Food

On a voulu manger comme Louis XIV au château de Vaux-le-Vicomte

Finalement, on a crevé la dalle mais on a appris quelques trucs.
Justine  Reix
Paris, FR
Thibault Hollebecq
Paris, FR
François Vatel
TOUTES LES PHOTOS SONT DE THIBAULT HOLLEBECQ

Tourtes, volailles en sauce, gâteaux surmontés de crème… Lorsqu’on pense au dîner d’un roi, on imagine aisément un faste buffet rempli de victuailles plus appétissantes les unes que les autres. Jusqu’au 6 novembre prochain, le château de Vaux-le-Vicomte ouvre ses cuisines pour une reconstitution vivante des banquets de l’époque de Louis XIV et Fouquet. C’est donc avec le ventre vide que l’équipe de VICE s’y est rendue, espérant se mettre à table pour l’occasion.

Publicité

À l’époque du Roi Soleil, le maître d’hôtel qui dirige les cuisines du château de Vaux-le-Vicomte n’est autre que François Vatel, tristement célèbre pour son suicide en cuisine. C’est aussi à lui que l’on doit nos interminables repas français. Avant que Vatel ne s’y attelle, les nobles ne prenaient pas le temps de déguster. « On avale, on ne goûte plus », constatait la baronne d’Oberkirch, dans son ouvrage Mémoires sur la cour de Louis XIV et la société française avant 1789. Les gastronomes de l’époque déplorent une nouvelle tendance qui consiste à rester à table le moins longtemps possible et à ne plus prendre le temps de manger.

LE CHÂTEAU DE VAUX-LE-VICOMTE © THIBAULT HOLLEBECQ

Pour lutter contre cet empressement, certains subterfuges sont mis en place pour garder les invités le plus longtemps possible occupés. La technique la plus célèbre étant de demander à un convive de raconter une histoire à rebondissements mais de ne rien révéler avant la fin du service. Certains prennent également soin de placer auprès de chaque femme l’homme qui lui plaît pour les faire s’attarder. 

À Vaux-le-Vicomte, tout se joue dans les sous-sols du château. Les cuisiniers doivent se frayer un passage entre les escaliers étroits, armés de victuailles et de plats qu’il vaut mieux éviter de renverser au vu de leur prix. La quantité ne suffit pas pour ébahir les nombreux invités qui défilent, chaque jour, à la table du prince de Condé, chez qui travaille François Vatel. « C’est un savant mélange de qualité, rareté, quantité, précocité et esthétisme. Il faut que tout que tous les sens soient éveillés », raconte Dominique Michel, historienne de l’alimentation, des étoiles dans les yeux. Cette dernière a veillé à ce que l’événement proposé par le château respecte les règles édictées par les anciens. 

Publicité

Deux « acteurs », un qui joue François Vatel et un autre le cuisinier, plongent les spectateurs dans les préparatifs d’une fête. On se frotte d’avance les mains, c’est bientôt l’heure de passer à table. Huîtres, poulardes… Un bref coup d’œil fait vite retomber tout espoir de se délecter d’un bon repas. Les aliments sont manifestement en plastique et l’estomac commence à crier famine lorsque l’un des acteurs énumère les fausses victuailles présentes sur la table.

MONTAGNE DE FAUX FRUITS CONFITS © THIBAULT HOLLEBECQ

ACTEUR DU SPECTACLE SUR LES CUISINES DE VATEL © THIBAULT HOLLEBECQ

Heureusement, le cuisinier du Prince prépare de véritables macarons, déjà très en vogue. Il fait goûter quelques coques des pâtisseries en cours de préparation. La période de François Vatel est également celle de l’avènement de la goutte. Cette maladie emblématique des rois de l’époque, imputée à leur alimentation trop riche, faisandée et sucrée. 

Vu les nombreux plats disposés sur la table, on comprend pourquoi les médecins s’arrachaient les cheveux face à tant d’opulence. Sous Vatel, le couvert devient individuel. On ne partage plus sa fourchette et son couteau avec son voisin. Les verres ne sont jamais sur la table, ce sont les serviteurs qui servent de l’eau ou du vin.

Les plats sont apportés en cinq services, plus luxueux les uns que les autres. Le premier service : potages accompagnés de petites assiettes de charcuterie. Second : les entrées qui sont l’équivalent des plats principaux de nos jours avec des côtes de veaux et autres viandes. S’ensuivent les poissons rôtis accompagnés de salade verte. Pour l’avant-dernier service, les plats chauds, froids, salés et sucrés se mêlent avec des huîtres, truffes, légumes, gelées et flans. Et pour achever le repas (et les invités), les desserts sans beurre : crème glacée, biscuit au chocolat, compotes, fruits confits, bonbons et macarons envahissent la table. Signe de la grande noblesse : la présence de pain de sucre, véritable sucre de canne tout droit venu des Caraïbes et du Brésil.

Publicité
PAINS DE SUCRE ET MACARONS © THIBAULT HOLLEBECQ
PEINTURE DE CHARLES LE BRUN © THIBAULT HOLLEBECQ

De nombreux livres du grand siècle permettent de connaître les recettes sous Vatel, comme celle ci-dessous adaptée par Patrick Rambourg :

Pour une tourte d’oranges : Ostez l’escorce des oranges, et les coupez par tranches, ostez les pépins, et les mettez en paste déliée avec sucre, un maquaron pillé, cannelle, couvrez-la et servez avec sucre musqué.

La cuisine vit une révolution avant même que les nobles connaissent ce mot. Le Moyen Âge se caractérisait par un fort goût pour les épices orientales. Safran, cannelle et gingembre sont présents dans les recettes d’un même plat. Durant la Renaissance, les goûts se portent vers une cuisine plus élaborée et le nombre d’épices utilisées dans un seul plat tend à se restreindre. On se sert souvent du poivre, peu utilisé en France jusqu’au XVIe siècle, de clous de girofle, cloutés dans un morceau de citron vert ou de muscade.

Le XVIIe siècle a ennobli les légumes. Alors que les traités culinaires médiévaux présentaient peu de recettes à base de légumes : seules les racines (carottes, panais, pois…) figuraient dans les potages ou les tourtes. Les aliments végétaux étaient laissés aux gens du peuple car poussant dans les sols et considérés comme terrestres, grossiers et indigestes. Petit à petit, les légumes deviennent le signe d’une alimentation délicate par l’influence de l’Italie. Artichauts, asperges, concombres, champignons, épinards mais aussi chocolat et pâtes font leur arrivée dans les assiettes et sont servis le plus naturellement possible, pour ne pas dénaturer leur goût.

Publicité

Le nombre de plats par services équivaut au nombre d’invités. Si un convive est ajouté à la table, la casserole ne devra pas être plus grosse mais le nombre de plats devra augmenter. 10 invités amèneront forcément à 10 plats à chaque service. Le maître d’hôtel doit présenter un large échantillon de mets pour contenter tous les goûts. « Ces plats ne sont inventés que pour l’embellissement et la consommation du repas et non point pour assouvir les convives », selon l’Art de bien traiter, un livre de cuisine de 1674.

Et bien entendu, s’ils sont aussi toqués, il en est de même pour la disposition de la table. Au Moyen Âge, c’est autour de la table que se joue la puissance aristocratique avec des jongleurs et des spectacles. Sous Louis XIV, tout se concentre sur ce qu’il se trouve sur la table. Tout doit témoigner de l’opulence d’une maison. Pendant que le Roi Soleil se goinfre de fraises lavées au vin, François Vatel se concentre sur la présentation au centimètre près des fleurs disposées et du pliage des serviettes en forme de melon double. Il faut aussi respecter la mode qui consiste à présenter les plats à l’horizontale. Les gâteaux, fruits et autres mets tentent de toucher le plafond au risque de s’effondrer sous les doigts d’un gourmand peu délicat. On aurait aimé s’essayer à attraper un fruit confit mais on se contentera de les regarder avec envie.

Vatel, dans les coulisses de la fête, du 23 avril au 6 novembre 2022, présenté tous les week-ends, jours fériés et tous les jours durant les vacances de la zone C au château de Vaux-le-Vicomte à 77950 Maincy.

VICE France est aussi sur Twitter, Instagram, Facebook et sur Flipboard.
VICE Belgique est sur Instagram et Facebook