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Des astronomes ont découvert une galaxie presque dénuée de matière noire

La galaxie ultra-diffuse « DF2 » ne contient qu'1/400ème de la matière noire attendue pour sa taille, ce qui pose beaucoup de problèmes aux cosmologistes.

Sans exagération, la matière noire est un des plus grands mystères de l’univers. Les cosmologistes n’ont jamais pu l'observer directement, mais grâce aux mesures effectuées sur la matière baryonique — celle que l’on peut voir — on estime qu’elle compose environ 27% de l’univers.

Les principales théories sur la structure de l’univers décrivent la matière noire comme une particule qui agit comme un genre d'allume-galaxie. L’idée de base est que les particules de matière noire attirent les atomes d’hydrogène par gravitation jusqu’à ce qu’ils soient assez denses pour former des étoiles. Cependant, pour exercer ce type d’influence gravitationnelle, la quantité de matière noire dans une galaxie doit être considérablement supérieure à la quantité de matière « ordinaire », c'est-à-dire baryonique.

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C’est pour cette raison que la découverte récente de NGC1052-DF2 est si déconcertante. Cette galaxie ne contient presque aucune matière noire, ce qui pose beaucoup de questions sur sa naissance. C’est la seule galaxie de ce type à avoir été observée et cette découverte pourrait avoir des conséquences énormes sur les théories des particules de matière noire et la formation galactique.

« Nous n’imaginions pas que la matière noire était optionnelle pour les galaxies, m’explique Pieter van Dokkum, un astronome à l’université de Yale qui a contribué à la découverte de DF2, au téléphone. Nous étions vraiment certains que la matière noire était le squelette de tout ce qui compose l’univers. Constater qu’une galaxie n’en possède pas suggère que la création des galaxies est possible sans matière noire. »

Comme décrit dans le dernier numéro de Nature, van Dokkum et son collègue Roberto Abraham, un astronome de l’université de Toronto, ont utilisé un réseau de télescopes qu’ils ont conçu et fabriqué en 2013 pour détecter cette galaxie unique. Le réseau de télescopes, baptisé Dragonfly, est constitué de 48 téléobjectifs Canon disponibles au grand public modifiés avec un type de verre spécial qui réduit la diffusion lumineuse.

Au cours des cinq dernières années, van Dokkum et Abraham ont utilisé le réseau Dragonfly, que Van Dokkum décrit comme un « hobby », pour découvrir des galaxies ultra-diffuses (UDG). Ces types de galaxies ont des caractéristiques bien particulières : elles font la taille de notre Voie-Lactée mais comptent seulement la moitié de ses étoiles. Elles sont donc quasi-transparentes. Heureusement, le Dragonfly est particulièrement habile pour déceler ces galaxies sans éclat.

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« Nous essayons d’observer des objets d’une luminosité si faible avec des télescopes traditionnels que la lumière émise par les étoiles et d’autres objets au même endroit du ciel étouffent complètement cette possibilité, m'explique van Dokkum. Dragonfly est excellent pour trouver ces gros corps sombres parce qu’il utilise des téléobjectifs avec de superbes performances, qui occasionnent très peu de reflets et causent peu de problèmes optiques. »

L'une des premières version du Dragonfly, au Nouveau-Mexique. Abraham et tout à gauche, Van Dokkum tout à droite. Image : Université de Toronto

Van Dokkum souligne que DF2 correspond au portrait-robot de la galaxie ultra-diffuse car elle ne contient qu'environ 0,5% du nombre d’étoiles de la Voie Lactée. Pourtant, elle se démarque complètement des autres UDG. Contrairement à la plupart des galaxies ultra-diffuses, qui ont un excédent de matière noire, DF2 n’en possède quasiment pas : seulement 1/400ème de la quantité attendue pour sa taille, selon van Dokkum.

Après la découverte initiale de DF2 avec le réseau Dragonfly, van Dokkum et Abraham ont utilisé des données du Keck Observatory pour mesurer les vitesses des étoiles les plus brillantes de la galaxie. Ils se sont rendus compte que ces étoiles se déplaçaient plus lentement que prévu et, sur la base de cette information, calculer la quantité de matière noire présente dans DF2.

« Quand nous avons décidé de mesurer la masse de la galaxie, nous nous attendions à trouver une énorme quantité de matière noire, se souvient van Dokkum Mais en effectuant les calculs, nous avons constaté que le facteur de matière noire était 400 fois plus bas que ce qui est attendu pour une galaxie de cette brillance. La découverte de cet objet montre que les catégories de galaxies ultra-diffuses sont bien plus diverses que ce que nous avions imaginé. »

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DF2 ne possède également pas de région centrale dense d’étoiles, de bras spiraux et de disque galactique comme une galaxie spirale typique. Pour compliquer encore les choses, elle n’a pas non plus de trou noir central comme on en trouve habituellement dans les galaxies elliptiques. En bref, DF2 ne tombe dans aucune catégorie galactique pré-établie.

DF2 se situe à environ 60 millions d’années-lumière de nous, dans un amas galactique dominé par une immense galaxie elliptique appelée NGC 1052. Selon van Dokkum, la formation de DF2 dans cet environnement cosmique unique explique sans doute ses propriétés exceptionnelles — NGC 1052 a peut-être eu une influence sur sa formation, à moins que la formation d'un grand nombre d'étoiles n'ait chassé toute la matière noire de la galaxie.

La découverte de DF2 est lourde de conséquences pour les théories sur la matière noire et la formation des galaxies. D’un côté, van Dokkum affirme que sa découverte lance un défi de taille aux théories qui cherchent à expliquer la formation galactique sans matière noire, comme la théorie de la gravité émergente d’Erik Verlinde.

« Ces théories ne prennent pas en compte les particules de matière noire pour expliquer le mouvement des galaxies, elles changent les lois de la gravité pour déterminer ces mouvements, développe van Dokkum. Chaque galaxie devrait donc montrer une signature de matière noire, pas à cause de la matière noire elle-même, mais parce que cette signature est inhérente aux lois de la gravité. L’absence de cette signature, même pour un seul objet, pose un gros problème pour ces modèles. »

« Le fait de ne pas avoir trouvé de matière noire dans cette galaxie est la preuve de son existence, ce qui peut sembler paradoxal » ajoute-t-il.

Selon van Dokkum, DF2 pourrait apporter des preuves concrètes à certaines théories sur la matière noire, notamment celle qui la décrit comme des particules ultra-légères qui ne forment pas des structures denses.

En attendant, DF2 est un objet astronomique unique, même si van Dokkum espère que davantage de galaxies de ce type seront bientôt découvertes. Abraham et lui travaillent actuellement sur un relevé galactique qui utilisera le réseau Dragonfly pour détecter des galaxies avec des caractéristiques similaires.

« La découverte de cette galaxie unique est formidable et nous aide à comprendre ces théories alternatives sur la gravité, conclut van Dokkum. Mais nous voudrions savoir si c’est la seule galaxie de ce genre ou si, au contraire, ces galaxies existent sur une plus grande échelle. Ce serait bien plus excitant. »