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Lorsqu'un jeu vidéo est le reflet abominable de votre personnalité

J'ai confié "Stardew Valley" à ma meuf, qui l'a transformé en une version cauchemardesque du "Metropolis" de Fritz Lang.
Image : screenshot de Chucklefish

Cet article a initialement été publié sur Waypoint.


Il y a quelques semaines, tandis qu'elle était aux prises avec une grippe de l'enfer, ma copine a entrepris de jouer à Stardew Valley. "J'ai besoin de jouer à un truc réconfortant, paisible, qui me réchauffe le coeur" m'a-t-elle expliqué. Après m'avoir vu nourrir mes poulets, entretenir mon potager, me promener autour d'une charmante bâtisse des heures durant et offrir des cadeaux à des dizaines de PNJ aux bouilles plus excellentes les unes que les autres, elle avait envie d'essayer le célèbre jeu de simulation agricole.

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Ce week-end, elle m'a annoncé d'une voix chargée de regrets et de honte : "Je crois que j'ai appliqué les principes de l'agriculture industrielle à Stardew Valley."

J'ai jeté un coup d'oeil sur son écran, et ai immédiatement été parcouru par un frisson d'angoisse. Tel Néo guidé par Morpheus, j'entrapercevais d'immenses parcs d'élevage en batterie s'étendant sous un ciel d'orage. Par une sorte de prodige inconcevable, mon adorable copine avait réussi à créer une machine à produire terrifiante au sein de l'univers 16-bit, un complexe hypercapitaliste entièrement organisé autour de son petit avatar innocent. Elle avait amassé plus d'argent en une année que je n'en avais jamais vu dans le jeu. Son personnage, confesse-t-elle, s'évanouissait régulièrement d'épuisement dans divers coins de la ville. Selon elle, il était plus rentable de payer les coûts médicaux pour son rétablissement que de la garder en bonne santé si elle voulait atteindre ses objectifs de production quotidiens.

"Euh, ok, et sinon… tu t'es fait des amis dans le jeu ?"

Elle avait l'air tout penaud. "Non, personne. J'ai tellement de trucs à faire, j'ai pas vraiment de temps pour les relations sociales, tu vois. Mais une fois que j'aurai les arroseurs automatiques qui vont bien, j'aurai peut-être l'occasion de parler aux gens."

"Je crois que je ne comprends pas bien le but du jeu", admet-elle. "Je le trouve très stressant, même s'il me satisfait quand même."

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De nombreux jeux esquissent, malgré nous, un portrait pas toujours très flatteur de notre personne. Dans sa version toute personnelle du jeu, que l'on pourrait baptiser "édition Jeff Bezos", je pouvais discerner les traits psychologiques subtils qui avaient poussé ma meuf à faire un master puis un doctorat de gestion, et ceux qui avaient manqué de provoquer sa perte au cours de ces longues études. Son acharnement à atteindre des objectifs qu'elle s'était elle-même fixés, sa manie de mettre sa vie en pause tant qu'elle n'avait pas touché au but… ces tendances marquaient notre vie commune, et étaient reproduits ici dans un jeu pourtant conçu comme une sorte d'idylle pastorale. Dans sa façon toute particulière d'exploiter le gameplay de Stardew Valley, on pouvait même observer son attachement aux animaux, et sa légère préférence pour les créatures à fourrure par rapport à ses compagnons humains.

Il faut pourtant avouer que sa ferme tournait très bien, alors que la mienne était un vieux de tôles arrangé au hasard au sein duquel aucune opération n'était vraiment rationnelle. Je gérais mon capital comme un singe, empruntant à tout de bras puis dépensant toutes mes ressources jusqu'à n'avoir plus un rond. J'entretenais certes de bonnes relations avec les quelques personnes qui comprenaient mes initiatives ; mais pour la plupart des gens habitant le monde merveilleux de Stardew Valley, j'étais connu comme le type bizarre qui offrait toutes sortes de merdes à son prochain en espérant lui faire plaisir.

C'est une expérience légèrement glaçante que de jouer à un jeu en pensant s'évader du quotidien, en espérant évoluer dans un monde où les lois ordinaires de l'existence n'ont pas cours… avant de réaliser que nos névroses et notre personnalité s'y expriment avec une rare intensité. Jouer, c'est laisser de soi partout.

En négligeant Stardew Valley, les psychanalystes perdent sans doute l'occasion d'exploiter un outil thérapeutique de choix. Quant à moi, je vais de ce pas faire quelques heures d'introspection en plantant des choux-fleurs.