Le dentiste ne comprend pas. La jeune fille de 16 ans dont il en train d’inspecter la dentition n’a plus de dents de sagesse. Ça, c’est normal. Mais ce qui semble étrange, c’est que la cicatrice de l’opération est bien trop vieille pour une adolescente.Quelques jours plus tard, la patiente en question, une certaine Brianna Stewart, évoque l’incident auprès de son petit copain Kenny Dunn, un camarade de son lycée de Vancouver. Le malheureux s’attarde sur les déclarations du praticien et questionne son interlocutrice, qui bascule immédiatement dans une colère outrée : « Comment peux-tu oser croire que je n’ai pas 16 ans ? » Bâillonné d’amour, le jeune homme se tait. Il ignore encore que Brianna s’appelle en réalité Treva Throneberry et qu’elle a presque 30 ans.
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La petite fille au sourire bancal
L’année de ses quinze ans, Treva pousse la porte du commissariat local et déclare que son père l’a violée sous la menace d’une arme. Carl nie en bloc et Patsy, sa femme, assure que sa fille a pu être agressée par les membres d’une église locale. Les services sociaux placent l’adolescente dans une famille d’accueil. Là, son comportement étrange empire : la nuit, elle se tape la tête contre le mur en promettant qu’elle sera « gentille ». Après une référence au suicide de trop, elle est envoyée dans un hôpital psychiatrique. Les médecins ne parviennent pas à diagnostiquer cette jeune fille qui parle peu et pleure si souvent. Un cocktail de psychotropes la tiennent tranquille.« Après avoir rendu visite à ses sœurs une dernière fois dans la ville de son enfance, Treva Throneberry disparaît »
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La fuite
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1994, Coeur d’Alene dans l’Idaho, à 600 kilomètres de Portland. Une certaine Cara Leanna Davis prétend que sa mère est morte et que son père, un officier de police membre d’une secte satanique, l’a violée plusieurs fois. Elle s’évapore deux mois plus tard pour réapparaître dans la banlieue de Dallas, au Texas, à 3000 kilomètres au sud de Coeur d’Alene. Cette fois, son nom est Kara Williams. Secte satanique, enfants sacrifiés au couteau rituel, chants en l’honneur du diable, père violeur. Émus par son histoire, les policiers lancent une enquête pendant que les travailleurs sociaux la logent en foyer ou en famille d’accueil. Kara accuse un employé de foyer de l’avoir agressée sexuellement.1995. Sous l’identité de Kara Williams, Treva Throneberry entre dans un lycée des environs de Dallas. Elle a 26 ans et pour la première fois, sa fugue va être mise à mal. Un employé du foyer dans lequel elle loge croit la reconnaître – il vient de la même ville texane que la jeune fille. Il fait part de ses doutes à son assistante sociale, qui organise une confrontation. En dépit des photographies et des preuves écrites, Treva nie en bloc avec force pleurs. Un psychologue la reçoit et note qu’elle ne semble pas mentir. Peu de temps après, la jeune femme prend de nouveau la fuite.
Premiers problèmes
« Les adolescents locaux ne se doutent de rien : comme beaucoup de filles d’âge ingrat, Brianna cache ses formes dans des habits amples. Seules ses couettes font lever des sourcils »
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En juin 1996, « Emily Kharra Williams » arrive à Asheville, en Caroline du Nord, où elle déploie à son nouveau son histoire de fuite d’une secte satanique. Au moins d’août, Treva Throneberry se présente comme Stephanie Williams à Altoona, en Pennsylvanie, et explique à la police qu’elle fuit les abus sexuels de son père, un membre éminent d’un réseau pédophile. En fouillant dans ses affaires, les enquêteurs découvrent une note qui trahit sa véritable identité. Elle est condamnée à neuf jours de prison pour avoir menti aux autorités. Une employée du palais de justice locale l’entendra dire qu’une organisation secrète la couvre dans sa fuite. Prévenus, ses parents lui téléphonent. Elle fait mine de ne pas les reconnaître, à moins qu’elle ne les reconnaisse pas du tout. Le périple reprend.Treva Throneberry échoue à Vancouver, dans l’État de Washington, en 1997. Elle se présente comme Brianna Williams dans un lycée local et déroule une autobiographie peaufinée. Elle a 16 ans et vagabonde depuis qu’elle a fui son beau-père à 13 ans. Sa vie est faite d’errance et de foyers pour jeunes, et elle a choisi Vancouver parce que sa mère assassinée lui a un jour affirmé que son père biologique habitait dans le coin. Le directeur du lycée accepte de l’intégrer. Les adolescents locaux ne se doutent de rien : comme beaucoup de filles d’âge ingrat, Brianna cache ses formes dans des habits amples. Seules ses couettes font lever des sourcils.
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Traîtresse à ses bienfaiteurs
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1999. En dépit de ses 30 ans, Treva Throneberry est convaincue d’aller sur ses 18 ans dans la peau de Brianna Williams. Les cérémonies de fin d’année scolaire approchent aussi. C’est au moins la deuxième fois qu’elle finira le lycée. Une panique sourde gonfle en elle. Atteindre l’âge adulte, c’est perdre l’aide des services sociaux et donc se retrouver seule face à la vie. Or la jeune femme n’a pas les moyens de se soutenir seule : sa fausse identité l’empêche d’obtenir un numéro de sécurité sociale en présentant un certificat de naissance valide, et donc de passer le permis, de trouver un logement ou d’entrer à l’université. Elle doit agir.2000. L’année des 18 ans et de la fin du lycée. Brianna passe plusieurs heures par semaines dans le bureau du directeur, où elle multiplie les accusations paranoïaques : ce camarade diffuse des rumeurs sur elle, ces professeurs lui donnent de mauvaises notes parce qu’ils ne l’aiment pas. Puis elle affirme que le père de sa famille d’accueil l’espionne à l’aide de caméras miniatures. Elle est mise à la porte. Sa nouvelle famille d’accueil remarque qu’elle se met facilement en colère, mais aussi qu’elle demande sans cesse si elle « fait son âge ».
Devant la justice
Surtout, Treva accélère ses efforts pour obtenir un certificat de naissance qui lui permettra de se voir attribuer un numéro de sécurité sociale. Pour ce faire, elle embauche deux avocats. L’un d’entre eux attaque l’institution responsable en justice et obtient gain de cause : Treva aura juste à se présenter devant un tribunal au mois de mars suivant pour obtenir ce qu’elle demande. L’autre avocat s’en prend directement au gouvernement fédéral, qu’il somme de produire un numéro de sécurité sociale pour Brianna. Mais avant, il réclame les empreintes digitales de la jeune femme pour vérifier qu’elle ne fait pas déjà partie des fichiers. Elle accepte.« Depuis sa cellule, elle assure aux journalistes et aux enquêteurs qu’elle ignore qui est cette femme qu’elle est supposée être »
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Quelques semaines avant l’audience qui devait consacrer sa nouvelle identité, Treva Throneberry est arrêtée pour vol et parjure après que ses empreintes digitales ont été reconnues par les systèmes de la police fédérale. Les traces papillaires correspondent à celles prélevées cinq ans plus tôt sur une certaine Stephanie Williams du côté d’Altoona, en Pennsylvanie, avant sa condamnation à neuf jours de prison pour mensonge aux autorités. Les policiers qui l’avaient encadrée à l’époque n’ont pas oublié. Accablée, Treva Throneberry tient bon. Depuis sa cellule, elle assure aux journalistes et aux enquêteurs qu’elle ignore qui est cette femme qu’elle est supposée être.La justice propose un marché à la mystificatrice : quatre mois de prison en échange d’une reconnaissance de son identité. Elle refuse. Ses avocats commis d’office lui annoncent qu’ils souhaitent la défendre en expliquant qu’elle est bien Treva Throneberry mais qu’elle pense réellement être Brianna Stewart, et donc qu’elle n’a commis aucun crime consciemment. Elle les congédie sur le moment et demande à assurer sa défense elle-même. La cour lui accorde ce droit quand un expert rapporte qu’il ne lui a pas découvert assez de problèmes psychologiques pour la déclarer irresponsable.Le procès s’ouvre en juillet 2004. Brianna-Treva se défend tant bien que mal face à un procureur furieux. Il l’accuse d’être un parasite, une profiteuse. Elle assure qu’elle n’est pas Treva Throneberry. L’une des femmes qui l’a accueillie à la fin des années 90 lui présente des photographies sur lesquelles elles apparaissent toutes les deux. Un test génétique qu’elle a elle-même réclamé indique qu’elle est la fille de Carl et Patsy Throneberry avec 99,93% de certitude. Et pourtant elle nie, encore et encore. Les jurés ne délibèrent que quatre heures avant de la reconnaître coupable des sept chefs d’accusation qui pesaient contre elle. Pour avoir volé les systèmes scolaire et sociaux de Washington de presque 20 000 dollars, entre autres, elle est condamnée à trois ans de prison ferme.
Brianna VS tout le monde
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Une journaliste du New York Times rencontre Treva Throneberry dans le parloir de sa prison en 2002. « Je la fixe au travers de la vitre, écrit-elle. Je ne vois aucun signe de vieillissement : sa peau n’a pas de rides ; ses cheveux n’ont aucune trace de gris. » Inlassable, la jeune femme lui assure qu’elle est bien Brianna Williams.Treva Throneberry a disparu après avoir été libérée de prison en juin 2003. Alors âgée de 34 ans, elle répétait toujours qu’elle était Brianna Williams, 21 ans, et que les tests du FBI avaient été faussés par des médicaments. Elle a ressurgi en 2016 sous le nom de Brianna Kenzie en accusant un employé de l’hôtel dans lequel elle travaillait de l’avoir violée. En révélant son passé, ces accusations lui ont valu un licenciement.Certains de ceux qui ont croisé la route de Treva Throneberry pensent qu’elle n’a jamais cessé de faire semblant. Mais alors, pourquoi aurait-elle accepté de livrer ses empreintes digitales ? Pourquoi aurait-elle réclamé un test ADN ? Et comment aurait-elle pu ne pas s’effondrer devant le défilé de souvenirs et de preuves de son procès ? Est-elle tout bonnement malade, folle ? Les spécialistes ne se sont jamais accordés sur un diagnostic psychiatrique. Cependant, une thèse de comptoir demeure : les attouchements répétés de Billy Ray ont tellement détruit Treva Throneberry qu’elle ne pouvait plus vivre dans cette peau.En 2002, Kenny Dunn a vendu les droits de son histoire d’amour avec Treva Throneberry. Il touchera 75 000 dollars quand un studio décidera de l’adapter au cinéma. Cela ne se fera sans doute jamais. C’est une histoire étrange mais trop triste. Treva semble avoir disparu pour de bon, comme elle le voulait.Sébastien est sur Twitter.VICE France est sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.