FYI.

This story is over 5 years old.

Santé

La mystérieuse maladie qui rend les femmes allergiques au monde moderne

L'hypersensibilité chimique multiple est une affection chronique relativement méconnue qui se traduit par une intolérance aux substances communes telles que la fumée, les parfums et les produits de nettoyage.

L'article original a été publié sur Broadly et été traduit par VICE France.

Nicole Parisi venait tout juste d'emménager à Los Angeles quand elle a découvert qu'elle était atteinte d'hypersensibilité chimique multiple. En tant qu'artiste, elle avait passé des années à manipuler des produits chimiques agressifs – utilisant régulièrement de la peinture, des encres et des solvants pour ses projets de sérigraphie. À chaque fois, elle faisait une série de réactions physiologiques subtiles.

Publicité

En vingt ans, ces réactions se sont faites de plus en plus intenses. Les parfums de ses amis ont commencé à lui brûler les yeux, à lui provoquer des maux de tête et des vertiges. L'encre et les nettoyeurs pour écrans – des produits qu'elle utilisait régulièrement pour son art – ont commencé à lui obstruer la gorge, l'empêchant de respirer.

Un après-midi, en 2003, Parisi s'est évanouie dans la laverie de son immeuble. Elle venait d'inhaler un fort parfum fleuri qui l'avait submergée. L'odeur l'a laissée haletante, étourdie et consumée par un mal de tête terrible et instantané.

Elle n'avait pourtant rien inhalé d'inhabituel ou de remarquable. L'odeur qui l'envahissait était simplement celle d'un produit lessive standard. La vie, déclare-t-elle, n'a plus jamais été la même.

« Depuis ce jour où j'ai perdu connaissance à cause des odeurs de lessive, tous les parfums synthétiques, la plupart des solvants et la plupart des peintures, des plastiques et des gaz d'échappement me rendent malade, poursuit-elle. J'ai des difficultés à respirer, à voir, à parler, à penser, à marcher, et j'éprouve de terribles maux de tête qui peuvent durer entre deux et douze heures. Dormir est le seul remède. »

L'histoire de Parisi n'est pas anormale. L'hypersensibilité chimique multiple – ou maladie liée à l'environnement – est l'un des syndromes de la santé les plus mystérieux. Les patients, dont 80 % sont des femmes, luttent contre une sensibilité débilitante face à leur environnement, en particulier lorsqu'ils sont exposés à des émanations de fumée, de parfums et de produits de nettoyage. (Les produits susceptibles de déclencher ces réactions varient d'une personne à l'autre.) En somme, les personnes souffrant d'hypersensibilité chimique multiple deviennent allergiques au monde moderne.

Publicité

Le syndrome semble prévaloir aux États-Unis, où les recherches suggèrent qu'entre 12,6 et 15,9 % de la population éprouve une sorte de « sensibilité accrue » aux produits chimiques modernes, les femmes étant plus sensibles. Mais les informations sur ses antécédents et ses causes sont rares. Nous en connaissons les symptômes communs : confusion, dysfonctionnement cognitif, symptômes de type asthme, rhinite (inflammation du nez), troubles du sommeil, fatigue, anxiété et dépression, selon un article paru en 2009. On ne sait pas, en revanche, pourquoi il affecte les femmes en particulier.

Le Dr Martin L. Pall, qui a beaucoup étudié la maladie, est d'avis que la réponse se trouve dans les hormones féminines. « La meilleure preuve de ce rapport entre les sexes ne provient non pas des études sur l'hypersensibilité chimique multiple, mais plutôt des études réalisées sur une maladie apparentée, le syndrome de fatigue chronique (SFC), explique-t-il. Avec le SFC, chez les patients qui ont été diagnostiqués avant la puberté, le rapport entre les sexes est proche de 1:1. Chez les patients diagnostiqués après la puberté, le ratio est proche de quatre femmes pour un homme. Cela plaide en faveur d'une action hormonale. »

« De plus, poursuit-il, les études menées sur des femmes enceintes atteintes du SFC ont démontré d'importants changements symptomatiques après le début de la grossesse et de gros changements symptomatiques après la naissance, ce qui confirme fortement l'importance des hormones. »

Publicité

Aux États-Unis, certains patients ont connu tant de difficultés avec ces symptômes qu'ils en sont venus à s'isoler de la société – s'installant dans leur propre espace de 65 mètres carrés dans le comté de Navajo, en Arizona. Pour une petite communauté d'environ 30 personnes, le bien nommé Snowflake est un havre de paix exempt de parfums, de produits chimiques, d'électricité et de Wi-Fi – en somme, de tout ce qui est susceptible d'aggraver le cas des patients.

L'isolement auto-imposé a du sens pour les personnes souffrant de la maladie. Les symptômes de l'hypersensibilité chimique multiple sont destructeurs et dévorants. Parmi les effets secondaires, Parisi évoque l'extrême solitude et les opportunités de travail manquées. « [J'ai été] piégée et handicapée par l'hypersensibilité chimique multiple, déclare-t-elle. Le plus difficile a été de ne pas être en mesure de gagner de l'argent pour vivre, et d'être seule tout le temps. »

Sherrie Powers, 41 ans, a une histoire similaire. « Je reste à la maison, explique-t-elle. Mon mari fait les courses. Ma fille fait la plupart du ménage sans utiliser de produits chimiques. Je reste loin de ma famille et de mes amis. Si je suis dehors et que je sens une odeur de lessive, je m'éloigne rapidement afin de ne pas tomber malade. »

Powers et Parisi déplorent toutes deux le manque de soutien mis à leur disposition, ainsi que le temps qu'il a fallu pour recevoir leur diagnostic. (Elles ont dû pour cela rendre visite à de nombreux spécialistes en médecine environnementale opérant en dehors de leur État.) « Je n'ai jamais entendu parler d'un système de soutien pour les personnes souffrant d'hypersensibilité chimique multiple, poursuit Parisi. Beaucoup de gens pensent qu'il s'agit d'une névrose, d'une hypocondrie ou d'une faiblesse. »

Publicité

L'hypersensibilité chimique multiple n'est pour l'instant reconnue ni par l'Organisation mondiale de la santé, ni par l'Association médicale américaine, et n'est abordée que sporadiquement dans la littérature traitant de la toxicologie. En outre, un certain dédain entoure le syndrome.

L'hypersensibilité chimique multiple est présentée sur Wikipédia comme une condition contestée, avec des symptômes « généralement vagues » qui peuvent être « psychosomatiques ». Les pages de soutien ou les organismes de bienfaisance dédiés aux patients sont également inexistants (un seul organisme de bienfaisance est actuellement enregistré au Royaume-Uni, et un seul aux États-Unis).

Ce genre d'attitude est renforcée par les résultats de certains essais cliniques, qui suggèrent que les personnes souffrant d'hypersensibilité chimique multiple peuvent réagir « avec autant de force aux placebos qu'aux stimulus chimiques ». Mais le Dr Pall précise qu'il serait dangereux d'y voir une preuve définitive de l'inexistence de la maladie. Au contraire, il soutient que ce type d'études montre avant tout que les chercheurs ont encore beaucoup à explorer.

« Les articles parus sur le sujet affirment que l'hypersensibilité chimique multiple n'est pas une maladie physiologique, mais psychogène [qui a trait à la psychologie] », écrit le Dr Pall dans une étude de 2009. « Ils omettent toutefois d'en fournir la preuve. »

Publicité

Ces militants psychogènes aiment à qualifier le syndrome de « trouble somatoforme » – un trouble mental caractérisé par des symptômes physiques, qui n'ont toutefois pas d'explication physiologique. Afin d'appuyer cette théorie, un article paru en 1994 affirmait que les personnes souffrant d'hypersensibilité chimique multiple étaient plus susceptibles d'afficher une personnalité « nettement anormale » et de souffrir de « problèmes psychonévrotiques » comme l'hystérie ou la dépression.

« L'école psychogène ignore les sciences dures, déclare le Dr Pall. D'autant plus que des études génétiques importantes ont démontré que le syndrome n'est en rien psychogène. »

Il est facile d'être cynique à l'égard du manque de recherche sur la maladie, surtout si l'on considère le déséquilibre évident entre les sexes chez les personnes souffrant d'hypersensibilité chimique multiple. Après tout, c'est en grande partie une maladie de femmes, ce qui pourrait aider à expliquer pourquoi la maladie est ignorée par la communauté médicale traditionnelle. Nous savons que les médecins et les professionnels de la santé ont tendance à prendre les femmes moins au sérieux que les hommes (les femmes, par exemple, patientent en moyenne 16 minutes de plus que les hommes aux urgences et se voient prescrire moins d'analgésiques).

Se pourrait-il que l'hypersensibilité chimique multiple – une maladie dont les symptômes manifestes nuisent à la vie de ses victimes – soit ignorée pour ces mêmes raisons ? Les victimes sont-elles négligées pour leur sexe plutôt que pour leurs symptômes ?

Publicité

« Je crois en effet qu'il existe un préjugé sexiste qui a permis aux défenseurs de la psychogénie de remettre en question les maladies majoritairement féminines, affirme le Dr Pall. Je pense que vous avez raison. »

Gary Patera, auteur du livre de développement personnel Healing Severe Chemical et EMF Sensitivity, est du même avis. Depuis que sa femme a été diagnostiquée avec l'hypersensibilité chimique multiple l'année dernière, il tente de pousser les professionnels de la santé à prendre la maladie et les femmes qui en souffrent plus au sérieux.

« Il faudrait des heures pour exprimer la profondeur des conséquences déchirantes du syndrome sur la vie des patients, déclare-t-il. La perte d'emplois et de revenus, la perte d'amis, aucun espoir de guérison… »

Il encourage les patients à rester positifs et à continuer de se battre pour obtenir une reconnaissance officielle. « Je reçois des messages et des lettres de gens qui veulent renoncer à vivre parce que c'est devenu trop dur, poursuit-il. Avec l'hypersensibilité chimique multiple, la vie, dans quelque endroit que ce soit, peut rapidement devenir insupportable. »

Si de fervents défenseurs croient en l'authenticité du syndrome, c'est encore loin d'être suffisant pour les patientes comme Parisi et Powers. En l'absence d'un soutien valide ou d'un traitement adéquat, il leur faudra beaucoup de temps avant de pouvoir pleinement profiter de leur vie.

« Pour l'instant, aucune organisation ne s'emploie activement à une quelconque sensibilisation, déplore Powers. Le système de soutien est tout bonnement inexistant. »