Rencontre avec trois Nord-Irlandais venus suivre leur équipe en minibus

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Rencontre avec trois Nord-Irlandais venus suivre leur équipe en minibus

J'étais à Lyon pour la victoire de l'Irlande du Nord contre l'Ukraine. J'ai profité de ce moment historique avec Scott, Matthew et Mark qui se préparent pour le huitième face aux Gallois.

Pendant l'Euro 2016, VICE Sports s'intéresse en priorité aux supporters venus de toute l'Europe pour soutenir leurs équipes nationales. Chants guerriers, fumis et passion parfois débordante, tout ça, c'est dans notre série Kopland.

L'Irlande du Nord a réussi son premier Euro, en se qualifiant pour les huitièmes de finale. Et pas que sur le terrain. L'armée verte et blanche est partout et prétend au titre officieux de meilleur supporter du tournoi. Dans le top 3 des meilleurs supporters de l'Euro 2016. Et pas uniquement grâce à "Will Griggs on Fire", qu'on se le dise.

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Mercredi 15 juin, camping indigo international de Lyon. Depuis hier, Scott Martin, Matthew Pratt, 26 ans tous les deux, et Mark Shannon, 24 ans, ont garé leur caravane sur le site. À quelques encablures de là, le vrombissement des moteurs qui circulent sur l'autoroute A6 se fait entendre. Une dizaine de kilomètres les séparent du centre-ville où des supporters nord-irlandais ont déjà élu résidence, tout près de la fan-zone.

« Désolé, on était à la piscine ». Entourés d'une serviette, les cheveux encore mouillés et les tongs aux pieds, ils viennent m'accueillir à l'entrée. Les trois potes de Moneyreagh, un petit village du County Down entre Belfast et Ballygowan, sont arrivés un jour plus tôt de Nice. Le week-end dernier, ils ont assisté à la prestation très timide de la Norn Iron face à la Pologne (défaite 1-0). Et le débriefing commence très vite. « L'objectif était de prendre un point mais on a fait que défendre, témoigne, lucide, Matthew. Mais tu sais, comme la plupart des fans, on est juste heureux d'être ici et on ne prend pas les choses trop au sérieux. On gagne ? C'est cool et ce serait historique. On perd ? Ben c'est normal après tout. » Lui préfère se souvenir de l'atmosphère folle dans l'Allianz Riviera et de la fête avant et après le match : « Je pense que sur cette première rencontre il y a pas mal de facteurs qui ont joué, explique Scott. C'était notre premier match à l'Euro, il y avait de jeunes joueurs sur la pelouse… On a été un peu impressionnés par le stade mais heureusement on ne s'est pas non plus pris une pilule. » « Demain contre l'Ukraine, c'est une finale, ajoute Mark. Si on gagne, on a encore une chance, mais si on perd on rentre probablement chez nous. »

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Pendant qu'on discute, plusieurs compatriotes curieux se rapprochent de leur campement. « Oh, la caravane est ici », s'exclame un homme accompagné de son fils. Pourtant elles sont nombreuses, tout comme les plaques immatriculées UK. Mais la leur, impossible de la manquer. Derrière deux grandes tentes et des drapeaux nord-irlandais on aperçoit l'engin : une sorte de minibus vert et blanc, avec les inscriptions GAWA (pour Green & White Army) à l'avant du véhicule, le blason de la sélection nationale sur l'aile et, en lettres majuscules bleu, "Northern Ireland". « Ce n'est pas repeint, c'est juste collé précise Scott. C'est loin d'être parfait mais au final, on s'en fout un peu ». La caravane est devenue un point de repère efficace pour ne pas se perdre dans les allées et une attraction devant laquelle tout le monde vient faire un selfie.

Les trois potes Nord-Irlandais avant le match opposant leur sélection à la Pologne, le 12 juin.

« Vas-y, assieds-toi ». Les trois supporters nord-irlandais me tendent une chaise, enfilent un tee-shirt et commencent à raconter leur périple, débuté dès les éliminatoires de l'Euro. « On est allés à tous les matches de la phase qualificative et certains à l'extérieur », commence Matthew. « Au fur et à mesure, on a commencé à penser qu'on pouvait se qualifier et c'est là qu'on s'est dit : "et si on allait en France l'été prochain ?". « Ça n'engageait à rien mais on y a cru, ajoute Scott. On a jeté un oeil aux vols, aux hôtels, aux trains… Mais après coup on s'est dit que ce serait cool d'avoir un moyen de transport avec lequel on puisse aller où on veut quand on veut. C'est là qu'est venue l'idée d'avoir un van avec des banquettes à l'arrière pour qu'on puisse dormir, au cas où. On l'a récupéré en février et juste avant qu'on parte, on l'a recouvert avec tout ce qui le décore maintenant. »

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Le 9 juin dernier, les voilà qui quittent Belfast direction Nice. « C'était énorme, précise Mark. Dès le départ, tout le monde nous klaxonnait ou baissait sa vitre pour nous saluer. Et ça a continué en France, sur l'autoroute, à Nice… » 36 heures de route résumées en une vidéo timelapse de quatre minutes publiée peu après sur Youtube. Sur Facebook et Twitter, leur périple nourrit les commentaires et les "J'aime". C'est d'ailleurs grâce aux réseaux sociaux que la BBC, puis une équipe de télé allemande, les contactent pour faire des reportages dans leur camping niçois.

Autour de nous, l'Irlande du Nord est partout. Sur toutes les tentes ou presque des bannières célébrant George Best ou Noel Brotherston, ailier de l'épopée nord-irlandaise lors de la coupe du monde 1982, sont installées. « On se croirait à Belfast ici, hein », plaisante Matthew. Plusieurs de leurs amis se rapprochent pour les inviter à rejoindre, à nouveau, la piscine. « On sera au Parc OL demain contre l'Ukraine, on peut compter sur toi pour la troisième mi-temps », me demandent-ils. Difficile de refuser. Rendez-vous est pris le lendemain vers la fan-zone, place Bellecour, après la rencontre. Un dernier "Will Griggs on Fire" viendra conclure ce premier échange qui en appelle d'autres, tout aussi festifs…

Venus en taxi, Scott, Matthew et Mark immortalisent leur arrivée au « stadium of Lyon » avant de pénétrer dans l'enceinte. Ils garnissent les rangs des quelque 20 000 fans de la GAWA, pas effrayés par la pluie, dans un virage entièrement vert. En face, le virage jaune ukrainien est moins rempli mais a du répondant. À la 24e minute de jeu les applaudissements pour Darren Rodgers, jeune supporter nord-irlandais décédé tragiquement après une chute à Nice, descendent des tribunes. Sur le terrain, pas grand-chose à se mettre sous la dent en première mi-temps mais cinq minutes après le retour des vestiaires, Norwood dépose un ballon sur la tête de Gareth McAuley qui trouve le petit filet opposé d'Andriy Pyatov. 1-0 pour la Norn Iron, qui inscrit le premier but de son histoire dans un championnat d'Europe.

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Dans une atmosphère fantastique, les supporters reprennent frénétiquement le tube de Gala "Freed from desire"… Version Will Grigg, ça va de soi. Après un court épisode de grêle qui suspend le match durant deux petites minutes, les Nord-Irlandais tentent de résister aux assauts ukrainiens. Finalement c'est Niall McGinn qui viendra délivrer tout un peuple en fin de partie (2-0). Dans les gradins, les trois amis se serrent dans les bras. Ils savent qu'ils sont en train de vivre un moment d'histoire extraordinaire. Les joueurs s'écroulent sur le terrain, les larmes aux yeux. Même les spectateurs "non-alignés" lâchent des sourires devant les scènes de liesse qui se déroulent sous leurs yeux.

Place Bellecour, 21 heures. Message de Scott : « On est avec les fans de la GAWA à proximité de la fan-zone. Il y a un bout de terrain et des fontaines, tu vois ? On est assis sur les grosses lettres "UEFA Euro 2016" ». L'endroit même où certains improvisaient un foot un peu plus tôt. La rue des Marronniers, située juste à côté, a des allures de Belfast. Dans la masse de maillots vert et blanc, difficile de distinguer le moindre Français à part deux ou trois jeunes attablés sur la terrasse du Ed's, un "pub à burger made in USA", qui profitent du spectacle offert par les hôtes britanniques en prenant photos et vidéos.

Les trois lascars et des potes à eux se sont posés là. Matthew sort une bière du pack à ses pieds et me la tend. Il a trouvé un mec un peu plus loin qui en vend à un bon prix. Tous ensemble, ils partagent leurs impressions du match, entrecoupées par une bonne dizaine de chants qui reviennent à intervalles réguliers. « C'est incroyable ce qu'on a fait, confesse Mark. On a encore une chance de se qualifier ! D'ailleurs, quelqu'un sait ce que fait la Pologne ? » Les deux écrans géants de la fan-zone ne sont pas loin mais les Nord-Irlandais - ce soir en tout cas - s'en foutent un peu. Ils veulent célébrer leurs héros, marquer au fer blanc ce 16 juin, historique pour leur pays. Et puis pour voir le match nul des Polonais (0-0) en plus…

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Des supporters torses nus et drapeaux en mains mettent l'ambiance dans la rue étriquée. Ce sont eux qui dégainent les chansons plus vite que leur ombre. Lors d'un bref moment de répit, j'en profite pour demander à Mark et Matthew ce qu'ils ont pensé du but de McGinn, l'un des rares joueurs catholiques de l'équipe. « On n'y avait même pas pensé mais c'est vrai que c'est symbolique ! C'est une autre preuve que Michael O'Neill a réussi malgré les conflits et les questions politiques à unifier le pays derrière l'équipe nationale parce que tout le virage l'a fêté. En plus, il le mérite vraiment ». Ils viennent tous d'une banlieue unioniste.

L'aventure continue pour les fans nord-irlandais qui vont débouler ce samedi au Parc des Princes pour le 8e de finale de leur équipe face au pays de Galles.

« Je pense qu'il y a encore pas mal de nationalistes en Irlande du Nord, m'explique Scott. Mais il y a aussi beaucoup de personnes qui soutiennent l'équipe nationale et qui voudraient la voir aller le plus loin possible dans cet Euro. Il y en a aussi qui s'en tapent un peu du sport mais qui sont derrière la Norn Iron et regardent tous les matches… Ce n'est pas juste une question politique. »

Matthew ajoute : « Là où Darren Rodgers (le jeune supporter nord-irlandais décédé, ndlr) est tombé à Nice, tu pouvais voir au milieu des fleurs des drapeaux irlandais posés juste à côté des drapeaux nord-irlandais… Ça montre que tout le monde est ensemble et qu'il y a des choses plus importantes que le football qui peuvent nous réunir. Je crois que c'est quand même bien de le dire. »

Deuxième tournée. Au fur et à mesure que les mousses s'enchaînent, les voix se font plus fortes. Un mec adepte des coupes de cheveux de Paul Pogba s'est fait inscrire "GAWA" sur son côté dégradé. Un autre moins serein circule au milieu de la foule en titubant, se laissant bercer par les mains étrangères qui le repoussent. « Don't take me home, please don't take me home, I just don't wanna' go to work. I wanna stay here, drink all your beer, please don't, please don't take me home ! » Les choeurs reprennent de plus belle. Un riverain habitant juste au-dessus du pub ouvre sa fenêtre pour haranguer la foule. Réplique nord-irlandaise ? Un bon vieux « Allez les Bleus ! » Magique. Deux heures du mat' passé, déjà. Scott, Mark et Matthew me disent qu'ils vont rentrer en Uber au petit matin.

Dimanche, ils ont pris la route direction Paris pour la dernière rencontre de groupe face à l'Allemagne. Ils ont assisté à la courte défaite de leur équipe (0-1) face à l'ogre allemand. Ils pourront utiliser les billets pour les huitièmes qu'ils avaient en stock. Car, vous ne rêvez pas, l'Irlande du Nord est qualifiée et affronte le pays de Galles, samedi à 18 heures au Parc des Princes. La troisième mi-temps s'annonce d'ores et déjà mémorable.