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Petit guide des prix Nobel qui sont complètement partis en vrille

Le "Nobel Disease" est un syndrome étrange qui frappe les esprits les plus brillants de la planète et leur fait dire n'importe quoi.

Le VIH n'a rien à voir avec le sida ; la mécanique quantique explique les phénomènes télépathiques ; le réchauffement climatique est un mensonge ; le manque d'affection maternelle provoque l'autisme ; l'homéopathie guérit toutes les maladies.

Les conspirationnistes et autres prophètes new age ne sont pas les seuls à répandre ce genre de délires. Plus d'une trentaine de prix Nobel, après avoir reçu la distinction suprême, ont soutenu ces théories farfelues, et bien d'autres encore. C'est le combat de David Gorski, chirurgien, oncologue et professeur américain, qui se bat depuis des années contre la désinformation et a baptisé ce phénomène « Nobel Disease », la maladie du Nobel.

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Les études en course pour le Nobel sont des recherches sectorielles, consacrés à des champs limités du savoir humain, mais le titre de prix Nobel confère à son détenteur un statut qui va bien au-delà de ses propres compétences, surtout aux yeux du grand public. La parole d'un prix Nobel a souvent plus d'écho que celle d'un autre chercheur, quelle que soit l'invraisemblance de son discours. Hélas, les gens se fient généralement davantage aux personnes qu'aux faits.

Le premier cas de « nobélite » remonte à 1903 et concerne Pierre et Marie Curie qui, parallèlement à leurs recherches sur la radioactivité, étaient fascinés par la médium Eusapia Palladino, qui lors de ses séances de spiritisme faisait léviter et disparaître des objets. Les célèbres époux Curie ne sont pas les seuls prix Nobel de physique à avoir cru en des phénomènes paranormaux qu'ils ne parvenaient pas à expliquer. Entre 1903 et 1973, une dizaine d'autres prix Nobel sont tombés dans le même piège.

Eusapia Palladino, pendant une séance de spiritisme. La medium italienne avait réussi à tromper Pierre et Marie Curie.

Les toutes premières découvertes sur la mécanique quantique ont beaucoup perturbé Erwin Schrodinger, qui croyait au mysticisme quantique, une pseudoscience qui mêle allègrement croyances mystiques et interprétations erronées des théories quantiques. Rien de tout cela n'a la moindre validité scientifique.

En 1973, les modèles sur les comportements animaux de Nikolaas Tinbergen ont porté l'éthologue à soutenir la thèse de la « mère réfrigérateur », selon laquelle le manque de chaleur affective maternelle provoque l'autisme chez l'homme. Cette théorie a été élaborée en 1967 par le psychologue Bruno Bettelheim, et faute de données expérimentales, elle n'a eu qu'un succès limité – mais ce n'est qu'en 200 qu'elle a été définitivement abandonnée.

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La plongée dans la folie profonde se poursuit avec Kary Mullis, biochimiste américain et Nobel de médecine en 1993. Après avoir élaboré une méthode pour la duplication des filaments d'ADN en laboratoire, il s'est lancé dans l'écriture de « Dancing Naked in the Mind Field » (« Danser nu dans le champ de l'esprit »), texte autobiographique dans lequel il se déclare convaincu par l'astrologie, raconte avoir été enlevé par des extraterrestres, nie que le VIH soit la cause du sida, et réfute la théorie du réchauffement climatique. Pas mal.

Le cas de Louis Ignarro, chimiste américain et prix Nobel de médecine, est lui aussi très suspect. En 2003, six ans après ses recherches sur les fonctions du monoxyde d'azote dans le système cardiovasculaire, il accepte une mission pour Herbalife, une multinationale qui produit des compléments alimentaires et des cosmétiques. Là, il fait la promotion d'un supplément à base d'arginine, un acide aminé précurseur du monoxyde d'azote dans l'organisme humain, qu'il vend comme un produit miracle pour le cœur et les performances sportives. Pour cette mission, il reçoit 1 million de dollars, alors que selon l'EFSA – l'Autorité européenne de sécurité des aliments – il n'existe aucune relation avérée entre l'ingestion d'arginine et les bénéfices vantés par Ignarro.

Dernier dans l'ordre chronologique, mais premier pour la gravité des ses propos, on trouve Luc Montagnier, le virologue qui a reçu le prix Nobel en 2008 pour avoir isolé le virus du VIH.

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Outre qu'il a publiquement contesté l'efficacité des vaccins, Montagnier est un ardent partisan de l'homéopathie. Il est convaincu que lorsque l'on dilue l'ADN des virus et des bactéries dans de l'eau, celle-ci en conserve des traces sous forme d'impulsions électromagnétiques.

La méthode géniale qu'il a utilisée pour relever les ondes électromagnétiques émises par l'ADN consiste en un ordinateur muni d'une carte son sur lequel on a branché un fil de cuivre relié à une bobine immergée dans l'eau. A priori, la seule chose qu'il ait captée, ce sont des interférences ambiantes et un peu de bruit blanc, mais lui affirme avoir inventé un instrument potentiellement capable de diagnostiquer des maladies.

Pour l'instant, sur Internet, je n'ai trouvé que cette belle comparaison :

L'appareil imaginaire du professeur Horatio Hufnagel (Les Simpson) et celui de Luc Montainger (prix Nobel)

Que même les Nobel commettent des erreurs, c'est un fait ; mais à quoi sont dus leurs dérapages ? L'esprit humain tend à simplifier la complexité de la réalité, et à établir des liens de causalité entre des faits qui n'existent pas toujours. Louis Ignarro, qui connaissant les propriétés extraordinaires du monoxyde d'azote, a ainsi affirmé que la consommation de compléments qui augmentaient sa biodisponibilité avait nécessairement des effets bénéfiques sur la santé. Alors qu'en vérité, la complexité de notre organisme ne permet pas de tirer de telles conclusions sans avoir préalablement mené des expériences en bonne et due forme.

Tinbergen est tombé dans un piège similaire, en prétendant qu'il y avait un lien de causalité entre un schéma comportemental et une maladie aussi mystérieuse que l'était l'autisme à l'époque. Des facteurs culturels et des croyances populaires peuvent aussi influencer notre perception des événements, comme le prouvent ces physiciens qui croyaient au paranormal et à la magie dans la première moitié du vingtième siècle.

Aujourd'hui, peu d'entre nous croient encore aux fantômes, mais le danger que représente la pseudoscience est bien réel : des théories conspirationnistes comme l'opposition aux vaccins ont été légitimées par le fait que des prix Nobel mal avisés comme Montagnier les défendent. Il reste donc plus que jamais indispensable de vérifier chaque information auprès de sources sérieuses pour déterminer sa véritable valeur scientifique.