J’ai testé un casque luminothérapeutique pour modifier mon rythme biologique

Je me suis réveillé dans l'obscurité et je me suis trainé au bord du matelas, comme je le fais chaque matin depuis deux semaines. J'ai tâtonné dans le noir pour mettre la main sur mon casque blanc et lisse. Il ressemble à quelque peu à un masque de snowboard qui aurait perdu ses verres. J'ai appuyé sur « on », et le casque s'est mis à briller d'une vive lumière bleu-vert.

J'ai ensuite enfilé l'appareil sur ma tête, ai attendu quelques secondes pour que mes yeux s'accoutument à la lumière, puis ai titubé dans un demi-sommeil jusqu'à la salle de bains. Paradoxalement, la lumière m'empêchait de discerner correctement les objets qui m'entouraient. J'ai trébuché dans une botte qui trainait sur le sol. Puis j'ai jeté un œil dans le miroir pour examiner mon allure. Hélas, je ressemblais moins à Cyclope dans X-Men qu'à un mannequin dans un catalogue Toys'r'us.

Cette routine matinale est un peu étrange, et sans doute un peu stupide. Pourtant, mon projet en lui-même est très sérieux : je tente désespérément d'agir sur mon horloge biologique afin de réussir à m'endormir plus tôt, et à me réveiller plus tôt également. J'ai toujours été un oiseau de nuit, ce qui m'a desservi plutôt que le contraire. Je dois prendre sur moi pour me coucher avant minuit. Ces derniers temps, je ne réussis à m'endormir qu'avec l'aide de suppléments en mélatonine, une hormone censée induire le sommeil chez les mammifères. Quand je me réveille pour aller travailler, je suis complètement épuisé.

L'appareil que je porte sur le nez s'appelle un Re-Timer. Il a été créé par Leon Lack, un psychologue clinicien de l'Institut du Sommeil à Adelaïde, en Australie. Le Re-Timer est supposé aider à réajuster le rythme circadien de son utilisateur, c'est-à-dire le cycle de 24h régulé par des mécanismes physiologiques (comme la sécrétion de mélatonine). Le casque détermine l'heure de l'endormissement et celui de votre réveil en diffusant une lumière vive dans les yeux de celui qui le porte.

Les chercheurs estiment que la lumière joue un rôle important dans la régulation des rythmes circadiens liés au sommeil ; aussi, le Re-Timer pourrait faire croire à votre cerveau qu'il est temps de réveiller (ou de se coucher) en recréant les phénomènes lumineux qui existent dans l'environnement naturel : l'aube, le crépuscule ou le soleil de midi, par exemple. En gros, c'est une lampe de luminothérapie à 300€ que vous portez directement sur votre visage.

« Nous avons tous une horloge biologique contrôlée par le cerveau au niveau du noyau suprachiasmatique » c'est-à-dire dans l'hypothalamus, explique Julie Carrier, professeur de psychologie au Centre de recherches avancées en troubles du sommeil à l'Université de Montréal. « Il y a d'autres formes 'd'horloges' dans le corps, mais l'hypothalamus contrôle la plus importante de toutes. Ces rythmes circadiens sont une bénédiction, car ils permettent aux humains d'être éveillé en même temps et de coordonner leurs actions. De plus, il est préférable de dormir la nuit, car l'obscurité nuit aux activités humaines. »

Le noyau suprachiasmatique, ou NSC, est en relation avec vos yeux grâce à des cellules photoréceptrices qui sont sensibles au rayonnement de faible longueur d'onde des couleurs bleu et vert, explique Carrier. Ces cellules reçoivent les signaux provoqués par les variations de la lumière naturelle et les transmettent au NSC. Or, elles sont également sensibles à la lumière artificielle. L'idée est de porter un appareil tel que le Re-Timer afin de modifier votre rythme circadien par ce moyen.

« La lumière vive peut être utilisée pour régler l'horloge biologique. De nombreuses études montrent cet effet, et les nôtres ont été pionnières dans le domaine » explique Lack. « En 1990, l'un de mes étudiants a écrit sa thèse de doctorat sur ce sujet ; il a montré qu'une impulsion lumineuse de quatre heures à haute intensité suffisait à retarder ou à avancer l'endormissement, selon l'heure à laquelle la personne a été exposée à la lumière en question. »

Le Re-Timer est basé sur les résultats de ces recherches, ainsi que d'autres études sur les rythmes circadiens qui ont été publiées dans les 25 dernières années au sein d'autres disciplines. De nombreux articles publiées dans des revues à comité de lecture appuient ces hypothèses (la plupart ont été co-écrits par Lack lui-même).

Pour réussir à s'endormir plus tôt et à se réveiller plus tôt également (mon objectif), vous êtes censé porter le Re-Timer pendant une heure, et l'exposition lumineuse doit se terminer une demi-heure avant votre heure de réveil habituelle. Selon la notice d'utilisation, il faut attendre trois ou quatre jours avant d'observer les premiers résultats. À ce moment là, vos heures d'endormissement et de réveil devraient être décalées de 20 ou 30 minutes. La lumière diffusée par le Re-Timer est moins intense que celle utilisée dans des conditions de laboratoire, où l'on obtient des résultats plus impressionnants, plus vite. Cependant, si vous porter l'appareil plus longtemps, vous pourriez obtenir un décalage de plusieurs heures.

Vous vous demandez maintenant si j'ai finalement réussi à réajuster mon sommeil. Je dirais que les résultats sont prometteurs, sans être vraiment concluants.

J'ai commencé à porter le casque un dimanche. Au bout de plusieurs jours (avec quelques irrégularités où je l'ai porté un peu plus tard que prévu le matin quand j'étais en retard), je n'ai remarqué aucune différence. Je me sentais peut-être un peu plus en forme, mais difficile de dire si c'était grâce au Re-Timer. Jusque là, les inconvénients outrepassaient largement les bénéfices obtenus.

Au moins, mes collègues ont eu de quoi rire. Porter le Re-Timer au travail m'a rapidement transformé en bête de foire. Il faut dire que je me baladais l'air de rien, avec une lumière verte inquiétante qui brillait au niveau des yeux.

Cependant, quelque chose d'étrange est arrivé. Un dimanche soir, une semaine exactement après que j'ai commencé à porter le casque, je suis tombé de fatigue brutalement, à 21h30, et je suis allé me coucher. Je me suis réveillé à 5h du matin. Au début cela m'est apparu comme une coïncidence, car j'avais fait la fête ce week-end là et que je n'avais pas beaucoup dormi. Mais le lundi et le mardi soir, le phénomène s'est reproduit. Était-ce grâce au Re-Timer, ou rattrapais-je simplement un peu de sommeil après quelques nuits agitées ?

Je ne me hasarderai à tirer des conclusions hâtives, même si mon expérience ressemble beaucoup à ce que Lack décrit dans un article de 2007 publié dans Sleep and Biological Rhythms. Dans cette étude, les sujets sont exposés à 2h de lumière bleue chaque matin pendant une semaine. Ils ont réussi à décaler leur période de sommeil de près de 3h. Cependant, une fois l'expérience terminée, ils ont repris leurs vieilles habitudes.

J'ai appris à cette occasion que je n'aimais vraiment, vraiment pas me coucher tôt. J'aime simplement vivre la nuit, et je n'y peux pas grand-chose. Les études qui supportent ces hypothèses sur le sommeil sont néanmoins solides, m'assure Carrier.

« Ces produits sont légitimes » ajoute-t-elle. « Pour la plupart des gens, cela vaut le coup de les acheter. Ils sont particulièrement utiles en hiver. Mais parfois, l'exposition à la lumière naturelle peut être suffisante pour obtenir les résultats voulus. »

L'été, par exemple, vous pourriez aller faire un jogging dans la lumière matinale, ou même vous tenir un moment devant votre porte, au soleil. Que vous choisissiez de vous procurer un appareil high-tech ou que vous changiez vos habitudes d'exposition à la lumière naturelle, les effets obtenus dépendront beaucoup de la saison et de vos dispositions à ressembler au héros d'un remake de Blade Runner à petit budget.

En ce qui me concerne, il semble que la lumière ait vraiment un effet tangible sur mon corps. Mais ça, je le savais déjà. À choisir, je crois que je me contenterai désormais de copiner avec l'astre du jour.