Désormais, les caméras de surveillance peuvent voir derrière les murs

Tout le monde connaît le refrain depuis 1984, les sociétés panoptiques contemporaines sont personnalisées par la figure d'un Grand Frère pervers qui vous mate partout, tout le temps, quoi que vous fassiez, histoire d'assouvir son insatiable et exponentielle soif de contrôle. Et là où Orwell a sacrément eu le nez creux, c'est qu'il avait déjà compris, en 1949, que les structures gouvernementales instrumentaliseraient avec joie le progrès technologique pour le mettre au service de leurs fantasmes coercitifs. Alors certes, le bon George n'avait pas anticipé les IMSI Catchers, la loi Renseignement ou les Stingray, ces fameuses tour d'interception des communications mobiles qui fleurissent dans les villes américaines, mais il avait vu venir la prolifération monstrueuse des caméras de surveillance dans la canopée urbaine et ça, c'était pas donné à tout le monde. Difficile, donc, de ne pas penser à son cadavre décomposé et à ses angoisses totalitaires en lisant les résultats d'une équipe chinoise, dénichés par le MIT Technology Review, qui vient d'inventer la caméra capable de photographier des objets cachés derrière des murs. De quoi donner des bouffées de chaleur à Bernard Cazeneuve.

L'objet, qui pourrait peut-être un jour équiper les villes d'un futur radieux, se base sur une technologie finalement pas si nouvelle mais encore à ses balbutiements, les appareils photo à pixel unique. Plutôt que d'utiliser des millions de photodiodes simultanément pour capturer les détails d'une scène, cette technique n'en utilise qu'une, mais capte les pixels de lumière un par un, plusieurs dizaines de milliers de fois à la suite. Plus la caméra reste longtemps allumée, plus la résolution augmente, c'est aussi simple que ça. Ca fait déjà dix piges que des équipes de recherche s'amusent avec des appareils photo de ce genre, qui ne coûtent presque rien à produire, et tentent de lui trouver des applications pratiques, comme la captation de courtes vidéos en 3D ou la photographie de ballons de foot. Si l'idée peut sembler contre-intuitive et le processus douloureusement long, le dispositif présente pourtant des avantages : pas besoin d'objectif, pas de distorsion de l'image, une image toujours au point et des images, finalement, en résolution suffisante pour être utilisées. Et grâce aux travaux de l'université de Xi'an Jiaotong, la caméra à pixel unique présente désormais l'avantage de pouvoir « voir » derrière les murs.

Pour y parvenir, les chercheurs ont placé un objet (en l'occurrence, une réplique d'avion) derrière un mur, l'ont éclairé à l'aide d'un projecteur qui diffuse des motifs aléatoires de carrés illuminés et ont placé un second « mur », diffuseur de lumière, en face de la caméra à pixel unique. La lumière émise par le projecteur qui ne rebondit pas sur l'objet continue sa course, « rebondit » sur le diffuseur et est ensuite captée par la photodiode. La clé de l'expérience réside dans les variations de lumière émises par le projecteur : c'est en enregistrant patiemment ces variations, plus de 50 000 fois, puis en soumettant l'échantillon de données récoltées à un algorithme de data mining, que le dispositif va faire émerger une image par contraste, un peu à la manière d'une ombre projetée. Et n'imaginez pas une bouillie de pixels indifférenciés, non : les résultats sont convaincants (même si les graphismes sont dignes de la Super Nes, il faut bien l'avouer). Toute la question, désormais, est de savoir dans quel laps de temps le dispositif peut enregistrer plusieurs dizaines de milliers de pixels pour restituer une image, car de cette vitesse dépendra la capacité de la caméra à enregistrer des objets mouvants. D'un autre côté, s'il s'agit de filmer un stoner tranquillement planqué derrière un mur pour s'en fumer un, la caméra peut prendre tout son temps pour obtenir la meilleure définition possible.