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Food

Probablement la meilleure merde du monde

Dans certaines parties du Groenland, les fientes produites par un petit oiseau, le lagopède alpin, sont considérées comme un mets d’exception.
Photo via Flickr user

En général, quand quelqu'un vous dit que vous lui avez servi « de la merde », c'est tout sauf un compliment. Mais au Groenland, c'est une option comme une autre. Car dans certaines parties du pays, les fientes produites par un petit oiseau, le lagopède alpin, sont considérées comme un mets d'exception. C'est parce que dans cette région reculée du monde, où les ressources alimentaires se font parfois très rares, même les aliments les plus étranges peuvent être considérés comme de la grande gastronomie. Là-bas, ce que l'on appelle l'urumiit est récolté en hiver quand la fiente est bien solide – l'été, sa texture est un peu trop pâteuse. La coutume veut que l'on fasse revenir les petites crottes dans de l'huile de phoque rance et que l'on ajoute quelques morceaux de viande de phoque. À savoir que traditionnellement, la viande de phoque était prémâchée par les femmes puis recrachée directement dans la marmite.

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Je profite que vous soyez probablement déjà en train de grimacer en vous disant que vous ne toucherez jamais à ce truc-là, pour préciser un truc : les lagopèdes appartiennent à une variété d'oiseau qui fait partie de l'ordre des galliformes, un ordre à l'intérieur duquel on retrouve des espèces plus familières comme les poulets, les dindes et les faisans. C'est pour cette raison que l'on appelle parfois les lagopèdes, les « perdrix des neiges ». Comme elles ont des plumes sur tout le corps, y compris sur les paupières et les narines, cela donne un peu l'impression que la nature les a dotés d'un genre de doudoune intégrée pour mieux survivre aux rudesses de l'hiver.

Pour ceux qui pourraient se laisser tenter, voici une autre info intéressante : quand il reste immobile au même endroit suffisamment longtemps, le lagopède peut lâcher jusqu'à une cinquantaine de crottes. Pas besoin donc de gambader dans la steppe enneigée à la recherche de ces fientes disséminées : il suffit de se baisser pour ramasser des générations de crottes. Plutôt pratique, vous en conviendrez.

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Un tas de merde de lagopède. Photo de l'auteur.

Mais revenons au Groenland. Ayant voyagé à de nombreuses reprises sur cette terre qui fond à vue d'œil, j'ai déjà eu l'occasion de manger de l'urumiit par deux fois. La première fois, j'ai dû supplier un Groenlandais pour qu'il me fasse goûter. Pourquoi aller jusqu'à le supplier ? Eh bien parce que – c'est ce que le Groenlandais m'a dit – : « Les Américains ont beau être pleins d'anaq [de merde], ils n'aiment pas en manger de la vraie. » Je l'ai finalement convaincu de me préparer le plat, mais l'odeur rance de l'huile de phoque masquait complètement le goût de la merde de lagopède. Lors de ma deuxième dégustation, même topo.

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J'étais donc impatient de porter cette merde de poulet des neiges à nouveau à la bouche. Coup de bol, il se trouve que je suis allé en Islande en Avril dernier mais, après avoir fouillé tous les coins et recoins de la nature, des champs de lave volcanique aux sources d'eau chaude, impossible de remettre la main sur ces fameux tas de merde. J'ai donc décidé d'aller à Akureyri pour rendre visite une amie mycologue sur son lieu de travail. Quelle ne fut pas ma joie quand je suis tombé, là, posé sur son bureau comme par hasard, sur un sachet qui contenait exactement ce que j'étais venu chercher : des fientes de lagopède. Elle prévoyait en fait de les cultiver pour étudier le type de champignons qui était prompt à pousser dessus. Mais en voyant mon regard plein d'espoir, elle m'a gentiment offert son petit sachet de merde.

Avec la matière première en poche et en compagnie de Lene, une de mes amies originaire du coin, j'étais maintenant en mesure de préparer une version islandaise de la recette groenlandaise que j'évoque un peu plus haut. Entourés par les montagnes de l'Eyjafjórður, on a mis un peu de graisse de mouton à fondre dans une casserole. Détail important : la graisse de mouton n'était pas rance.

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Votre serviteur, en train de se préparer un bon petit plat de merde, de lagopède.

On a décidé de remplacer la viande de phoque par de la viande d'ours précuite (mais pas prémâchée). J'ai vraiment attendu le dernier moment avant de vider le contenu de mon sac de fientes dans la casserole. Après avoir posé ma crotte, j'ai adressé une prière à Stercutius, le dieu romain des excréments, pour bénir notre plat. J'ai également saupoudré un peu de curcuma dans la casserole pour obtenir plus de bénédiction. Ensuite, on a laissé le tout mitonner pendant un quart d'heure.

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Pendant que l'on attendait, on s'est demandé quelle libation serait la plus adaptée pour un tel plat. Notre choix s'est arrêté sur du Birkir, un schnapps islandais aromatisé aux branches de bouleau. Si cette boisson s'accorde bien avec la crotte de lagopède, c'est parce que les branches de bouleau et les bourgeons font partie du régime hivernal du volatile. Si les branches de bouleau sont bonnes pour le lagopède, alors un dérivé du bouleau devrait tout aussi bien faire l'affaire pour nous. Pour les curieux : le régime des lagopèdes est aussi constitué de bourgeons de saule et de petits chatons.

« Skól ! », m'a lancé Lene en levant son verre.

« Skól ! », ai-je dit en levant le mien.

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On ne dirait pas trop comme ça, mais c'était moins dégueulasse que ça en a l'air.

Il fallait que l'on donne un nom au plat que l'on allait déguster. On a tranché, ce serait de la « Merde de Lagopéde à l'Islande » (sic). J'ai embroché trois excréments de lagopède sur ma fourchette et j'ai porté le tout à ma bouche. J'ai mâché et mâché encore un peu. La texture était assez croustillante – un peu comme un Curly – et la consistance donnait l'impression que ça devait être très riche en fibres. Quant au goût, il y avait comme une subtile note de verdure un peu âpre – probablement la résultante des branches de bouleau ou des bourgeons de saule fermentés.

Ce n'est pas tous les jours que l'on mange de la merde, alors on s'est dit que l'on devait noter notre dégustation. On s'est regardés avec le visage fermé de ceux qui viennent de manger de la merde et on a décidé de donner un 6/10 à notre plat.

Alors qu'on était en train de se bâfrer de notre merde d'oiseau, un pêcheur du coin qui passait par là est venu nous rendre visite. "Rjúpa skítur!", lui a répondu Lene.

Quand on sait que le plat national islandais est le hákarl (du requin putréfié) et que le svíd (une tête de mouton servie entière) et le hrútspungar (des testicules de bélier mariné) se battent la seconde place dans le cœur des Islandais, il n'y a rien de surprenant à ce que ce pêcheur ait tout de suite voulu tester la merde de gallinacée. Après quelques bouchées, il a rendu son verdict : « C'est bon mais ça manque un peu de sel… »

Je sais ce que vous vous dites : avec ou sans sel, un plat à base de fientes sera jamais votre tasse de caca. Et je ne vous en voudrais jamais pour ça. Sur Terre, il y aura toujours des gens qui seront dégoûtés par des aliments que d'autres adorent – qu'il s'agisse de tofu, de maïs OGM, de choux de Bruxelles ou de tout ce que McDonald peut bien foutre d'étrange dans ses hamburgers. Ce qui fait saliver les uns fera vomir les autres. Ou, comme l'a si bien dit un jour Whoopi Goldberg : « Tout le monde ne kiffera pas forcément ce que je kiffe, mais on ne m'enlèvera pas le droit de kiffer. »

Lawrence Millman est un célèbre auteur de récits de voyages et mycologue américain. Cet article a été initialement publié sur la version anglophone de MUNCHIES.