Pourquoi des chercheurs pensent que nous sommes entrés dans l'Anthropocène
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Pourquoi des chercheurs pensent que nous sommes entrés dans l'Anthropocène

24 chercheurs des meilleures universités du monde affirment avoir la preuve irréfutable que l'Homme a irrémédiablement modifié la géologique de notre planète.

« L'activité humaine laisse une empreinte omniprésente et persistante sur la Terre. » Ainsi commence l'un des articles scientifiques les plus déprimants que j'aie jamais lu.

Ce qui suit dans cet article, intitulé « L'Anthropocène est fonctionnellement et stratigraphiquement distinct de l'Holocène », une nouvelle étude publiée dans Science, est une longue liste de nos péchés qui, au final, constitue selon les auteurs une preuve irréfutable que la terre est désormais entrée dans une ère géologique marquée en premier lieu par l'action de l'Homme. Cette ère aurait débuté au milieu du 20ème siècle.

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Que nous vivions actuellement à l'ère de l'Anthropocène (l'ère des humains, littéralement) ou à celle de l'Holocène (qui a débuté il y a environ 11.700 ans) est un débat qui agite beaucoup la communauté scientifique depuis deux décennies. Certains affirment que l'Anthropocène a débuté quand les Hommes ont allumé leurs premiers feux. D'autres situent son origine aux alentours de 1610, quand les colons européens commencèrent vraiment à laisser leur empreinte sur l'ensemble de la planète. D'autres encore assurent que les Hommes sont tout simplement incapables d'avoir un véritable impact géologique sur la Terre. En tout cas, pas encore.

L'article, publié jeudi et signé par 24 chercheurs réputés appartenant à l'Anthropocene Working Group, affirme que l'Anthropocène a débuté au milieu du 20ème siècle.

Si leur étude est officiellement reconnue par la Commission internationale de stratigraphie, les auteurs estiment que « ce sera la toute première fois que nos sociétés développées assistent à la naissance d'une nouvelle ère, mais aussi la première fois qu'elles l'ont elles-mêmes engendrée. »

Sans surprise, ces changements sont la conséquence « d'un développement technologique accéléré, d'une croissance rapide de la démographie, et d'une consommation accrue des ressources. »

Voyons ça d'un peu plus près.

Influence sur les couches géologiques (strates)

Les auteurs notent que « les gisements anthropiques les plus récents, produits du minage, du traitement des déchets (décharges), de la construction et de l'urbanisation sont à l'origine du plus grand accroissement de nouveaux minéraux depuis la Grande Oxydation [il y a 2 milliards d'années]. »

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Plus de 98% de l'aluminium (il n'existe pas à l'état naturel) a été produit après 1950, et plus de 50% de tout le béton jamais créé a été produit au cours des vingt dernières années. La biomasse de tous les plastiques que nous avons fabriqués équivaut désormais au moins au poids cumulé de tous les êtres humains actuellement vivants, et « la résistance à l'érosion et la composition chimique de la plupart des plastiques indique qu'ils laisseront des traces géochimiques durables. »

Modification des surfaces terrestres

Les barrages, l'activité minière et les décharges ont « suffisamment modifié les processus de sédimentation pour avoir un impact important sur les dépôts des rivières, des lacs et des glaciers, surtout ceux qui sont éloignés de la source. » Dans le même temps, l'agriculture et l'élevage ont bouleversé d'innombrables biomes à travers la planète, et la déforestation sous les tropiques a abouti à la construction de routes de montagnes qui ont « causé une forte érosion des surfaces et de nombreux glissements de terrain. »

Nouvelles signatures géochimiques

La pollution, l'agriculture et la consommation d'énergie (charbon, essence, etc.) ont fait doubler les quantités d'azote et de phosphore présents dans les sols au cours des 100 dernières années. « En 2,5 milliards d'années, rien n'a autant modifié le cycle d'azote que l'activité humaine », dit l'article. L'utilisation de terres rares (un groupe de métaux) depuis la Seconde guerre mondiale a abouti à « leur dispersion à l'échelle globale et à des rapports stœchiométriques inédits », tandis que « les métaux industriels tels que le cadmium, le chrome, le cuivre, le mercure, le nickel, le plomb et le zinc ont été largement et rapidement dispersés depuis le milieu du 20ème siècle. »

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Signature radioactive

On n'a évidemment même pas encore parlé de l'impact des essais nucléaires, qui, selon les auteurs, sont « potentiellement les signaux anthropiques les plus importants à l'échelle de la planète. » Les chercheurs notent au passage que les effets des bombes nucléaires « seront visibles dans les sédiments et les glaces pour les 100.000 ans qui viennent. »

Cycle du carbone et montée des eaux

Les chercheurs écrivent que le carbone atmosphérique « a été émis dans l'atmosphère 100 fois plus vite entre 1999 et 2010 que lors de la dernière ère glaciaire. »

Le plus inquiétant, sans doute, c'est que la terre devrait se refroidir en raison de son cycle orbital actuel, mais que « les émissions de gaz à effet de serre ont au contraire entraîné un réchauffement climatique anormalement rapide, occultant totalement le cycle climatique causé par la position de la Terre. »

Extinction des espèces

Les scientifiques remarquant que nous sommes probablement au début d'une sixième extinction massive, mais que « le taux d'extinction est généralement trop faible et trop lent pour constituer un indicateur biologique fiable du début de l'Anthropocène. » La plupart des espèces présentes sur Terre au début (supposé) de l'Anthropocène sont en effet toujours là. Mais on peut quand même observer la distribution des espèces pour mesurer l'impact de la présence humaine : « L'abondance relative des espèces a diminué partout dans le monde », écrivent les chercheurs. « C'est particulièrement vrai au cours des dernières décennies, en raison de la diffusion d'espèces invasives à travers l'ensemble de la planète, et du bouleversement de peuplements biologiques liés à l'agriculture et à la pêche. »

Mis bout à bout, tous ces constats sont « soit tout à fait inédits, soit très éloignés quantitativement de ce que l'on observait au cours de l'Holocène ou des époques précédentes. »

Autrement dit, bienvenue dans l'Anthropocène, cher congénère.