Société

En Afghanistan, le marché lucratif des armes américaines abandonnées

Désormais, la plupart des acheteurs sont des entrepreneurs et des citoyens afghans ordinaires.
Gavin Butler
Melbourne, AU
Sandra  Proutry-Skrzypek
Paris, FR
talibans armes
Les trafiquants revendent les armes de fabrication américaine dans les différentes provinces de l’Afghanistan et, dans certains cas, les font passer en contrebande de l'autre côté de la frontière, au Pakistan, où la demande est forte. Photo : Picture Alliance/Getty Images

Dans l'Afghanistan contrôlé par les talibans, le prix d'un fusil d'assaut américain M4 avoisine les 4 000 dollars, surtout s'il est équipé d'un lance-grenades sous le canon ou d'un viseur laser.

C'est ce qu'affirment les marchands d'armes de Kandahar, qui vendent ouvertement des caches d’armes, fusils, grenades, jumelles, lunettes de vision nocturne, radios et autres accessoires militaires de fabrication américaine, comme le rapporte le New York Times. Les différentes pièces ont été fournies aux militaires afghans pendant l'occupation ratée de 20 ans par les États-Unis, et laissées sur place après leur évacuation.

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Il fut un temps où les principaux clients des marchands d’armes étaient les talibans, des combattants engagés dans des combats ouverts avec les forces occidentales et qui n'étaient que trop disposés à payer le prix des armes et du matériel fournis par les Américains. Mais la guerre est terminée. Désormais, la plupart de leurs acheteurs sont des entrepreneurs et des citoyens afghans ordinaires. 

« Les armes de fabrication américaine sont très demandées, explique un marchand, car elles fonctionnent très bien et les gens savent comment les utiliser. » 

Au cours des deux années fiscales précédentes, qui se sont terminées en juin, les États-Unis ont dépensé plus de 2,6 milliards de dollars pour les militaires afghans, les équipant de pistolets, de fusils, de mitrailleuses, de roquettes, de Humvees et d'avions d'attaque légers, ainsi que d'énormes quantités de munitions, dont une grande partie est restée en Afghanistan lorsque l'Occident a achevé son retrait le 30 août. Les armes plus sophistiquées ont été expédiées hors du pays lors de l’évacuation des forces américaines, qui ont également mis hors d’usage les hélicoptères et les avions restants avant leur départ.

« Tout ce qui n'a pas été détruit appartient désormais aux talibans », a déclaré à Reuters un responsable américain s'exprimant sous couvert d'anonymat. 

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Dans de nombreux cas, les talibans ont vendu ces armes à des marchands et trafiquants d'armes, qui les revendent maintenant dans les provinces du pays et, dans certains cas, les font passer en contrebande de l'autre côté de la frontière, au Pakistan, où la demande est forte. Un marchand a déclaré à France24 : « Nous avons acheté toutes ces choses aux talibans après qu'ils ont conquis la base de l'armée afghane. Maintenant, nous les apportons sur le marché pour les vendre. » 

Mais toutes les armes qui sont tombées entre les mains des talibans n'ont pas été simplement abandonnées ou remises. Beaucoup d'entre elles leur ont en fait été vendues directement par des alliés de l'Occident – des membres corrompus des forces de sécurité afghanes, de la police et de l'armée, qui ont remis leurs armes aux insurgés talibans en échange d'argent liquide bien avant la chute de Kaboul

Reste que l'effondrement de l'armée afghane et l'évacuation rapide des forces occidentales ont constitué une manne lucrative pour les marchands d'armes locaux. À eux seuls, les États-Unis ont laissé derrière eux des armes d'une valeur de 83 milliards de dollars, dont quelque 600 000 armes légères, 32 000 grenades, mortiers, roquettes et bombes et 30 millions de munitions, qui alimentent aujourd'hui le commerce des armes dans le pays.

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Un porte-parole des talibans, Bilal Karimi, a nié que des armes américaines inondent le marché, déclarant au Times : « Ce n’est pas vrai ; nos combattants ne peuvent pas être aussi négligents. Il est impossible de vendre une balle sur le marché ou d’en faire la contrebande. » D'autres personnalités talibanes auraient toutefois confirmé que le nombre d'armes américaines à vendre a augmenté.

Il est possible que ces armes, dont l'offre et la demande semblent désormais très élevées, tombent entre les mains d'autres groupes islamistes comme le Tehrik-i-Taliban Pakistan, Al-Qaïda ou l'organisation État islamique. Des responsables américains, anciens et actuels, ont déjà exprimé la crainte que les armes acquises ne soient utilisées pour tuer des civils, attaquer les intérêts américains dans la région ou être remises aux adversaires mondiaux des États-Unis, notamment la Chine et la Russie.

Les experts ont également souligné la possibilité que les talibans remettent certaines parties de l'arsenal américain abandonné à la Chine, qui en tirera des enseignements sur la façon dont l'Amérique construit et utilise sa technologie militaire, et créera « une nouvelle génération d'armes et de tactiques adaptées aux vulnérabilités des États-Unis ». Peter Christensen, ancien directeur du National Cyber Range de l'armée américaine, a cité comme exemple les restes de matériel de contre-mesures électroniques (CME).

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« Imaginez l'effort de recherche et développement qui a été consacré à la mise au point de ces dispositifs CME conçus pour contrer les EEI [engins explosifs improvisés], a déclaré Christensen à DefenseOne. Maintenant, nos adversaires les ont. Ils auront le logiciel et le matériel qui vont avec ce système. Mais ils vont aussi développer des capacités pour vaincre ou atténuer l'efficacité de ces dispositifs CME. »

D'autres, en revanche, considèrent le Pakistan – dont le premier ministre, Imran Khan, a ouvertement félicité les talibans d'avoir « brisé les chaînes de l'esclavage » – comme une menace sous-estimée. Struan Stevenson, conférencier international sur le Moyen-Orient et président de l'Association européenne pour la liberté en Irak, a averti dans un article pour United Press International le mois dernier que « la vente continue d'armes au Pakistan devrait susciter de graves inquiétudes en Occident ».

Stevenson a souligné que des milliers de combattants pakistanais ont rejoint les talibans, et que si le groupe continuait à exercer une influence dans le pays et finissait par évincer Khan du poste de premier ministre, alors « les alliés occidentaux pourraient être confrontés, pour la première fois, à un ennemi fondamentaliste islamique doté d'armes nucléaires et d'un arsenal mortel d'équipements militaires modernes construits par les États-Unis et le Royaume-Uni ».

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