Les Banlieusards
Latifah et sa fille, Juriyah, avant un match de foot. Toutes les photos sont d'Ayesha Malik

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Les Banlieusards

Une visite guidée d'une banlieue pavillonnaire américaine située au beau milieu du désert saoudien.

Dans son nouveau projet Above the Oil Fields, Ayesha Malik lève le voile sur son enfance. La photographe a en effet grandi au cœur de Dhahran Camp, une ville qui ressemble en tout point à n'importe quelle banlieue pavillonnaire américaine – sauf qu'elle est située quelque part dans le désert saoudien et accueille les employés de Saudi Aramco, la plus grande compagnie gazière et pétrolière au monde.

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Malgré le caractère complètement anachronique d'une telle juxtaposition, la photographe a tenu à éviter toute approche critique. Ayesha Malik assume sa subjectivité et se contente d'évoquer un lieu qu'elle nomme toujours « son chez-soi », tout en révélant le quotidien on ne peut plus banal des gens qui y habitent – et notamment des enfants. Nous l'avons rencontrée.

Une vue aérienne de Dhahran

VICE : Peux-tu nous en dire plus sur Dhahran ?
Ayesha Malik : Sur le papier, il s'agit d'une « gated community » traditionnelle, située dans le désert saoudien. Elle a été construite pour les salariés américains de l'Arabian American Oil Company, aujourd'hui connue sous le nom de Saudi Aramco – l'une des plus riches entreprises au monde. Aujourd'hui, cette ville accueille des employés issus des quatre coins du monde.

Et quels souvenirs marquants gardes-tu de cette ville ?
Quand j'étais petite, je ne me posais pas trop de questions au sujet de la juxtaposition de cultures très différentes. Quand je sortais de l'école, je n'avais qu'une envie : aller à la piscine, faire mes devoirs, et finir ma journée devant Disney Channel, avant de suivre quelques cours d'arabe à domicile.

Au cours du ramadan, toute la ville de Dhahran célébrait l'évènement. C'était un mois de solidarité et de festivités. Je me souviendrai toujours de l'espèce de sapin de Noël que mes parents dressaient, et des cadeaux qu'ils m'offraient pour l'Aïd el-Fitr – il faut savoir que j'ai été élevée en tant que musulmane, au sein d'une famille américano-pakistanaise résidant en Arabie saoudite.

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La famille Pierson chez elle durant l'hiver

La vie semble douce sur place – et bien plus normale que ce à quoi on pourrait s'attendre.
Il m'est difficile de parler pour tout le monde, parce que « la ville idéale » n'existe pas. Je peux simplement confirmer que je me suis toujours sentie en sécurité, comme n'importe quel autre enfant américain. Ma vie était tout à fait ordinaire.

Désirais-tu transmettre un message avec ce projet ?
J'ai souvent l'impression que décrire à outrance mon projet le dessert. Je crois qu'il est préférable de laisser les gens s'en emparer. J'ai fait en sorte de ne pas donner énormément d'informations au lecteur, d'ailleurs. Ce projet évoque le lieu où j'ai grandi, rien de plus – ça a défini mon regard sur le monde.

Des masques à gaz appartenant à la famille d'Ayesha Malik et datant de la guerre du Golfe

Le livre réunit certaines photos récentes, mais également de vieilles photos de famille, des archives fournies par les résidents de Dhahran. Cela fait combien de temps que tu bosses dessus ?
J'ai commencé à prendre des photos très jeune. Après, je suis partie étudier aux États-Unis. Chaque fois que je rentrais pour les vacances chez moi, je prenais toujours des photos – pas parce que je voulais mettre en place un « projet », uniquement parce que j'aimais ça. Lorsque j'ai dû réfléchir au sujet de ma thèse, j'ai compris que j'avais déjà énormément de matière. De plus, un projet traitant de New York ne m'intéressait absolument pas.

Dhahran pendant la période de Noël

Était-il difficile pour toi de livrer des documents assez intimes ?
Je suis assez timide de nature. Je n'aime pas parler de moi. Il a été difficile de coucher sur papier le regard que je porte à moi-même, à ma vie. Après, j'ai tenu à ne pas rendre le livre trop personnel, afin de ne pas exclure le lecteur.

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J'imagine que c'était difficile de faire un livre qui traite de la plus grosse compagnie pétrolière au monde de manière aussi personnelle. Comment les gens ont-ils réagi ?
J'en ai beaucoup parlé à ma famille et mes amis. C'est ici que j'ai grandi. Ce livre traite de ma communauté, et je suis bien consciente du fait qu'elle fasse partie intégrante d'une compagnie pétrolière. Je suis consciente des ramifications politiques et environnementales que ça implique, et c'est parfois un vrai conflit intérieur. Je n'apprécie pas l'impact sociétal et environnemental du pétrole.

Le livre montre bien ce sentiment conflictuel – près d'un quartier, on peut voir un immense réservoir de pétrole avec le logo de l'entreprise dessus, par exemple. Ce sont des choses que je ne remarquais même pas quand j'étais petite, mais auxquelles j'étais fréquemment confrontée. Le message que j'essaie de transmettre, c'est que le monde dans lequel on grandit – et la vision qu'on en a – ne change pas nécessairement quand on devient adulte. J'aimerais que les gens prennent conscience du fait que l'on doit toujours questionner le monde qui nous entoure, notre façon d'interpréter des informations. On devrait tout s'arrêter un moment pour réfléchir.

Aramco: Above the Oil Fields est disponible chez Daylight Books. Plus de photos ci-dessous :

M. Embleton dans son bureau des relations publiques de la ville

Des joueurs de baseball

Abdulrahman

Le bracelet de Mme Bumstead