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reportage

Dans la toute nouvelle salle de shoot de Copenhague

Vu de l'extérieur, cet abattoir rénové ressemble à une galerie d'art – il dissimule pourtant une salle d'injection supervisée de 1 000 mètres carrés.
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR

La salle de réhabilitation. Photo : Kasper Løftgaard

Cet article a été initialement publié sur VICE Danemark

Les employés de la réception de H17 s'apprêtent à aller déjeuner, avant d'être interrompus par l'arrivée d'un couple de quarantenaires. Les appareils photo autour de leur cou et les guides entre leurs mains indiquent qu'ils sont de simples touristes explorant Kødbyen – un quartier branché de Copenhague. À peine ont-ils le temps d'admirer le plafond, la verrière, les poutres en bois et le sol teinté de bleu, qu'une voix sèche les renvoie tout droit dans la rue : « Vous êtes dans une salle de consommation de drogue, messieurs-dames ! »

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Depuis que H17 a ouvert ses portes début août, les employés ont pris l'habitude de repousser les curieux, et on comprend facilement pourquoi. Vu de l'extérieur, cet abattoir rénové a tout l'air d'une galerie d'art. À l'intérieur, pourtant, se trouve une salle d'injection supervisée de 1 000 mètres.

Cette initiative a coûté 4 millions d'euros à la ville de Copenhague et pourrait bien devenir la plus grande salle de shoot au monde. Le Conseil municipal a installé 24 espaces de consommation, une clinique, un coin de réhabilitation et une salle d'activité – un endroit entièrement dédié à faciliter la vie des âmes torturées qui vivent en marge de la société.

Photo : Pernille Søndergaard

À cet égard, H17 se démarque du très bondé Skyen (« Le Nuage ») – un autre centre de consommation installé dans un foyer pour hommes près de Copenhague. Si les deux sites ne sont qu'à quelques kilomètres l'un de l'autre, tout un monde sépare l'ambiance tendue, mouvementée et souvent hostile de Skyen et le cadre agréable et hospitalier de H17. L'idée fondamentale de cet endroit – à savoir créer un espace sécurisé pour les toxicomanes marginalisés et vulnérables dans la rue – semble être un véritable succès.

« Nous avons eu très peu de conflits. Les consommateurs apprécient la tranquillité et le calme. Étant donné que l'endroit est nouveau, tout le monde essaie de se comporter au mieux », déclare Louise Runge Mortensen, 42 ans – qui, en tant que directrice de H17, est responsable de 20 employés et d'un budget annuel de 2,24 millions d'euros.

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Quant aux consommateurs venus pour se droguer, la procédure est simple. Il leur suffit de s'inscrire à l'accueil et d'informer l'équipe de ce qu'ils ont l'intention de prendre et par quel biais – à la suite de quoi on leur accorde 35 ou 45 minutes pour fumer ou s'injecter la drogue qu'ils ont apportée. Si quelque chose se passe mal, l'équipe est habilitée à leur administrer les premiers secours – ce qui est arrivé sept fois au cours du mois suivant l'ouverture du lieu. « Si elles n'avaient pas été supervisées, la moitié de ces overdoses auraient donné lieu à des décès », estime Mortensen.

Nous nous trouvons à la réception, devant les 12 espaces de consommation réservés aux fumeurs. Derrière une baie vitrée, on peut apercevoir 10 à 15 personnes. Certaines sont assises, seules, et fument de la cocaïne dans leur pipe de fortune ; d'autres sont agglutinées autour de tables en acier.

Une chambre d'injection. Photo : Kasper Løftgaard.

Nous restons de l'autre côté de la vitre, mais j'entame la discussion avec Gregor, un Polonais qui vient tout juste de prendre de l'héroïne. Il aime ce nouvel espace – les gens se battent moins et l'environnement est plus paisible pour se droguer. Un consommateur danois confirme ces propos, bien qu'il soit trop tourmenté par une blessure infectée au mollet pour étoffer. « J'ai dû me traîner pour arriver jusqu'ici, alors si vous voulez bien m'excuser, je vais entrer et sniffer un peu de coke », lâche-t-il en souriant, avant de disparaître derrière la porte en verre.

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Jessica, originaire de Suède, est loin d'être aussi enthousiaste. Elle décrit H17 comme un « endroit mignon mais peu pratique », où les considérations esthétiques ont primé sur les besoins des consommateurs. Elle est particulièrement mécontente de tout ce verre et de l'équipe, qui, selon elle, joue un rôle trop important. « Il y a trop de personnes, et trop peu d'entre elles possèdent les qualifications requises pour comprendre les besoins des consommateurs, déclare-t-elle. Je suis curieuse de voir à quoi ressemblera cet endroit dans un an, quand il ne sera plus flambant neuf. »

Jessica. Photo : Kasper Løftgaard

Louise Runge Mortensen entend bien les plaintes sur ce manque d'intimité, mais préfère laisser aux utilisateurs le temps de s'acclimater. « Les verrières sont là pour notre sécurité et la leur. Au début, les gens arrivaient et disaient : "On dirait un aquarium. Pas moyen que j'entre là-dedans." Mais on n'entend plus ce genre de remarques à présent. Les gens s'y sont habitués. Les femmes, en particulier, apprécient le fait que le personnel puisse les surveiller en permanence », m'explique-t-elle alors que nous foulons le sol en béton armé coloré qui « invite à la contemplation, la paix et la concentration », selon les architectes.

Anja Bloch, présidente de la Brugernes Akademi ( « L'Académie des consommateurs »), a été consultante lors de la rénovation. Elle a eu l'idée d'équiper les box de consommation avec des tables à trou, de sorte que l'attirail de drogue aille directement dans une poubelle encastrée. « Les gens qui prennent de la cocaïne depuis des jours hallucinent et pensent qu'il y a plus de cocaïne dans la poubelle. Ils se mettent à fouiller dedans et se heurtent à des seringues usagées », explique Bloch.

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Photo : Kasper Løftgaard

Bloch a également tenu à ce que le centre possède sa propre cuisine : « Il est plus facile de tisser des liens autour d'une table à manger qu'un bureau. Il m'a paru essentiel que H17 ait la possibilité d'organiser des événements de temps à autre », explique-t-elle.

Pour l'instant, cette cuisine toute neuve demeure inutilisée. La salle d'activité peu meublée qui lui fait face est encore loin d'accueillir des soirées jeux de société. En fait, toute la section dédiée aux activités autres que la consommation de drogues est fermée aux utilisateurs. Selon Louise Runge Mortensen, le budget n'a, pour l'instant, pas permis de mettre tout cela en place. « Nous prévoyons de créer un café et d'organiser des activités ici, et c'est aussi là que les thérapeutes en toxicomanie seront installés. Nous espérons que les consommateurs tireront avantage de tous ces dispositifs, et qu'ils viendront ici pour faire plus de choses que simplement prendre de la drogue », déclare-t-elle.

Photo : Pernille Søndergaard

Reste que les consommateurs sont pour l'instant obligés de se contenter d'une salle de réhabilitation peu fournie, peuplée de quelques plantes d'intérieur et de deux poufs. Ceux-ci sont occupés par deux hommes qui semblent à peine remarquer notre présence. Louise Runge Mortensen s'arrête pour m'expliquer l'intérêt de cette pièce.

« Les gens qui prennent de la coke restent souvent éveillés pendant trois ou quatre jours d'affilée. Ici, ils peuvent se reposer tout en sachant que quelqu'un les surveille et qu'ils ne risquent pas de mourir ou de se faire détrousser – c'est important. »

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Je retourne vers l'aile où les consommateurs ont le droit de prendre de la drogue, et je repère une caméra de surveillance pointée directement vers l'entrée. De l'autre côté de la rue, les tours du commissariat central de Copenhague surplombent le quartier. Mais la caméra de surveillance n'est qu'une mesure de sécurité, me dit-on, et la proximité immédiate avec le commissariat est un avantage pour les « simples consommateurs ». « Quand le premier site d'injection supervisé a ouvert en 2010, la loi danoise sur les stupéfiants a été amendée, de sorte que la police ne puisse pas arrêter les gens pour possession de drogue destinée à usage personnel. En général, la police laisse toujours le consommateur tranquille », m'explique Mortensen.

Jusqu'à présent, aucun nouveau marché des drogues n'est apparu en dehors de H17, « mais [ils restent] aux aguets ».

Louise Runge Mortensen. Photo : Kasper Løftgaard

En dépit de son apparent succès, H17 a fait l'objet de certaines critiques et indignations. Elles concernent notamment la décision du Conseil municipal d'ouvrir un immense centre de consommation à Inner Vesterbro – un quartier qui accueille d'ores et déjà Mændenes Hjem, Skyen, ainsi que le plus grand marché ouvert de la drogue au Danemark.

Jesper Christensen, directeur des affaires sociales de Copenhague, comprend très bien les inquiétudes des habitants. Mais selon lui, la mise en place de H17 a pour but d'améliorer les conditions de vie de chacun.

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« Concernant la crainte selon laquelle H17 pourrait mener à la formation du nouveau Pusher Street, mon avis est que c'est exactement la situation que nous vivons aujourd'hui. Mais l'idée derrière l'initiative est de rendre la vie meilleure, aussi bien pour les consommateurs que pour les voisins », a-t-il expliqué à Vesterbro-Bladet.

Parmi les opposants se trouve Michael Lodberg Olsen, l'homme derrière un bon nombre d'initiatives pour les toxicomanes – le premier site d'injection du Danemark, Fixelancen, étant l'une d'elles. Selon lui, la municipalité a créé une « usine pour toxicomanes » en installant H17, alors qu'elle aurait pu sauver des vies dans d'autres parties moins bien loties de la capitale.

« Pourquoi les toxicomanes de Nordvest n'ont-ils pas droit aux mêmes conditions que ceux de Vesterbro ? Et pourquoi dépensons-nous tout notre argent dans une seule grande usine de shoot ? Quand on voit les choses en grand, on pense moins aux gens. L'idée est-elle simplement de sortir les gens de la rue, ou d'accomplir quelque chose d'autre, quelque chose de plus, grâce aux centres de consommation de drogue ? L'expérience montre que les endroits plus intimes font plus de progrès pour ce qui est de sortir les gens de leur addiction », déclare-t-il.

Photo : Kasper Løftgaard

Louise Runge Mortensen estime que les autres coins de la ville méritent d'avoir leurs propres centres de consommation, mais selon elle, il est parfaitement normal d'aider les consommateurs là où ils sont les plus nombreux. « Ce serait génial d'avoir plus de sites de consommation supervisés dans d'autres parties de Copenhague, parce qu'on se rend compte que les gens ne meurent plus d'overdose à Vesterbro depuis l'ouverture de H17. En revanche, ils meurent toujours à Nordvest et Amager », déclare-t-elle.

« Mais il est injuste de dire que nous avons centralisé le monde de la drogue en ouvrant un centre de consommation là où il y en avait le plus besoin. Nous mettons simplement un toit au-dessus de la tête de ces gens. Nous pouvons clairement voir que Skyen, en termes de capacité, ne reflète en aucun cas la demande dans les rues. »