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Untitled, 2018, h. 202 × L. 171 cm | h. 79 1/2 × l. 67 5/16 in, Acrylic on canvas mounted on wood panel, ©2018 Mr./Kaikai Kiki Co., Ltd. All Rights Reserved. ©Perrotin

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L'artiste Mr. glorifiait les anime bien avant qu'ils deviennent mainstream

L'artiste japonais, ancien assistant de Takashi Murakami, tire son inspiration des rues de Tokyo.

Lorsque nous prenons des photos de notre quartier, celles-ci restent bien souvent sur notre téléphone ou sur Instagram. Mais lorsque l'artiste japonais Mr., Masakatsu Iwamoto de son vrai nom, prend des photos de sa ville, Tokyo, elles deviennent de véritables mondes imaginaires pour personnages d’anime.

Jusqu’au 9 mars, la galerie Perrotin à Paris présente une sélection d’œuvres de l’artiste inspirée des animes japonais et intitulée « Mr.’s Melancholy Walk Around the Town ».

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« J’ai toujours sur moi un iPhone ou un appareil photo numérique haute définition. Je photographie les décors de la ville, les ruelles, les magasins, les ordures en bordure de route », explique Mr. « Je rassemble tous ces éléments ordinaires que je rencontre régulièrement et je les réinvestis dans mes œuvres. »

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Dans l'exposition « Mr.'s Melancholy Walk Arond the Town » à la galerie Perrotin. Photo : Claire Dorn, ©2019 Mr./Kaikai Kiki Co., Ltd. Tous droits réservés. Avec l'aimable autorisation de la galerie Perrotin.

Dans cette exposition, Mr. met l'accent sur les quartiers otaku d'Akihabara et Ikebukuro, un espace de graffitis peuplé de fans de manga en tenue de cosplay. On y trouve également le plus grand mégastore Pokémon, des maid cafés (où les serveuses portent un uniforme de domestique) et des boutiques d’animes, ce qui en fait l’épicentre du kawaii.

« J'aime les mangas et les animes japonais depuis le début », explique Mr. « J'aime aussi beaucoup les quartiers d’Akihabara et Ikebukuro, qui regorgent de magasins spécialisés et d'immeubles à plusieurs locataires. Cela donne une image de centre-ville encombré et néo-futuriste. »

Sur ses œuvres, ce sont d’abord les cheveux qui interpellent. Chaque personnage arbore un bob aux teintes arc-en-ciel, des nattes roses ou une crinière bleue. En arrière-plan, les scènes de rues banales que Mr. a photographiées au passage — des magasins de proximité, des kiosques à journaux, des épiceries — sont couvertes de graffitis (« Vous pouvez le faire ! ») et d'icônes d’applications.

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En regardant de plus près, on remarque des icônes dans les yeux des personnages. Les globes oculaires scintillants et surdimensionnés de chaque jeune fille racontent une histoire différente ; une sorte de monde intérieur contenu dans une boule de cristal.

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« Je les considère comme un miroir du monde », dit l'artiste. « À un moment donné, j’ai commencé à peindre les yeux des filles de façon à ce qu’elles semblent refléter quelque chose et, depuis, je ne peux plus me résoudre à peindre des yeux sans reflet. »

Dans les yeux d’une fille, le mot « Tokyo » est écrit à côté d’une collection de déchets soigneusement disposés. Les yeux d’une autre montre des cœurs, des bonbons, du chocolat et un bubble tea. Dans ceux d’une autre encore apparaissent un chat pixélisé et l’icône de Google Chrome.

L'artiste a fait ses débuts en 1996 après avoir été l’assistant de Takashi Murakami. Il a gagné en popularité au début des années 2000 en participant à un certain nombre d’expositions de groupe sur le thème de l’anime. Si Murakami a été le premier à s’inspirer des mangas, Mr. a prouvé au monde de l'art que l'anime n’était pas l’apanage d’un seul homme, mais bien un genre à part entière. Il a ouvert la voie à toute une génération d'artistes contemporains inspirés par l’anime, comme Yoshitomo Nara, Chiho Aoshima ou Aya Takano, qui explore l'anime à travers le regard féminin. Tout comme la carrière de Murakami a explosé grâce à sa collaboration avec Kanye West, le travail de Mr. est devenu populaire après qu’il a animé le clip « It Girl » de Pharrell Williams en 2014. (Pharrell était d’ailleurs présent lors de l’inauguration de l’exposition à Paris.)

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Mais cette exposition rend hommage aux racines de la sous-culture manga, bien avant qu’elle devienne populaire. Depuis qu’ Astro Boy est sorti sur grand écran dans les années 1950 et qu’ Akira est devenu culte dans les années 1980 et 1990, l’animation japonaise a beaucoup changé et plus d’une centaine de séries télévisées — de Pokémon à Dragon Ball Z en passant par Sailor Moon — ont été diffusées auprès d’un public international. Mr., qui a vu l’anime devenir mainstream, regrette qu’il ne soit plus une sous-culture.

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« Au cours des dix dernières années, les populations de fans d'animes et d' otaku ont considérablement augmenté », dit-il. « Ils ont perdu leur statut de minorité. »

Il estime toutefois que la prolifération de la culture anime n'est pas une si mauvaise chose. « À l’époque, on pensait que la culture otaku avait une mauvaise influence sur les enfants ; les animes étaient interdits car ils ne collaient pas avec les convictions éducatives des parents japonais », explique-t-il.

Depuis, cette culture est devenue si importante qu’elle ne peut être ignorée. « Il y a 30 ans, j’étais le premier à souhaiter une meilleure compréhension de la culture otaku », poursuit-il, « mais dès qu’elle est devenue mainstream, j’ai ressenti un étrange sentiment de perte. »

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On retrouve cette idée de perte dans ses dernières œuvres, qui vont du kawaii (mignon) au kowai (terrifiant) sur fond des rues isolées de Tokyo. Les personnages semblent perdus, confus ou choqués. Ce qui rend le travail de Mr. différent de celui de n’importe quel autre fanboy, c’est qu’il adopte une esthétique familière en lui ajoutant un twist improbable ; les personnages sont en fauteuil roulant et les filles, en tenue de camouflage, combattent dans une armée.

On serait tenté de voir en Mr. le Nabokov du monde de l'art, mais depuis l’explosion du mouvement #MeToo, il a atténué l’aspect lolicon de son travail pour un résultat plus « tout public ». Il précise qu'au Japon, les femmes sont plus puissantes que les hommes, raison pour laquelle il compte bien continuer sur sa lancée.

« Je ne me lasse pas de peindre des femmes », dit-il. « Je crois que je pourrais continuer à les peindre jusqu’à la fin de ma vie. D’ailleurs, historiquement, et pour une raison quelconque, les artistes ont toujours peint des femmes de manière significative. »

Cet article est paru sur GARAGE puis sur VICE Asie.

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