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Les zones résidentielles devraient être pensées comme des bases militaires

Désormais, les bases militaires mettent l'accent sur la santé mentale.
Image : Komal Dewan

Vous pensez peut-être que votre boulot est stressant. Et qui sait ? Vous avez peut-être raison. Peut-être que votre boss est un abruti, ou que vous avez plein de projets à gérer, ou encore que vous devez essayer de vous entendre avec un collègue qui vous assène de conneries comme « Oh, on dirait que quelqu’un s’est levé du pied gauche. »

Néanmoins, tout ceci n’est rien comparé à l’intensité du service dans les forces armées. Imaginez un instant que vous êtes à la tête d’une jeune famille et qu'on vous envoie sur une base militaire de l’Oklahoma profond, sans amis ni famille - et ça juste avant que votre conjoint ne soit déployé en Irak pour six mois.

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« C’est très stressant, particulièrement d’un point de vue de la santé mentale » m'affirme Mark Gillem, professeur et directeur du laboratoire d’aménagement urbain (Urban Design Lab) de l'Université de l’Oregon. Et c'est pour cette raison que les architectes et les urbanistes qui conçoivent les bases militaires redoublent d'efforts depuis quelques années pour créer des structures destinées à soutenir et améliorer le bien-être des soldats et de leurs familles.

Gillem explique que les bases militaires ont reflété l'expansion des banlieues pendant des années : un environnement à faible densité, faisant la part belle aux voitures et peu propice à la marche ou au vélo. Gillem, qui a servi dans l’US Air Force pendant neuf ans et passé douze ans parmi les réservistes, a pu se rendre compte personnellement des problèmes liés à ce parti-pris hasardeux : son coût, son inefficacité, son poids sur la santé physique et mentale, et finalement, les dégâts qu’elle entraîne sur la durée de la mission.

Aujourd’hui, Gillem est le patron d'Urban Collaborative, un cabinet d’urbanisme. Chaque jour, il puise dans cette mauvaise expérience pour découvrir de nouveaux paradigmes urbains. « Une base militaire est comme une ville. Il y a des hôpitaux, des parcs, des logements et des bureaux, des centres commerciaux et des restaurants, explique-t-il. Tous les ingrédients sont réunis pour que ces lieux soient super, mais la recette utilisée pour les créer n’est pas adaptée. »

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Il évoque une idée appelée cohésion de voisinage, un concept sociologique façonné à l’Université de Chicago qu'on pourrait décrire comme une forme d’esprit de communauté par procuration. « Lorsqu’il y a un esprit de communauté ou une cohésion de voisinage forts, les communautés sont plus résiliantes » explique-t-il, en ajoutant qu’un niveau élevé de cohésion collective correspond à des taux de violence conjugale, de toxicomanie et de maltraitance des enfants moins élevés. « Et la raison est la suivante : les gens sont plus aptes à prendre soin les un des autres. »

Alors, comment favoriser cette cohésion ? Selon Gillem, deux facteurs entrent en ligne de compte : l’environnement construit et le type de logements. Pendant longtemps, les plans d’occupation des sols de l’armée ont placé les habitations, les bâtiments commerciaux et les lieux à visée sociale dans des zones bien distinctes. Or, l'idéal serait plutôt de rassembler tous ces éléments dans des quartiers conçus pour être parcourus à pied. L'urbaniste affirme que les environnements de ce genre présentent des taux de cohésion de voisinage bien plus élevés.

En terme de type de logements, il fait remarquer que, paradoxalement, les tours d’habitation entraînent plus d’isolement qu’un bâtiment de type familial ou maison individuelle. Leurs habitants ont tendance à rentrer chez eux et à se couper du reste du monde, tandis que vivre dans des bâtiments de type familial ou des maisons individuelles encourage les résidents à s’asseoir à l’extérieur et discuter avec les passants.

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Mais cela n’explique pas forcément tout.

« Certaines écoles de pensées soutiennent que ces tours communautaires ne fonctionnent pas, mais la raison à cela est qu’il n’y a aucun endroit où se rassembler » ajoute Komal Dewan, vice-présidente et directrice des programmes d’aménagement et fédéraux pour AECOM, où elle se spécialise dans les structures du ministère de la Défense. « L’accent est de plus en plus mis sur les liens sociaux et l’utilisation des espaces extérieurs pour établir des connexions entre les gens dès que possible »

Tout cela signifie aménager des petits parcs ou disposer des grilles de barbecue pour les adultes, construire des piscines, créer des espaces de jeu pour les enfants. Les urbanistes ont fini par reconnaître que ces installations étaient plus que des commodités : grâce à elles, les familles de militaires se rapprochent et les sensations de solitude se dissipent.

Dewan fait également référence au concept de « jardins thérapeutiques », des espaces verts compensateurs qui séduisent de plus en plus d'hôpitaux du Midwest. Lorsque qu’une personne est traitée pour une maladie physique ou mentale, elle est souvent installée dans un bâtiment au sein duquel les divertissements sont limités. Les jardins thérapeutiques apportent un solution à cet enfermement. « L’objectif est de créer des espaces hors des institutions, pensés comme des endroits intermédiaires qui leur permettent de guérir. »

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Une spécialité de l’architecture du paysage s'est développée pour créer ces zones de repos. Son but : façonner des expériences tout à la fois visuelles, sonores et olfactives qui s’associent à l'aspect thérapeutique des soins médicaux.

« Si vous êtes en Afghanistan ou en Irak, vous êtes plongé dans une atmosphère cacophonique où tous vos sens ont été déstabilisés. Ces gens-là sont les plus touchés par les bruits sourds et les gestes brusques, précise Dewan. La question est : comment créer des zones de calme qui, bien qu’elles ne les guériront pas, permettront à leur traitement médical d’être plus efficaces ? »

Il est crucial qu'au moins une partie de ces endroits spécialisés — barbecues ou jardins thérapeutiques — soient accessibles à pied.

Dewan explique que les bases militaires se concentrent de plus en plus sur la manière dont elles aménagent des espaces de connexion — trottoirs, parcours de running, pistes cyclables — qui poussent les gens à sortir de leur voiture pour interagir avec leur environnement physique et social. Ce genre de contact fortuit, explique-t-elle, crée « un esprit de communauté naturel. »

« Vous croisez des gens sur le chemin sur lequel vous courez, explique Dewan, qui a une formation dans l’aménagement et l’urbanisme, vous saluez les gens qui passent à côté de vous quand vous vous promenez avec votre enfant, contrairement aux gens bloqués dans leurs voitures, isolés du reste du monde. »

Vous devez réfléchir attentivement à la conception de ces espaces. Par exemple, un sentier pédestre doit être assez large pour qu’un parent avec une poussette puisse l’emprunter en même temps qu’une personne qui promène son chien. Ils peuvent ainsi s’échanger un sourire, commencer à se croiser régulièrement et, pourquoi pas, nouer des relations amicales. « Créer des espaces qui permettent aux gens de se mélanger est devenu un enjeu considérable » dit-elle.

Des études récentes ont montré que les civils privilégiaient les communautés résidentielles à usage mixte, celles qu'on peut parcourir à pied ; un sondage de 2015 a révélé qu’être à une courte distance de marche des parcs, des magasins et autres commodités était important pour huit personnes sur dix. Les promoteurs en prennent bonne note. Des communautés en plein aménagement, comme le nouveau développement Walsh à Fort Worth, au Texas, préfèrent les sentiers de promenade aux terrains de golf ; Via 57 West, le nouvel immeuble résidentiel de Manhattan, possède une cour intérieure de 2044 mètres carrés avec des plantes indigènes et des grilles de barbecue destinées à « nourrir votre esprit, votre corps et votre âme.”

Alors que nous glissons doucement d’une culture d’étalement urbain à une utilisation intelligente des espaces, Gillem déclare que ces théories peuvent être appliquées des villes de la côte est aux complexes immobiliers de la Silicon Valley. « Que vous panifiez la construction d’un campus IBM ou Apple ou d’une base militaire, il suffit juste de suivre un processus d’aménagement éprouvé » ajoute-t-il.