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Une Startup surveille vos émotions grâce à votre bracelet connecté

Sensaura veut révolutionner le jeu vidéo et la publicité en analysant votre rythme cardiaque.

Image: Shuttershock

Jean-Philip Poulin se sentait « joyeux » et « excité » quand je l'ai interviewé il y a quelques jours, à Montréal. Je le sais parce qu'il m'a montré ses émotions en temps réel au cours de la conversation : pas en effectuant des séries de petits bonds de satisfaction devant moi, non, mais en exhibant les résultats d'analyse d'un algorithme de machine learning qui utilise les données sur la fréquence cardiaque d'un utilisateur transmis par son bracelet électronique de fitness, ici, Microsoft Band 2. « Hey, vous allez l'air en forme !» m'écriai-je. Son niveau de « joie » s'éleva alors encore davantage.

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Poulin est le directeur de l'exploitation de Sensaura, une start-up basée à Montréal qui propose de combiner l'informatique affective et les appareils connectés. Si leur application rencontre un certain succès, et je ne doute pas que ce sera le cas, leur produit permettra de faire un pas supplémentaire vers l'élaboration de machines capables de lire nos émotions à livre ouvert : les jeux vidéo sauront quand vous vous ennuyez, les annonceurs sauront lorsque vous êtes influencés par une pub, et les professionnels de la santé seront avertis lorsque vous aurez besoin de l'aide d'un psy.

Jusqu'à présent, l'informatique affective est restée largement dépendante des logiciels de reconnaissance faciale, qui lisent les émotions de la même manière que vos pairs, ou peu s'en faut : en cherchant des indices sur votre visage. De nombreux chercheurs et entreprises utilisent déjà ces systèmes, mais Poulin suggère que cette technologie est limitée, pour deux raisons. Premièrement, les gens peuvent contrôler leurs expressions faciales (jouer la comédie, en quelque sorte) et donc duper aisément les machines. Nous utilisons spontanément cette technique lorsque nous voulons dissimuler nos émotions aux autres. Deuxièmement, dans certaines situations (lorsqu'une personne combat un adversaire dans un RPG, par exemple), nous sommes très peu expressifs même si nous ressentons des émotions intenses. Qui n'a jamais écrit « ptdr » sur un chat, impassible, sans même esquisser un sourire ?

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Sensaura pourrait devenir le Graal des annonceurs

Vous pouvez peut-être simuler la joie, mais pas un battement de cœur. Malheureusement pour les fabricants d'objets connectés exploitant le rythme cardiaque de ses utilisateurs, il est très difficile de déduire quoi que ce soit à partir de ce dernier. En revanche, la variabilité de fréquence cardiaque, elle, est beaucoup plus significative. Ces petites différences dans les intervalles entre les battements de cœur sont utilisées pour mesurer le niveau de stress depuis les années 60. Mais cette mesure est assez difficile à obtenir. Impossible de mesurer la variabilité de fréquence cardiaque à partir d'un capteur situé au niveau du poignet, ce qui explique pourquoi de nombreuses startup tentent de trouver un moyen de fixer des capteurs sur la poitrine de la manière la moins encombrante possible.

Les fondateurs de Sensaura pensent avoir résolu ce problème en « forçant » les données de piètre qualité produites par les bracelets connectés à révéler des informations précises sur les états émotionnels des utilisateurs. (Jusqu'à présent, Sensaura travaille avec Adidas miCoach et quelques autres modèles, mais pas encore avec Fitbit.) Pour cela, il utilise un algorithme propriétaire développé par Mojtaba Khomami, directeur de la technologie au sein de l'entreprise, et doctorant à l'Université de Trento en Italie. Il étudie l'informatique affective et les neurosciences.

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L'algorithme de Sensaura fonctionne à partir de ce que Khomami appelle un « moteur d'apprentissage automatique, » ou, en d'autres termes, une IA. L'application Sensaura effectue une analyse des patterns présents dans les données fournies par le bracelet connecté. Selon les fondateurs de la start-up, l'algorithme est capable de détecter la joie dans le rythme cardiaque d'une personne aussi facilement et précisément que nous la décèlerions sur un sourire.

Sensaura effectue déjà des services de consulting pour des développeurs de jeux et des agences marketing qui souhaitent comprendre la relation affective entre les utilisateurs et leurs produits. Cependant, à long terme, ils espèrent tisser des partenariats avec les fabricants d'appareils connectés afin d'améliorer les services basés sur l'informatique affective. Vous ne pouvez pas télécharger l'application Sensaura vous-même, mais si appareil connecté commence à vous expliquer comment vous vous sentez, il exploite peut-être le logiciel de l'entreprise.

« Un jour, nous serons derrière tous les appareils connectés capables de sentir ce que vous sentez, » affirme fièrement Khomami.

Il est facile d'imaginer en quoi l'informatique affective pourra poser problème, surtout quand elle sera mise au service du commun des consommateurs. Les systèmes biométriques cesseront un jour d'être à la mode pour les particuliers ; cependant, dès qu'ils commenceront à offrir des fonctions un peu plus élaborées que le comptage de pas (l'évaluation du niveau de stress, par exemple), et dès que les données produites deviendront intéressantes pour d'autres entreprises, ces dernières inciteront à les utiliser, voire les distribueront gratuitement. Ainsi, elles seront de plus en plus répandues.

Sensaura, et autres applications similaires, pourraient constituer le Graal des annonceurs. En effet, ceux-ci pourraient adapter leur communication à la réponse émotionnelle des consommateurs. Le marketing n'est pas encore une science, mais il pourrait le devenir.

Rafael Calvo pense que l'informatique affective peut être utilisée dans un but utile et vertueux, et pas seulement pour nous rendre vulnérables aux entreprises par l'intermédiaire de nos émotions. Calvo, professeur à l'Université de Sydney en Australie, possède un doctorat en intelligence artificielle, et travaille à la création de systèmes de logiciels faits pour « renforcer votre bien-être psychologique et votre santé mentale, et non pour les fragiliser, » explique-t-il.

Il participe au Mouvement pour une informatique positive, qui spécule que le bien-être des personnes devrait être l'objectif premier de l'innovation technologique. Selon lui, l'informatique affective devrait promouvoir l'autonomie humaine, à travers, par exemple, des logiciels de tutorat qui « savent » comment se sent l'étudiant et ajustent les exercices à réaliser en conséquence. Ou encore, de programmes qui facilitent l'accès aux « industries dominées par les hommes, » ou aident les personnes à surmonter la stigmatisation liée aux troubles mentaux. Selon ce mouvement, des ordinateurs doux et bienveillants pourraient offrir une assistance personnalisée aux personnes souhaitant améliorer leurs compétences et leur confiance en elles.

Le rêve de l'informatique positive semble peut-être naïf, mais les consommateurs préfèrent les technologies qui leur donnent un sentiment de contrôle. L'alternative ne fera pas tout le monde joyeux ou excité. « Le sentiment de pouvoir est un facteur essentiel du bien-être psychologique, » explique Calvo. « Si vous vous sentez manipulé, cela augmentera vos chances de développer des troubles mentaux. »