FYI.

This story is over 5 years old.

société

Guide pour survivre une journée en prison

Vous pourriez être massacré par un détenu, les gardiens n’en sauraient rien jusqu’à qu’ils découvrent votre corps sans vie, après le passage de la foule.
Photo par Robert Hickerson on Unsplash

Cet article a initialement été publié par VICE US .

Les gens me demandent constamment de leur raconter une journée typique en prison. Est-ce que vous vous ennuyez? Êtes-vous occupés? Alors l’autre jour, j’ai traîné avec moi partout où je suis allé un calepin assez petit pour entrer dans ma poche et j’y ai noté toutes les choses que j’ai faites.

Je me suis dit que je vous en ferais ensuite part pour vous montrer que les prisonniers ne sont pas une bande de désœuvrés. En fait, nos journées sont incroyablement bien remplies.

Publicité

Dans la nuit, vers 1 h 30, un agent me secoue et pointe sur mon visage la lampe de poche la plus puissante au monde. Il me donne dix minutes pour me vêtir et m’escorte vers les cellules d’isolement, où je dois me déshabiller pour une fouille complète. Ensuite, je commence un tour de garde de prévention du suicide de trois heures.

C’est mon travail en prison : je surveille des détenus jugés suicidaires, je leur parle et, surtout, je m’assure qu’ils ne font aucune tentative.

Le jeune homme noir de 18 ans qu’on m’a confié cette nuit-là avait une voix douce et paraissait sévèrement dépressif. (Je suis blanc et j’ai 43 ans.) Il s’est ouvert à moi étonnamment vite à propos des nombreuses horreurs de son enfance. La vie a été très dure envers lui, ce qui est monnaie courante chez les détenus, mais ça reste quand même profondément bouleversant. Je suis à plusieurs reprises au bord des larmes. Il n’y a pas grand-chose que je puisse faire, à part écouter. Alors je l’ai écouté comme si ce jeune homme était mon propre enfant.

À la fin du quart de travail, je me suis déshabillé et on m’a fouillé encore une fois. On m’a escorté jusqu’à mon unité, où j’ai pris une brève douche, fait des étirements, médité un peu, prié aussi, puis je me suis glissé sous ma couverture de laine qui me gratte et me suis rendormi vers 6 h du matin.

Je me suis réveillé à 10 h, à cause du chahut à l’extérieur de ma cellule. Je suis resté quelques minutes au lit, puis je suis descendu de ma couchette. Le chien que j’entraîne, Ross, m’a accueilli.

Publicité

Pendant que je m’habillais, il remuait sa queue et me poussait avec son museau frais et humide, ce qui me fait sourire à tous les coups.

J’ai fait une promenade dans l’aile de cellules jusqu’aux salles de bains communautaires que je partage avec 48 autres détenus. Je me suis brossé les dents avec quatre jeunes qui rappaient, j’ai fait ma besogne matinale sur la toilette et je suis retourné à ma cellule. J’ai versé de l’eau dans le bol de Ross, j’ai pris ma pochette remplie de friandises pour chien et je suis ressorti de ma cellule avec lui. J’ai passé les 40 minutes suivantes à lui apprendre à obéir à mes ordres.

Après, j’ai pris ma tablette et une tasse de café soluble, et je me suis rendu au kiosque JPay.com (un service de courrier électronique en prison dans un ordinateur encastré dans une cabine en acier inoxydable quasi indestructible). C’est ma seule fenêtre sur le monde extérieur.

Là, j’ai payé une soupe ramen à un gars pour qu’il garde ma place dans la file, puis j’ai connecté ma tablette pour télécharger et téléverser mes courriels.

Après, j’ai joggé vers la cuisine de notre unité, où j’ai attendu mon tour pour utiliser l’un des deux micro-ondes que partagent 96 détenus. Heureusement, j’ai eu le temps de chauffer mon café avant d’entendre : « Cinq minutes avant le comptage », hurlé dans les haut-parleurs par la même voix antipathique que j’ai entendue cracher ces mots plusieurs fois par jour, tous les jours, pendant des années.

Publicité

« Soyez sur vos couchettes et visibles. Je répète, soyez sur vos couchettes et visibles, à 11 h 30, à défaut de quoi vous recevrez une contravention! »

J’ai rédigé quelques courriels (que je pourrai téléverser plus tard au kiosque) et j’ai écouté les nouvelles à la radio, étendu sur ma couchette, jusqu’à ce que les gardiens aient fini leur ronde. J’ai ensuite enfilé des vêtements de sport (un vieux pantalon couvert de patchs) et mon manteau « d’hiver » fourni par l’État, et je me suis tenu près de la porte de ma cellule en attendant qu’elle s’ouvre.

Le comptage en prison est une science imprécise, du point de vue du détenu. Bien sûr, il commence aux mêmes heures chaque jour : 5 h, 11 h 30, 16 h, 21 h et minuit. Mais, pour ce qui est de l’heure à laquelle il se termine, personne ne peut la prédire. C’est comme au purgatoire.

Ce jour-là, j’ai eu de la chance. Le comptage s’est terminé à 12 h 10, et j’ai donc pu être dans la cour à 12 h 20.

C’est le moment de la journée que je choisis habituellement pour me rendre dans la cour, parce que j’y suis presque seul. La plupart des détenus sont à l’intérieur en train de déjeuner. J’ai couru quelques kilomètres, fait des pull-ups, des push-ups, des sprints, levé des poids et haltères et j’ai fini par des étirements.

Quand les gigantesques portes de la prison, coiffées de fils barbelés, se sont ouvertes à 13 h 40, une masse contrôlée s’est mise en mouvement vers la cour. Moi, au contraire, je suis rentré, comme un poisson qui nage à contre-courant dans une rivière de détenus. Ils étaient comme toujours des centaines. Dans des moments comme ceux-là, je dois être hyper vigilant. Dans une foule de cette ampleur, vous pourriez être massacré par un détenu, les gardiens n’en sauraient rien jusqu’à qu’ils découvrent votre corps sans vie, après le passage de la foule. J’ai contourné et esquivé. Je m’arrête quelquefois pour dire bonjour quand quelqu’un m’interpelle.

Publicité

De retour indemne dans mon unité, j’ai marqué mon tour dans la file pour la douche (il n’y en a qu’une) en laissant ma serviette et mon savon devant la cabine. Je me suis préparé un bol de gruau instantané avec de l’eau chaude de la distributrice, j’y ai ajouté une cuillerée de beurre d’arachides, une poignée de noix de cajou, d’amandes et de graines de tournesol, une tasse de lait (en poudre) et des rondelles de bananes (achetées sur le marché noir), puis j’ai dîné en attendant mon tour.

Cette douche, c’est le seul endroit où je suis sûr de trouver un peu de solitude, ne serait-ce qu’une dizaine de minutes.

Ensuite, il était environ 15 heures. J’ai pris une autre tasse de café et je suis retourné dans ma cellule. Je me suis installé au bureau que je partage avec mon compagnon de cellule, et j’ai étudié la grammaire espagnole avant d’écrire dans ma langue maternelle. Parfois de la fiction, parfois de la non-fiction, parfois de la poésie.

Ce jour-là, c’était de la fiction.

De 3 h à 6 h, je suis libre. Je plonge dans mon monde imaginaire et je vis par procuration à travers mes personnages des amours et des deuils, des batailles contre le mal et pour un monde meilleur. (Je grimpe cependant sur ma couchette pour une pause obligatoire d’une vingtaine de minutes, à 16 h 30, pour le comptage.)

Vers 18 h 10, j’ai marché avec le troupeau de détenus vêtus d’orange et bleu qui se dirigeaient vers la cafétéria. Une fois là-bas, on a attendu dans l’une des deux files qui serpentaient entre les longues tables bordées de petits tabourets circulaires, tandis que les gardiens hurlaient : « Rentrez vos chemises, messieurs. Ou vous aurez une contravention. »

Publicité

On est enfin arrivé aux comptoirs jonchés d’éclaboussures de nourriture, où Trinity (l’entreprise privée qui fournit la nourriture) nous remettait un plateau sur lequel il y avait de la bouillie grise qu’ils appelaient « dinde à la king », une biscotte dure comme le roc et des haricots verts trop cuits sans arôme et sans goût.

J’ai mangé ce que j’ai pu, puis je suis parti. La cafétéria est aussi un endroit dangereux où mieux vaut ne pas trop s’attarder.

Après le souper, j’ai donné un cours de rédaction, qui dure habituellement une heure. Ce jour-là, il a duré plus longtemps parce qu’on s’est vraiment amusés à apprendre la différence entre la voix active et passive.

Vers 8 h, j’ai appelé ma mère. À 3 $ (presque deux fois mon salaire d’une journée) les quinze minutes, je ne peux me permettre de l’appeler qu’une fois ou deux par semaine.

Rapidement et efficacement, grâce à une expérience acquise au fil de nombreuses années, ma mère m’a raconté sa vie (ses pieds lui font mal parce qu’elle est debout toute la journée au travail et elle fait changer le toit de sa maison) et m’a parlé du mariage à venir de mon frère David (ce sera magnifique).

Comme d’habitude, une voix robotique a soudainement interrompu la conversation : « Il vous reste une minute. Merci d’utiliser GTL. »

Ma mère pleure souvent. Moi aussi des fois. Notre appel s’est terminé, on reprendra la semaine prochaine.

Pour plus d'articles comme celui-ci, inscrivez-vous à notre infolettre.

Publicité

À 8 h 30, j’ai sorti Ross par la porte arrière de notre unité pour ses derniers besoins de la journée. J’ai ensuite joggé jusqu’au micro-ondes où je me suis fait chauffer une soupe ramen et éclater du popcorn.

À 9 h, c’est mon moment de détente. Pendant les deux heures qui ont suivi, j’ai mangé ma soupe et mon popcorn assis sur ma couchette. Parfois, je regarde la télévision, d’autres fois je lis un livre.

À la fin de la journée, j’ai éteint la télé et la lampe, je me suis étiré, j’ai médité un peu, puis j’ai prié, et je me suis glissé sous la couverture de laine qui gratte et je me suis endormi.

Un jour de moins. Il m’en reste environ 3650.

Jerry Metcalf, 43 ans, est incarcéré à la Thumb Correctional Facility de Lapeer, au Michigan, où il purge de 40 à 60 ans de prison pour meurtre au deuxième degré ainsi que deux ans pour utilisation illégale d’une arme, deux crimes dont il a été reconnu coupable en 1996.