtenir tout ceci et bien, il faut donner le temps au temps».

« J’ai trouvé l’astuce, je vais faire participer mon imagination et finalement imaginer ma descente et ma rencontre avec un animal »

Il s’imagine certainement voir dans nos yeux de l’envie ou de l’admiration. C’est le cas dans ceux de Rania et de Nathalie, totalement envoûtées par le personnage. Pour ma part, j’aimerais lui rire au nez, mais je ne suis pas là pour juger et cet homme me peine. « Nous participons le week-end prochain à un stage sur le recollement d’âmes qui fait suite à celui sur l’extraction », lance Julien. Olivier enchaîne « Oui, mais ce n’est pas pour vous, il faut être de puissants chamans pour y assister, un jour peut-être, on vous souhaite d’avoir l’honneur d’y participer. Les gens sont tellement heureux dans le recollement d’âmes, ce n’est que du positif, tout le monde à la banane ! » Me voilà à nouveau sorti du cadre, c’est à Harry Potter que je pense maintenant. Tout un attroupement de magiciens réunis pour un week-end, il m’est impossible de regarder Clément au risque d’exploser de rire. Une question cruciale me taraude cependant : Ces personnes se prennent-elles vraiment au sérieux ? Suis-je véritablement imperméable à ces pratiques ?

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Julien nous propose un second voyage. Pour ne pas frustrer les trois nouveaux adeptes que nous sommes, il faudrait que nous repartions sur une note positive, alors rebelote, nous fermons les yeux et le tambour reprend son refrain. J’ai trouvé l’astuce, je vais faire participer mon imagination et finalement imaginer ma descente et ma rencontre avec un animal. Me voilà descendue sur une longue échelle, je vois apparaître une abeille et un poisson qui me tournent autour. Comment expliquer ce choix parmi l’arche de Noé tout entier ? Je ne saurais pas le dire, l’aléa de l’imaginaire.

Le tambour s’agite, il est temps de remonter et de raconter notre voyage. Nous refaisons un tour, les histoires sont similaires, Lina s’emporte, elle nous dévoile ses ressenties et les déductions qu’elle en fait, elle nous raconte les autres cercles auxquels elle participe, comme la cérémonie du cacao sacré, le cercle des femmes… Ils sont trop nombreux, je m’y perds, je ne saurais plus dire lequel sert à quoi si ce n’est à rassurer Lina sur l’entièreté de sa vie et sur comment elle doit la mener.

Clement n’a toujours pas réussi à descendre, on peut lire de la déception dans les yeux de Julien. Yassine a fini par trouver son animal, c’est aussi un éléphant et moi je finis par raconter mon histoire d’abeille, tout le monde est content. Nous y sommes presque tous arrivés. Pour ma part, je suis déçue, je m’attendais à être emporté, peut-être aurait-il fallu prendre de l’ayahuasca pour me permettre de croire un peu à ce simulacre de magie. Il est l’heure de prendre le thé de l’amitié et de remercier une fois de plus les esprits qui étaient parmi nous cette après-midi. Olivier insiste « Pour ceux qui n’ont pas eu de contact avec leur guide, ce n’est pas grave, vous n’êtes pas venu pour rien, les esprits étaient parmi nous et ils sont bénéfiques, ils soignent, ils apportent du bien être… Par ailleurs, n’oubliez pas de me laisser vos 10 euros avant de repartir ».

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