La vie et l’œuvre du « Christ Cosmique », faux vrai candidat aux élections présidentielles
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Culture

La vie et l’œuvre du « Christ Cosmique », faux vrai candidat aux élections présidentielles

Comment un hippie du sud de la France a réussi à devenir une star d’Internet.

En se basant sur l'un des calendriers mayas, quelques « spécialistes » d'astrologie avaient programmé la fin du monde pour le 21 décembre 2012. Morts par millions, dévastation à l'échelle mondiale, épidémies mortelles et famines étaient alors promises aux rares survivants de la planète Terre. Quatre ans plus tard, on peut désormais dire que tout ce beau monde s'est planté.

Toutefois, pour comprendre l'histoire du Christ Cosmique Sylvain Durif et de son faux-mais-peut-être-vrai concours à l'élection présidentielle 2017, il faut remonter quelques semaines en amont de la date de l'apocalypse avortée de 2012.

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À cette époque, une légende tenace, reprise volontiers par les médias, expliquait que le village de Bugarach dans l'Aude serait épargné par la fin du monde. Pour quelle raison ? Personne ne le sait exactement. Terre d'exil hippie à la fin des années 1960, il s'y trouverait selon toute vraisemblance un trésor cathare dissimulé, de même qu'une activité extraterrestre relativement développée. Cette rapide médiatisation avait alors eu des conséquences directes sur la petite bourgade de 200 habitants : hausse des prix de l'immobilier, puis interdiction préfectorale d'accéder au village quelques jours avant le 21 décembre – des organisateurs de free party ayant prévu d'y installer un sound-system.

C'est à ce moment-là, lors d'une invraisemblable interview à ce sujet réalisée par Le Parisien, que Sylvain Durif fit une entrée fracassante dans la vie d'Internet.

Interrogé en premier lieu sur sa présence à Bugarach, Durif était du reste demeuré assez évasif. En revanche, il en avait profité pour expliquer aux journalistes médusés qu'il avait la « capacité d'aller n'importe où dans le cosmos, et que la barrière physique n'avait aucune importance » pour lui. « Si j'en ai envie, je peux aller dans la cuisine de quelqu'un qui m'invite à Montréal – je l'ai déjà fait », avait-il alors assuré.

En conséquence de quoi Sylvain Durif est immédiatement devenu une star des réseaux sociaux français.

Souvent par moquerie, à cause de son physique ou de sa manière très particulière d'exprimer ses idées, de nombreux internautes avaient alors décidé de tourner en dérision ses apparitions vidéo. Ce fut le cas d'Amixem, l'un des plus gros YouTubeurs français, qui dans sa vidéo intitulée « Analysons l'homme le plus perché du monde », explosait un peu facilement le pauvre Sylvain Durif, le faisant entrer au panthéon des plus grandes risées du Web – avec Bilal, le rappeur du 92  » de sinistre mémoire. Pendant près de vingt minutes, Amixem tournait en dérision les propos de Durif , insistant sur les incohérences et le ridicule manifeste de son discours.

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Quelque temps plus tard et dans un registre moins amical, ce fut au tour du hacker Ulcan de harceler Durif dans l'un de ses canulars pour son site Violvocal. Après l'avoir copieusement insulté, le célèbre pirate lui avait sobrement réclamé la somme de 10 000 euros. Visiblement dépassé par la situation, Durif s'était alors montré apeuré, au point de devoir supplier son bourreau d'un jour de l'épargner.

Puis en 2014, deux ans plus tard et pour parfaire un enchaînement de maladresses dont seuls les plus malheureux ont le secret, Sylvain Durif s'était confié à un média. Afin de revenir sur les moqueries dont il était l'objet, il avait pris une heure à se raconter et dévoiler l'essentiel de sa vie au micro des journalistes de La Taverne des pirates.

Au fil des minutes, on y apprenait qu'en plus d'être le simple Sylvain Durif, ce dernier se faisait également appeler « le Grand Monarque », « le Christ Cosmique » ou encore « l'Homme Vert ». Au cours de déclarations glaçantes, Durif révélait qu'il avait donné son « identité de vie aux frontières du paranormal, en lien avec les vaisseaux de Vénus notamment », ce qui avait suscité de vives réactions de la part des commentateurs. Plus tard, il nous apprenait l'existence d'une vie souterraine sur Terre. Selon ses termes, il s'agirait d'« un réseau de cités de lumières appelé Réseau Agatha ». Il affirmait également qu'à la suite d'une promenade dans la forêt de Brocéliande, il avait l'intime conviction d'être désormais « en lien avec l'énergie de Merlin l'Enchanteur ».

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Bref, ce fut une nouvelle orgie d'insultes gratuites et de vannes de toutes sortes. Le sympathique utilisateur 7,626,213 Vues, pour le défendre, avait alors rétorqué aux cruels internautes que si l'on faisait « abstraction du fait est qu'on est pas habitué à un tel discours, il y a beaucoup de vérité dans ces paroles », ce qui n'est pas nécessairement faux.

Cependant, la réalité est dure, froide et objective. Sylvain-Pierre Durif, malgré ses 61 000 followers YouTube et les 5 540 abonnés de son compte Twitter officiel – des petits malins en ont fait d'autres afin de (ha-ha !) se moquer de lui –, n'aura jamais les 500 signatures nécessaires à sa participation aux élections. Il ne les espère même pas. Il a seulement souhaité faire marrer sa fanbase, à moitié à ses dépens, dans la même veine que le Roi Heenok. Impossible de dire à quoi ressemble sa vie réelle. Sans doute un peu à ses apparitions vidéo. Dans ce cas, Durif est un mec sympa, doux, vraisemblablement un peu aliéné. Et seul.

Le site de RTL se demandait déjà à la mi-décembre si sa candidature était un canular. En effet, c'est le site satirique Nordpresse qui avait d'abord révélé sa candidature, avant celle, « plus officielle », de Durif. Le site s'était par la suite rétracté devant un possible recours en justice de la part du Monarque, au plus grand plaisir des commentateurs. Cependant tout cela était faux et orchestré par les rédacteurs de Nordpresse, comme ils l'ont révélé il y a sept jours. À moins que.

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Depuis, impossible de dire si oui ou non toute l'œuvre de Sylvain Durif fut créée uniquement dans le but de « faire rire ». Peut-être un peu des deux.

Sauf que plus le temps passe, plus la thèse du canular semble spécieuse. Sur le compte YouTube de Durif, plusieurs vidéos semblent en tout cas authentifier sa candidature. Dans ses dernières publications par exemple, il n'hésite pas à partager son RIB pour récolter des dons. De plus, une vidéo sous forme de promotion personnelle a également été mise en ligne le mois passé, où l'on y apprend que Durif est, en vrac, capable d'être tour à tour « acheteur », « déménageur », « détective » ou encore « menuisier », soit autant d'aptitudes utiles à un président de la République, selon lui. Aussi, dans un échange de mails animé avec les humoristes de Nordpresse, il leur reprochait d'avoir « sabordé ses chances aux élections » en tournant son programme en dérision. Dans un délire presque paranoïaque, il exigeait de « connaître le nom des commanditaires » de la campagne du site, qu'il jugeait calomnieuse.

Mais dans le même temps, on peut se demander s'il ne s'agit pas là d'une nouvelle supercherie de la part du site parodique, qui aurait alors poussé le vice très loin en imitant la colère digitale du Messie autoproclamé. Tout ceci semble louche. D'autant plus que Durif ment également de son côté.

Dans une update, il révèle par exemple qu'il s'appellerait en réalité « Nicolas » et qu'il serait acteur, ce qu'aucune trace Internet ne corrobore. Et de fait, les vidéos de lui existaient déjà des années avant qu'il ne se décide à se lancer dans sa candidature. À ce moment-là, il aurait tout mis en scène, simplement pour ses fans. Mais pourquoi continuer à jouer ce personnage qui ne lui rapporte rien, si ce n'est quelques partages Facebook ?

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Car depuis plusieurs années, Durif vit dans une précarité relative. C'est ce qu'il explique dans l'une de ses vidéos – et il faudrait être un vrai con pour mentir et inventer des détails aussi sordides –, où il explique que lors d'un de ses « voyages au Québec », le Monarque vivait dans la rue, dormant çà et là dans divers refuges de nuit réservés aux sans-abri. L'histoire de Sylvain-Pierre Durif est sans doute aussi l'histoire d'une certaine exclusion sociale réservée aux excentriques, subie plus que souhaitée.

Quoi qu'il en soit, l'important n'est pas de savoir si Durif aurait ses chances de pouvoir accéder aux élections présidentielles de mai prochain – la réponse est non. Ce qui est intéressant, c'est l'histoire de cet homme qui, apparaissant dans quelques vidéos où tout le monde se foutait de sa gueule, a réussi à se servir de sa micro-célébrité (non souhaitée, là encore) pour en faire quelque chose de plus grand : essayer de devenir président. Plus que ça, il a montré sans le vouloir la méchanceté des hommes lorsqu'ils sont seuls derrière leur écran d'ordinateur et qu'ils tombent sur un mec chauve débitant des histoires délirantes. Mieux, il a forcé les mêmes journalistes qui se moquaient de ses apparitions à parler de lui, en utilisant les codes du circuit médiatique d'aujourd'hui – c'est précisément ce que l'on fait ici.

Dans le fond, le personnage de Sylvain Durif – si tant est qu'il en soit un – n'est dangereux pour personne. Il est original certes, ridicule sûrement, mais la portée de son message ne dépasse pas celle que l'on veut bien lui donner.

Et puis il est drôle, il faut bien le reconnaître.

Hugo est sur Twitter.