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Pour la seconde fois dans l’histoire, nous allons éradiquer une maladie

Cela fait des années que Jimmy Carter lutte âprement contre la dracunculose. Désormais, il a le soutien du Royaume-Uni.
Le ver de Guinée dans un bocal. Image: Nell Frizzell.

Un ver de Guinée dans un bocal. Image: Nell Frizzell

La couleuvre enroulée autour d'un bâton est sans doute l'un des symboles les plus connus de la médecine. On l'appose sur des bracelets d'urgence médicale, on l'accroche dans les salles d'opération, et on l'imprime sur les documents administratifs. Mais selon l'ancien président américain Jimmy Carter, l'histoire qui se cache derrière le fameux bâton d'Asclépios est sur le point de toucher à sa fin.

En trente ans, l'incidence de la dracunculose (ou filariose de Médine), la maladie parasitaire due au ver de Guinée, est passée de 3,5 millions de cas à…22 cas. C'est si impressionnant que les experts médicaux sont convaincus que la maladie va bientôt être éradiquée. Ce serait la seconde fois seulement dans l'histoire de l'humanité, après la disparition de la variole en 1980.

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« Pendant plusieurs siècles, le seul traitement disponible contre la dracunculose consistait à attendre que le ver parasite sorte la tête de son trou, avant de l'enrouler délicatement autour d'un bâton pour l'extraire en entier. »

Cette semaine, le Département pour le Développement International britannique a annoncé qu'il ferait don de 5,8 millions d'euros au Centre Carter pour son programme d'éradication du ver de Guinée. À la suite de cette annonce, Carter est monté sur la scène de la Robing Room, la salle d'apparat de la Chambre des Lords, mercredi dernier. Il a alors raconté son combat de plus de 30 ans contre la maladie.

Pendant plusieurs siècles, le seul traitement disponible contre la dracunculose consistait à attendre que le ver parasite, qui se reproduit incognito dans l'eau stagnante, sorte la tête de son trou, avant de l'enrouler délicatement autour d'un bâton afin de l'extraire du corps à la manière d'une pelote de laine. L'opération, très fastidieuse, peut durer jusqu'à 20 jours. Une légende dit que le fameux symbole médical du serpent enroulé autour du bâton proviendrait en fait de la méthode d'extraction du ver de Guinée.

Non seulement l'opération est aussi répugnante qu'elle en a l'air ; le ver mesure un mètre de long et son corps peut se casser à tout moment. Par ailleurs, nous pouvons en abriter plusieurs à la fois : le record est de 81 vers grouillant dans les tissus d'un seul individu, selon le Centre Carter. Enfin, les lésions occasionnées par l'animal peuvent entrainer des infections bactériennes secondaires. Bref, le ver de Guinée ressemble à une créature tout droit sortie d'un scénario de David Cronenberg.

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L'extraction du ver de Guinée. Image: The Carter Center/L. Gubb

L'éradication de la filariose de Médine est la « plus grande réalisation » de l'ancien président Jimmy Carter, selon ses propres mots. En 1988, quelques années seulement après avoir quitté la Maison Blanche, Carter a fait un voyage au Ghana à l'occasion duquel il a rencontré une femme tenant un bébé, ou ce qui semblait être un bébé, dans ses bras. En s'approchant, il s'est aperçu qu'elle tenait en fait son sein droit : un ver de Guinée était sorti au niveau du téton, générant d'énormes cloques et des lésions tissulaires atroces. Comme il n'y a pas de traitement contre la dracunculose, l'accent est mis sur la prévention. Selon Carter, il fallait « aider les ghanéens, un peuple intelligent, ambitieux et travailleur à s'informer correctement sur la maladie. »

Les connaissances scientifiques nécessaires pour comprendre l'apparition de la maladie sont si simples qu'elles peuvent être expliquées dans un dessin animé à destination des enfants. De plus, un système de filtrage de l'eau élémentaire (un mince filet posé sur un seau) suffit à se débarrasser des copépodes, ou « puces d'eau » qui transportent les larves du nématode. Au Niger, qui était affligé de 656000 cas de dracunculose en 1988 et zéro aujourd'hui, 6 millions de mètres carrés de fibre ont été tissés pour y découper des filtres utilisables au quotidien par les nigériens. cette fibre est spécialement conçue pour ne pas moisir dans les conditions tropicales humides du pays. Dans le sud du Soudan, où les gens doivent se déplacer fréquemment pour collecter de l'eau, le Centre Cartera a fourni des pailles spéciales que l'on peut transporter autour du cou comme des colliers afin de pouvoir s'abreuver directement à une source d'eau.

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En 1986, les pays les plus touchés par la filariose de Médine n'avaient évidemment pas Youtube, ni même un accès à la télévision et à la radio. Les experts médicaux impliqués dans le programme d'éradication ont donc eu recours à des dessins animés, des posters et des illustrations expliquant comment on pouvait attraper un ver de Guinée, et comment s'en prémunir grâce au filtrage de l'eau. Ces images ont été si bien diffusées qu'on les trouve encore parfois sur des T-shirts, robes, chemises, telles de petites publicités ambulantes pour le programme de santé.

Des enfants utilisant des pailles filtrantes dans le sud du Soudan. Image: The Carter Center/J. Albertson

Selon un rapport de 2015 de la CDC (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies), l'éradication de la dracunculose doit se dérouler en quatre temps. L'éducation, pour commencer. Les communautés où la maladie est endémique doivent absolument éviter de s'immerger dans les plans d'eau destinés à la consommation courante. Il faut également filtrer l'eau potentiellement contaminée et traiter les eaux de surface (en particulier, les eaux stagnantes) au téméphos (un insecticide) afin de tuer tous les copépodes. Enfin, dans la mesure du possible, l'eau courante doit venir de forages ou de puits creusés à la main. Il est essentiel que, lorsque le ver a été extrait du corps, il ne finisse pas dans une source d'eau ; si c'était le cas, il relâcherait alors des centaines de milliers de larves immatures dans la source en question, relançant le cycle biologique du parasite une fois de plus.

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« L'ancien président Jimmy Carter a expliqué au public de la Chambre des Lords qu'il avait bien l'intention de mourir après le dernier ver de Guinée. »

Jusqu'ici, le programme d'éradication du ver de Guinée à coûté près de 200 millions d'euros. C'est-à-dire moins qu'une unité du transporteur militaire C-17, a expliqué Carter aux universitaires, journalistes et professionnels de santé rassemblés ce soir là. Malgré son prix, les Etats-Unis ont déjà acheté 119 unités C-17.

Par contraste, la prévention est souvent le moyen le moins cher, le plus efficace et le plus efficient d'éradiquer une maladie. Le financement du programme a été assuré par la Fondation Bill & Melinda Gates, le gouvernement britannique, le fond OPEC pour le développement international, la présidence des Émirats Arabes Unis, la Children's Investment Fund Foundation, etc, etc.

« La dracunculose est une maladie atroce, qui provoque des souffrances inimaginables, » affirme Nick Hurd, le Ministre du Développement International britannique. « Le fait que nous soyons sur le point de l'éradiquer témoigne de l'un des plus grands succès des politiques de santé publique à l'époque moderne. »

Jimmy Carter essaie de réconforter une fillette ghanéenne tandis qu'une assistante du Centre Carter bande sa plaie. Image: The Carter Center/L. Gubb

Même si cette déclaration a du vrai, préserver les communautés de la maladie est difficile, et le processus est toujours en cours. La larve du ver de Guinée possède un cycle de reproduction d'un an. Si les habitants d'une zone infectée s'abstiennent de boire de l'eau non filtrée pendant un an, il est possible d'éradiquer la maladie : sans hôte à disposition, la larve mourra. Le financement promis par le Royaume-Uni contribuera à payer les bénévoles, les filtres et les larvicides nécessaires pour traiter les quelques villages du sud du Soudan du Sud, d'Éthiopie, du Chad et du Mali où le ver survit encore. Il permettra aussi de « développer une campagne de surveillance épidémiologique portant sur plus de 6000 villages, et d'entretenir des programmes de prévention et d'éducation afin de s'assurer que la maladie ne fera plus surface. »

L'ancien président Jimmy Carter a expliqué au public de la Chambre des Lords qu'il avait bien l'intention de mourir après le dernier ver de Guinée. C'est possible, si son traitement contre le cancer a le succès espéré. Adossé à un mur couvert d'inscriptions, « miséricorde », « générosité », « religion », « hospitalité », l'ancien président a conclu en disant que ne pas parvenir à éradiquer la maladie serait un échec monumental, mais que « le plus grand échec de tous aurait été de ne pas essayer. »

Alors, à 91 ans, il essaie encore.