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Une petite histoire du microdosage

Des centaines de personnes affirment que la prise d’une toute petite dose d’hallucinogènes les aide au quotidien. Mais aucun essai clinique n’a encore appuyé cette idée.

La boîte mail de James Fadiman est remplie de milliers de messages de gens qui racontent comment ils ont vaincu leur anxiété, leur dépression, leurs migraines et même leurs règles douloureuses. La communauté scientifique prendra-t-elle un jour leurs témoignages au sérieux ?

Fadiman a passé le plus clair des cinq dernières années à expliquer comment prendre de très petites doses de LSD (ou toute autre drogue psychédélique) à intervalles réguliers pouvait avoir d'énormes bénéfices pour la santé. Ça s'appelle le microdosage, et si l'idée n'est pas encore tout à fait entrée dans les mœurs, on s'en approche doucement : presque tous les médias orientés science ou tech ont essayé, ou ont au moins écrit un article sur le sujet au cours des derniers mois.

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L'idée part d'une croyance déjà bien établie, selon laquelle l'acide peut aider celui qui en prend à dépasser certains problèmes mentaux et à voir le monde autrement. Par contre, prendre une vraie dose de LSD n'est pas une bonne idée pour tout le monde : lors de ma seule expérience personnelle, je me suis retrouvé à pleurer et à manger du poisson congelé à même le sol d'une auberge de jeunesse à Barcelone, entre autres moments atroces qui ont émaillé les 14 horribles heures qu'a duré ma défonce.

Le principe du microdosage, c'est de prendre à peu près un dixième d'une dose normale (10 à 20 microgrammes environ) tous les quatre jours, et d'aller bosser, faire du sport, boire un coup, bref, de vivre normalement. Si on le fait correctement, il n'y a pas d'hallucinations, pas d'expériences traumatisantes, même pas de coup de mou. Ceux qui le font bien, affirme Fadiman, disent passer de meilleures journées, être moins stressés, et parfois même s'être débarrassés de certains troubles psychologiques.

« Les gens qui le font mangent mieux, dorment mieux, souvent ils se remettent à faire du sport, du yoga, ou de la méditation. C'est comme si leur corps était plus réceptif aux messages », m'explique Fadiman.

Il y a cinq ans, Fadiman a commencé à envoyer une sorte de guide du microdosage à quiconque était intéressé (vous pouvez trouver ce document – en anglais – plus bas si vous souhaitez essayer vous-même) et capable de se procurer ses propres drogues. Puis il leur demandant de lui envoyer un e-mail détaillant les résultats de leur expérience en respectant les instructions suivantes :

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« Écrivez quelques lignes sur votre journée. Demandez-vous, par exemple, quelle quantité de travail vous avez accomplie, si vous avez été particulièrement productif ou créatif, et si vous vous êtes globalement senti bien ou mal. Dites si vous avez remarqué des changements dans votre rapport aux autres. Si vous avez senti des différences par rapport à d'habitude en termes d'humeur, d'alimentation, de force physique, ou de symptômes quelconques. »

Fadiman a été très surpris par la quantité de retours qu'il a reçus – des milliers de "rapports de trip", positifs pour la plupart.

« Ce ne sont que des suppositions, mais j'ai vu tellement de problèmes différents être résolus par le microdosage, on dirait que ça rétablit un équilibre au sein du corps et de l'esprit, explique-t-il. Ça agit peut-être sur le système nerveux central, ou sur le tronc cérébral, ou sur le fonctionnement des mitochondries. Une femme qui avait des règles très douloureuses s'est mise au microdosage, et quand ses règles sont survenues, elle n'avait plus aucun problème. »

Mais Fadiman, comme d'autres personnes à qui j'ai parlé du microdosage, rappelle que, comme pour tout ce qui est auto-administré, il y a des risques potentiels. PJ Vogt, qui anime le podcast Reply All, a pris trop de LSD lors d'une expérience récente et a décidé de ne plus jamais recommencer.

Fadiman affirme n'avoir reçu que 5 témoignages de gens qui n'ont vraiment pas aimé leur expérience. D'autres disent qu'ils se sentent bien le temps que durent les effets du microdosage, mais qu'ils retombent dans le stress et la dépression dans les semaines qui suivent. D'autres encore prennent du LSD trop souvent et développent une forme de tolérance.

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Image: DeviantArt/OkainaImage

Jusqu'ici, ces expériences anecdotiques semblent indiquer que le microdosage est relativement sûr et potentiellement bénéfique, si l'on s'en tient vraiment au régime préconisé par Fadiman.« Si vous voulez vraiment connaître les effets de ce type de démarche, vous obtiendrez plus de données de la part de gens qui l'ont vraiment fait, chez eux, que vous n'en aurez en réalisant des essais cliniques, assure-t-il. On a affaire à des vrais gens, qui continuent à vivre de la même manière. Ils n'ont aucun intérêt à influencer les résultats. Les tests médicaux sont utiles seulement si vous voulez commercialiser les produits, ou les rendre accessibles à l'hôpital. »En 1966, Fadiman a publié une étude remarquée sur les drogues psychédéliques et la résolution créative de problèmes ("Creative Problem Solving"), qui reste aujourd'hui encore l'une des preuves scientifiques majeures de l'utilité artistique de l'acide. Mais si vous avez déjà lu n'importe quel article sur le microdosage, vous le saviez déjà, puisque Fadiman est cité dans TOUS les articles sur le sujet – et d'ailleurs, il est le seul « Je suis le chercheur le moins connu au monde sur le microdosage, et en même temps je suis le plus connu au monde », dit-il. Bien que Fadiman pense que les "rapports" qu'il reçoit constitue une preuve solide, il affirme qu'il est temps pour d'autres chercheurs de s'intéresser au microdosage. Pendant notre interview, il a décidé qu'il n'avait plus le temps, ni les moyens, de lire davantage de ces rapports, et qu'il était temps que le microdosage soit testé en menant des études classiques en double-aveugle avec des placebos, ce qui ouvrirait la porte à sa reconnaissance par la FDA (Agence américaine des produits alimentaires et médicamenteux) comme traitement possible de divers troubles et maladies.

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« Je suis absolument convaincu qu'il est temps de réaliser une étude scientifique avec des contrôles appropriés et un vrai placebo, mais aussi de se demander – s'il y a effectivement un effet indiscutable – à quel point cet effet est unique »

« Scientifiquement, tout cela est un peu flou pour l'instant, on n'a aucune preuve concrète de l'efficacité du microdosage, m'explique Matthew Johnson, un chercheur de l'université Johns Hopkins qui étudie la psilocybine et d'autres hallucinogènes. Ses bénéfices sont plausibles et potentiellement très intéressants, mais quand j'entends dire que "tout devient génial, on devient immédiatement de bonne humeur, c'est super", bon, ça va, moi aussi il m'arrive de passer une superbe journée sans y être aidé par une quelconque molécule. Surtout que, si vous vous attendez à passer une bonne journée, vous avez plus de chances que ça se produise. En fait, ça n'est pas très différent de la sensation créée par la prise de 5 milligrammes d'amphétamine ou d'un autre stimulant. »

Johnson est ce que Fadiman appelle un "sceptique consciencieux", c'est-à-dire quelqu'un qui pense que les microdoseurs ont peut-être une réaction de type placebo, mais qui croit néanmoins aussi que les milliers de cas observés pour qui cela semble avoir fonctionné méritent qu'on s'y intéresse de plus près.

Cette video a reçu près de 300,000 vues.

« Je pense que c'est une idée fascinante, et je suis absolument convaincu qu'il est temps de réaliser une étude scientifique avec des contrôles appropriés et un vrai placebo, mais aussi de se demander – s'il y a effectivement un effet indiscutable – à quel point cet effet est unique », ajoute Johnson.

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Le problème, c'est que jusqu'à récemment, personne ne semblait vraiment vouloir réaliser ce type d'étude. Fadiman dit qu'il n'a jamais eu les moyens, financiers et humains, de se lancer.

« Le microdosage va vous aider si vous l'employez correctement. »

Mais les derniers rapports qu'il a reçus sont tellement prometteurs qu'il pense qu'il est vraiment temps de passer à l'étape suivante. Il affirme qu'une équipe de chercheurs d'une université américaine et une autre équipe aux Pays-Bas sont en train d'essayer de mettre en place une étude dans les deux prochaines années, même s'il refuse de les nommer puisqu'il existe toujours des obstacles administratifs à surmonter avant de pouvoir commencer ces études.

Même les microdoseurs les plus chevronnés disent qu'ils aimeraient que ce qu'ils ressentent soit validé scientifiquement. Martijn Schirp, pratiquant régulier et fondateur du site consacré aux drogues High Existence (

qui a publié quelques bons articles

sur le microdosage), estime qu'il y a toujours un tabou autour des drogues psychédéliques, même pour ceux qui n'en consomment que de très petites doses.« Je pense que beaucoup restent très discrets sur le sujet, sauf s'ils sont absolument sûrs d'être face à des gens qui ne les jugeront pas », m'explique Martijn. Mais cela va dans les deux sens : « D'une manière générale, les gens se comportent toujours bizarrement avec ça. Une fois qu'ils sont convaincus, ils en font des tonnes, ils le survendent. Moi le premier. » « Le microdosage est une idée plus populaire que jamais, avec tous ses nouveaux adeptes. Fadiman remarque avec joie qu'une vidéo de

tutoriel sur Youtube

a été vu des centaines de milliers de fois, et y voit une preuve que le microdosage devient mainstream. Il a assez de preuves qui lui disent que le microdosage est potentiellement bon pour tout le monde. Quand je lui dis qu'il m'arrive parfois d'avoir des crises de panique, il n'hésite pas une seconde. « Si tu le fais bien, le microdosage peut t'aider », dit-il simplement.

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