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La prochaine ruée vers l’or se déroulera à 1500 mètres sous la surface

Le premier projet d'extraction minière sous-marine se prépare en Papouasie-Nouvelle-Guinée
Crédits : Nautilus

Rabaul, une petite ville située sur une presqu'île au nord de la Nouvelle-Bretagne, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, est encore couverte par les cendres issues de l'éruption d'un volcan plusieurs décennies auparavant. Les éruptions ont décimé la ville à deux reprises, en 1937 puis en 1994. Par deux fois, ses habitants l'ont reconstruite et consolidée. Aujourd'hui, si vous deviez traverser Rabaul en voiture, vous emprunteriez des portions de route où l'on voit encore de la cendre empilée sur le bas-côté, voire au milieu de la chaussée. Elle est si épaisse qu'il faut fermer les fenêtres pour empêcher des nuages de poussière de s'infiltrer dans le véhicule.

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Le volcan a ruiné ce qui était l'activité industrielle principale de la ville, le tourisme. Vingt ans après, le tourisme n'a toujours pas retrouvé son dynamisme d'antan, mais il pourrait bientôt constituer la base d'une activité nouvelle. Le problème est que cette activité n'existe pas encore. Et des environnementalistes, scientifiques et militants ont encore l'espoir qu'elle n'existera jamais.

Ici, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, une entreprise pionnière, solidement financée, est sur le point de se lancer dans l'extraction minière en eaux profondes. Cela implique de disperser une flotte de gigantesques robots-miniers, pilotés à distance, à 1500 mètres sous le niveau de la mer, pour récolter les richesses dispersées au fond de l'océan : des véhicules sous-marins colossaux qui semblent tout droit sortis du tournage d'un film de science-fiction, à mi-chemin entre Avatar et Abyss, vont draguer du cuivre, de l'or et d'autres minéraux précieux. Loin de notre regard.

Les problèmes soulevés par cette activité sont rarement évoqués ; pourtant, elle marque un tournant radical, et interroge le futur de la consommation dans un monde où le recours aux ressources minérales demeure essentiel : jusqu'à quelle profondeur sommes-nous disposés à plonger pour obtenir les matériaux qui permettent à nos appareils électroniques de fonctionner ?

L'idée de raser le sol des fonds-marins, que l'on connait encore si peu, suscite beaucoup d'agitation. Chez les habitants de Rabaul qui s'inquiètent d'un possible accident industriel, mais aussi chez les scientifiques qui craignent que nous soyons sur le point de détruire des écosystèmes dont nous comprenons à peine le fonctionnement. Tandis que des ressources cruciales comme le cuivre se font de plus en plus rares, est-ce que miner les hauts fonds—où certes, personne n'habite—est un projet raisonnable ? Le simple fait que nous nous apprêtions à faire rouler des robots sur le plancher océanique ne nécessite-t-il pas de faire une pause, de réfléchir à la viabilité de notre mode de vie qui repose entièrement sur la disponibilité des métaux ?

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Malgré tout, le premier essai d'extraction minière devrait commencer dans deux ans, sur un site appelé Solwara-1, et dont le gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée a cédé les droits d'exploitation. Il est situé non loin de Rabaul, aux pieds du fameux volcan encore en activité.

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Éruption du Rabaul Caldera. Crédits: Wikimedia / Richard Bartz

Le Rabaul Caldera. Crédits : Wikimedia

Comme la fusion nucléaire, l'extraction minière sous-marine est une promesse high-tech qui a attiré de nombreux investisseurs, mais reçu une faible attention de la presse. Elle patauge à la frontière entre fiction et réalité depuis bientôt cinquante ans. Mais une entreprise canadienne nommée Nautilus prétend qu'elle pourra faire en 2018 ce que personne n'a réussi à faire jusque-là : extraire des minéraux dans les profondeurs sous-marines.

« L'extraction minière sous-marine va changer le visage de l'industrie minière en général » affirme le PDG de Nautilus, Mike Johnston. « Il y a une grosse quantité de gisements de haute qualité sur le sol marin. Les sols riches en sulfures, comme celui de Solwara-1, s'étirent le long des évents hydrothermaux dans le monde entier. On y trouve du cuivre, de l'or de l'argent et du zinc. »

Johnston évoque une future ruée vers l'or sous-marine, rien de moins. Et il n'est pas le premier. En fait, la folie a commencé il y a cinquante ans très exactement. La quête de l'extraction à hauts fonds a commencé au début de l'année 1965, quand John L. Mero, consultant sur les chantiers navals et anciennement rattaché à l'Institut des Ressources Marines de Berkeley, a publié Mineral Resources of the Sea. Dans cet ouvrage, il écrit que « la mer est une réserve majeure en minéraux qui sont au fondement de nos sociétés industrielles » et affirme que les richesses telles que le nickel, le cobalt et le cuivre reposent au fond de l'océan dans des nodules polymétalliques, sortes de concrétions rocheuses riches en métal n'attendant que d'être extraites en quantité quasi-illimitées.

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Mero propose de faire descendre une « drague hydraulique sous-marine » à 3000 mètres de profondeur, afin qu'elle se comporte comme une sorte « d'aspirateur géant destiné à récolter une couche superficielle de matériaux. »

Suivant la publication de Mineral Resources of Sea, des pays comme les États-Unis, la France et l'Allemagne ont résolu d'explorer les fonds marins à la recherche des réserves en richesses sous-marines. Durant les dernières décennies, ils ont englouti des millions et des millions de dollars dans cette activité, avec des résultats décevants. Une étude de 2000 publiée dans le magazine Science a montré qu'un total de 650 millions de dollars a été investi dans cette entreprise, pour l'essentiel avant la chute du prix des métaux due au choc pétrolier de 1973, et avant que les océanologues ne réalisent que les prédictions de Mero sur l'abondance des richesses océaniques étaient extrêmement optimistes. Pendant plusieurs dizaines d'années, l'extraction minière sous-marine a été abandonnée, et le rêve d'enlever ses richesses à l'océan est resté vain.

Néanmoins, plus récemment, deux tendances ont contribué à raviver l'intérêt pour cette technique. D'une part, la demande mondiale croissante en métaux récupérables, le cuivre en particulier, a permis de relever à la hausse les profits potentiels à tirer de l'extraction minière sous-marine. Le cuivre est essentiel à la vie moderne ; il est très malléable, et possède une excellente conductivité. On le trouve donc dans les appareils électroniques grand public, les câbles, les voitures, les réfrigérateurs, etc. Sa valeur a explosé grâce à l'industrialisation de pays au poids économique conséquent, comme la Chine ou l'Inde. Les territoires sous-marins qui pourraient potentiellement héberger des sites miniers sont d'ailleurs riches en d'autres types de métaux aujourd'hui indispensables : nickel, argent, or et cobalt.

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D'autre part, des nouvelles technologies, comme les robots-miniers sous-marins, ont propulsé l'EMSM (Extraction Minière Sous-Marine) dans le domaine du réalisable. « Après avoir examiné la technologie telle qu'elle existait en 2004 » explique Johnston, « il m'est apparu clairement qu'il y avait eu des changements très rapides, si rapides que ce qui semblait parfaitement impossible dans les années 1970 est maintenant assez simple à réaliser en termes d'ingénierie. »

Enfin, une meilleure compréhension de la géologie des fonds marins a permis d'aiguiller la nouvelle vague de prospecteurs, depuis les nodules polymétalliques d'autrefois jusqu'à une nouvelle cible : les dépôts de sulfures qui se forment au niveau des évents hydrothermaux.

Nautilus n'est que l'une des entreprises qui espèrent profiter des tendances favorables à l'EMSM. Le Japon et la Corée explorent l'idée activement, et développent des techniques d'extraction adaptées à leurs terrains. Une autre compagnie privée, Neptune, définit actuellement des sites importants pour faire la même chose dans le Pacifique ouest.

Dépôts de sulfures massifs. Image: University of Washington

Cependant, tandis que les projets mûrissent peu à peu, ils ont également attiré leur lot d'inquiétudes. En 2007, Science a publié un article intitulé « Danger of Deep Sea Mining » ; plusieurs problèmes y sont évoqués, comme la crainte que l'énorme tourbillon de sédiments généré par l'EMSM puisse perturber les habitats sous-marins. Les auteurs craignent aussi que l'opération puisse soulever des substances toxiques par l'intermédiaire de la colonne d'eau. En conclusion, « les projets d'EMSM pourraient constituer une menace sérieuse aux écosystèmes marins. » En outre, les écosystèmes présents au niveau des évents hydrothermaux sont parmi les plus étranges et intrigants au monde.

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Les évents hydrothermaux se trouvent au fond des océans à proximité de volcans actifs, comme celui qui forme un atoll autour de Solwara-1, ou celui sur lequel Rabaul est juché. Certains scientifiques ont même avancé l'idée que ces sites pourraient être à l'origine de la vie sur Terre, là, près de la bouche de la cheminée hydrothermale, où des colonnes d'eau chaude riche en minéraux surgissent de la croûte océanique jusque dans les étendues désolées et glacées des profondeurs. C'est la raison pour laquelle les industriels s'intéressent à ce point à ces endroits : ils génèrent en permanence, quoique très lentement, ce que les géologues appellent des dépôts de sulfures massifs.

« Ces dépôts se forment sur, ou près du plancher océanique où les fluides hydrothermaux circulent, conduits par la chaleur magmatique ; ils sont trempés dans le mélange des eaux profondes et des eaux interstitielles à proximité des roches sédimentaires » explique l'US Geological Survey. Le dépôt se produit dans les corps larges, plats, similaires à des lentilles, étendus parallèlement au lit volcanique. « Les lentilles de sulfures massifs peuvent varier énormément en forme et en taille, et empruntent une forme de gousse ou de feuille » précisent les notes de l'USGS.

Ces dépôts sont souvent riches en cuivre ou en or, et sont plus faciles à détecter que les nodules de Mero. Nautilus a prévu de récolter les minéraux là où ils s'accumulent—tout en évitant les évents eux-mêmes—afin de les amener en masse jusqu'à la surface et de les vendre, bien entendu.

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« Les sulfures massifs des fonds marins sont riches en cuivre, et ils contiennent en proportion plus de cuivre que les minerais que l'on trouve à la surface. En ce sens, ils sont particulièrement attractifs » affirme Cindy van Dover. Van Dover est une chercheuse spécialisée dans les fonds marins à l'Université Duke ; elle a travaillé comme conseiller scientifique chez Nautilus, mais n'est pas une consultante rémunérée.

Van Dover a récemment été invitée en Papouasie-Nouvelle-Guinée par TED, qui a organisé une expédition maritime pour attirer l'attention sur les problèmes des océans. On lui a demandé de donner une conférence sur l'EMSM à bord du National Geographic Orion, tandis qu'il traversait les eaux tropicales qui seront bientôt investies par Nautilus.

Scientifique accomplie, Van Dover est méthodique et très prudente sur ce sujet. Elle parle d'une voix douce, sourit, a des cheveux grisonnants coupés courts, et, au cours de nos discussions sur le bateau, a montré une certaine ambivalence sur la question de l'EMSM. Cela fait sens car elle a passé les trente années de sa carrière scientifique à étudier les écosystèmes marins profonds menacés par les transformations à venir.

Évents hydrothermaux. Image: NOAA

« J'ai commencé à étudier les évents hydrothermaux en 1982 » confie-t-elle, tandis que la houle commençait à remuer légèrement mon estomac. « On les a découverts en 1979. Alors oui, réaliser que quelqu'un était sur le point de les mettre en pièces, les briser, les détruire… Il y a des animaux qui vivent là, près des sources d'eau chaude. On craint d'observer les conséquences sur ces communautés. » Les organismes vivants qui se rassemblent autour des évents sont souvent hauts en couleur : vers, limaces de mer, crevettes aveugles, et poissons des abysses.

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Par la fenêtre de notre cabine, des colonnes de fumée s'élèvent au loin. Elles sont le produit de l'agriculture sur brûlis pratiquée dans la région, rappelant au passage que la Papouasie-Nouvelle-Guinée est un pays pauvre, et que les royalties issus l'extraction de minéraux pourraient contribuer à améliorer sa situation économique.

Van Dover fait remarquer que le Nautilus n'a pas l'intention de travailler avec précipitation, confidentiellement, loin de l'attention du public. Bien au contraire, l'entreprise l'a sollicitée directement pour son expertise, et a depuis été particulièrement transparente sur ses intentions.

« Ils posent des questions très directes : qu'est-ce qui vous inquiète exactement ? Si nous exploitons ce site [i.e., si nous détruisons Solwara-1], est-ce que les organismes vivants reviendront ? » Et c'est exactement ce qui préoccupe van Dover : les écosystèmes sont prêts à être détruits. Cependant, une de leurs caractéristiques essentielles est qu'ils ont déjà l'habitude d'être anéantis de manière routinière.

« Les sites sont secoués par des éruptions volcaniques à intervalles réguliers » explique van Dover. « Je pense en particulier à la dorsale est-Pacifique, où les éruptions ont lieu environ une fois tous les dix ans. Les animaux y sont adaptés, et quelques mois plus tard, ils reviennent. Un ou deux ans après l'éruption, il n'y a plus trace de l'événement. »

Cependant, contrairement à la dorsale est-Pacifique, Solwara-1 est un site où les écosystèmes ont une plus longue durée de vie. Les coulées volcaniques sont moins fréquentes, et ne détruisent donc pas aussi souvent les habitats du plancher océanique. Les créatures qui résident là risquent d'être éradiquées par Nautilus, mais dans ce cas précis, des scientifiques craignent qu'elles n'aient pas le temps et les moyens de s'en remettre. D'autres scientifiques estiment qu'on n'en sait pas assez sur cet écosystème, et qu'on est incapable de savoir à quoi s'attendre s'il doit affronter l'EMSM.

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Nautilus, quant à lui, affirme qu'il faut procéder de manière responsable, et met l'accent sur les enjeux économiques de l'extraction.

« Solwara-1, par exemple, possède 7% de cuivre et 6 grammes d'or par tonne en moyenne, c'est-à-dire près de dix fois plus que les taux observés sur la terre ferme. Il y a plus de cuivre dans les fonds marins que dans l'ensemble des réserves terrestres » précise le PDG de Nautilus, Johnston. (Sur terre, le teneur moyenne de minerai de cuivre est en dessous de 0.6%, tandis que celui de l'or est tombé à 1.2 gramme par tonne en 2014.) « L'un des principaux facteurs de la rentabilité d'une mine est la teneur de la ressource observée ; quand vous avez des fonds marins qui possèdent des teneurs en métal dix fois plus importante que ce qu'on trouve dans les sols terrestres, il y a un avantage énorme à faire de l'extraction sous-marine. »

De plus, même si les sites repérés pour l'EMSM reposent à 1500 kilomètres en-dessous du niveau de la mer, certaines étapes de l'opération sont plus faciles à réaliser sous l'eau que sur la terre ferme.

« Les sulfures massifs sous-marins qui intéressent Nautilus reposent fièrement sur le plancher océanique, ils ne sont pas enfouis sous le sol ou sous une pellicule de sédiments, qu'on appelle le mort-terrain. Ici, le mort-terrain, c'est l'eau. » explique van Dover. Cela signifie qu'il n'y a pas la moindre couche de terre à retirer avant de pouvoir collecter les minéraux intéressants. Ils reposent directement sous la surface, prêts à être ramassés.

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Évidemment, le plancher océanique est à des kilomètres sous la surface, ce qui signifie que Nautilus doit tout de même mettre au point un système high-tech de ramassage des minéraux. C'est là que les choses tournent à la science-fiction.

« L'extraction en elle-même nécessite d'utiliser un bateau, en surface, qui va piloter à distance des véhicules qu'on aura fait descendre au fond de l'océan. Les minerais sont ensuite ramenés à la surface puis déshydratés. L'eau de mer récoltée après déshydratation est rejetée au niveau des fonds marins. Une fois que le bateau a réalisé ces opérations à un endroit, il se dirige vers le site suivant » explique van Dover. « Il n'y a pas de route, il n'y a pas d'infrastructures. En soi, c'est un bon argument pour dire que l'impact environnemental est relativement moins élevé que pour l'extraction minière terrestre. »

Le fonctionnement de l'EMSM. La vidéo en version longue ici.

Si l'on en croit les blueprints qui ont été rendus publics, le projet de Nautilus implique trois véhicules robotiques indépendants, pilotés à distance, qui travaillent en tandem pour préparer le terrain, y extraire des minéraux et les ramasser. Chacun mesure environ 15 mètres de long, 5-6 mètres de large, et pèse jusqu'à 310 tonnes. Construits par l'américain Caterpillar, ils coûtent à eux trois plus de 100 millions de dollars et seront déployés par un navire géant, le Production Support Vessel de Nautilus, qui flottera au-dessus des opérations à la manière d'une plate-forme pétrolière.

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« Tout d'abord, un robot appelé the Auxiliary Cutter sera expédié pour préparer le terrain. On le descendra sur Solwara-1, à 1500 mètres de profondeur, où il commencera à utiliser son bras articulé pour tracer des tranchées dans le sol pour la seconde vague de robots. Ensuite vient le Bulk Cutter, plus large, capable de creuser des plus grosses tranchées, mais seulement dans les traces du premier robot. Les roches seront désagrégées et dispersées sur le sol océanique par le travail des deux machines, qui ressemblent à des machines à extraction de charbon terrestres », explique Nautilus sur son site web.

Une fois que les matériaux ont été extraits, on envoie the Collecting Machine, l'amasseuse. Elle « va ramasser les matériaux en suspension soulevés par le tranchage, les aspirer dans un tuyau souple grâce à une pompe, puis les propulser vers la surface à l'aide d'un système de levage. À bord, les matériaux seront déshydratés, puis stockés dans la coque où ils attendront d'être transférés sur un autre bateau.

Chaque robot est contrôlé depuis la surface, et a été construit pour supporter la pression écrasante des fonds-marins. Mais comme le précise Nautilus, les robots sont avant tout le produit des changements technologiques récents chez les machines d'extraction de charbon ou de minerai terrestres. Ce sont les mêmes machines, transposées sous l'eau. Loin, très loin sous la surface.

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Image: Nautilus

En résumé, on a là une entreprise de haute technologie, complexe, et à haut risque. Les opérations seront menées dans un environnement aux conditions extrêmes, et si ces robots venaient à tomber en panne les réparations seraient extrêmement coûteuses. De plus, tout accident constitue une menace pour l'environnement et attirerait immanquablement une attention publique inopportune.

D'ailleurs, Nautilus a déjà la colère d'un grand nombre de personnes.

« Des manifestations se sont multipliées à Rabaul, organisées par les néo-guinéens qui se sentent concernés par le sujet », raconte van Dover. Les motifs de protestation sont multiples : le bruit et la lumière dégagés par les opérations offshores, mais aussi la destruction des habitats naturels. Alors que nous traversons la ville en bus sur les routes couvertes de cendre, elle demande à une guide locale si elle a vu les manifestations.

« Oh, bien sûr » marmonne la femme, en jetant un coup d'œil par la fenêtre. Un peu plus tard, elle me confie que la plupart des gens du coin sont « contrariés », mais elle refuse d'en dire davantage ; il semble qu'elle craint de présenter Rabaul sous un mauvais jour. Le tourisme s'est effondré à cause de l'éruption volcanique, et depuis, il est rare de voir des étrangers sur l'île. À chaque étape de notre excursion, les gens sourient, nous font des signes, nous interpellent parfois.

Bien que Nautilus ait attiré l'attention sur d'autres projets d'extraction novateurs dans le monde, son entreprise reste très controversée. Les habitants de Rabaul sont inquiets quant aux opérations des entreprises étrangères en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et dans le monde, des environnementalistes commencent à s'organiser en mouvements de plus grande ampleur. Ainsi, des manifestations contre le projet sur Solwara-1 ont déjà connu un large retentissement.

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L'un des opposants au projet est Richard Steiner, un biologiste de la conservation spécialisé dans les milieux marins, ancien professeur à l'Université d'Alaska. Steiner a étudié les catastrophes écologiques marines depuis que la marée noire de l'Exxon Valdez est arrivée chez lui. Il a été l'un des premiers experts à arriver sur les lieux après l'explosion du Deepwater Horizon en 2010, puis a contribué à surveiller et analyser les retombées de la catastrophe.

Aujourd'hui il supervise une association appelée Oasis Earth, et propose son expertise auprès de nombreux organismes attachés à la conservation. Il soutient entre autres la Deep Sea Mining Campaign, dont l'objectif est de ralentir les projets d'EMSM de grande ampleur.

« L'idée de détruire les communautés biologiques présentes sur l'évent hydrothermal de Solwara-1 est contraire aux buts de la biologie de la conservation par définition » précise Steiner. « L'extraction va détruire une communauté écologique marine que nous connaissons à peine d'un point de vue scientifique, et provoquer l'extinction d'espèces que nous n'avons même pas encore identifiées. »

« Cette seule perspective est insupportable d'un point de vue éthique. Il y aura des conséquences graves sur l'évent, à long terme, tout cela pour des minéraux qui ne nous sont en rien indispensables (l'or en particulier). Ce projet est catastrophique. »

Il est difficile d'apprécier l'ensemble des impacts du projet sur les milieux écologiques abyssaux. Nautilus a commissionné une organisation américaine sans but lucratif spécialisée en environnement, Earth Economics, pour mener une étude d'impact à Solwara et montrer le projet sous un meilleur jour. Mais Steiner, parmi d'autres, a critiqué vigoureusement le rapport, qui serait pétri de biais et d'insuffisances. Il néglige par exemple de prendre en compte les services écosystémiques ainsi que les vulnérabilités de la vie marine.

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Bien entendu, Nautilus insiste sur le fait que son projet est non seulement sans risques, mais également qu'il comporte moins de risques que toute autre alternative industrielle. L'extraction minière terrestre est très polluante ; le lessivage des sols et le ruissellement peuvent contaminer les bassins hydrographiques et les sols, créer des dolines, et encourager d'autant plus l'exploitation forestière et le développement. La pollution peut également mettre en danger la santé des personnes vivant à proximité. Avec l'EMSM, le problème est moindre.

Auxiliary cutter. Image: Nautilus

« Il n'y a pas de société, il n'y a pas de civilisation, il n'y a pas d'humains vivant sur les fonds océaniques, c'est certain » dit van Dover. « Cela rend la question moins complexe en terme d'impact social, contrairement à la terre ferme où le gens seront forcément impliqués. »

Néanmoins, les conservationnistes soutiennent qu'il y a des façons d'obtenir du cuivre sans succomber à l'appât des grands fonds. « Les défenseurs de l'EMSM ont tendance à occulter le fait qu'il reste encore de vastes réserves de minéraux sur terre, qu'il est possible d'augmenter l'efficacité de l'utilisation du métal dans l'économie globale, que l'approche cradle-to-cradle peut fonctionner, et enfin que l'enfouissement existe. » rétorque Steiner. « Nous devons rompre avec 'l'économie du déchet' qui consiste à extraire des minéraux, les utiliser une ou deux fois, s'en débarrasser, et augmenter d'autant plus la demande. »

La grande question, évidemment, ne se réduit pas aux dangers que pose Solwara-1. Il faut se demander si le projet ne va pas participer à étendre l'activité sur des lieux où l'incertitude est encore plus grande. « La Corée et le Japon sont tous les deux très actifs, et une entreprise appelée Neptune est également dans la course » explique van Dover.

À un moment, il va falloir choisir entre une technologie à portée de main et des écosystèmes que nous ne verrons jamais. #DeepSeaMining
— Andrew David Thaler (@SFriedScientist) June 9, 2015

En effet, ces dernières années la Corée a testé avec succès un robot d'extraction sous-marine, et le Japon a autorisé l'exploration de sites sous-marins dans ses eaux, avec l'EMSM en vue. Lockeed Martin veut également sa part du gâteau, et Neptune envisage l'extraction en Nouvelle Zélande. Il est probable que ces projets seront poursuivis, mais pas avant 2018. Tous les yeux sont tournés vers Nautilus, qui mène la course.

La construction du Production Support Vessel, le navire qui servira de centre de contrôle de surface, a commencé à temps. En octobre 2015, le PDG de Nautilus, Johnston, célébrait cet événement majeur : « Notre objectif est toujours de développer le premier projet commercial d'extraction de minerais à haute teneur en cuivre et en or au monde, puis de lancer l'industrie autour des ressources des fonds marins. Le monde entier attend l'aube de cette nouvelle industrie, et la livraison du vaisseau en décembre 2017 permettra commencer les opérations début 2018. »

« Les outils industriels utilisés pour cette production et le système de levage fond-surface, incluant la pompe d'aspiration, sont presque prêts. L'Auxiliary cutter, le Bulk cutter et la Collecting Machine sont terminés et ont déjà subi des tests qualité ; les tests d'étanchéité commenceront au premier semestre 2016. »

Nautilus a diffusé des images des trois premières machines récemment, et gagné l'attention de la presse qui a fait circuler les photos impressionnantes des rovers sous-marins. Il ne reste vraiment qu'un obstacle à surmonter : construire ce navire plateforme à partir duquel toutes les opérations seront conduites.

« La pierre de touche du système de production est le navire ; il représente vraiment le point critique de la production. La découpe des pièces d'acier a commencé, et nous avons toutes les raisons de penser que la livraison aura lieu fin 2017. Le reste de l'équipement de bord sera terminé à ce moment-là également » clame Johnston.

Apparemment, les mâchoires robotiques ne sont pas prêtes de relâcher leur étreinte. Mais même si tout a été fait pour prendre en compte et anticiper les risques, de nombreuses questions restent à élucider. Nautilus a pris toutes les initiatives possibles pour que les opérations engagent des bonnes pratiques, pour comprendre au mieux l'écosystème qu'il s'apprête à exploiter, et pour communiquer avec les parties concernées, mais nous restons face à d'immenses incertitudes. Quant aux exigences de Steiner et de ses pairs, vivre de manière soutenable avec les réserves de minéraux que nous possédons actuellement sans en extraire davantage, elles semblent utopiques. Nous sommes au bord d'un précipice sans précédent. Et il y a peu de chance que les fonds océaniques attirent beaucoup d'anges gardiens une fois que l'extraction aura commencé.

Les orientations économiques qui ont propulsé la course aux minéraux dans les abysses ne risquent pas de changer demain. Le cuivre et le nickel sont très demandés, et tandis que des millions de gens entrent dans la classe moyenne, avides de technologie, cette demande ne peut que continuer de croitre. Et les fonds marins peuvent bien être une vaste étendue stérile, encore une fois, les scientifiques eux-mêmes sont incertains des conséquences possibles si nous commençons à extraire des minéraux en masse tout autour du globe. La ruée vers l'or ne se limite pas à Solwara-1. Si Nautilus réussit son coup, d'autres suivront.

« Nous avons besoin de comprendre ce que nous allons perdre » conclue van Dover. « Il y aura de nombreux conséquences, qui, cumulées, vont faire très mal. Solwara-1, ok, poursuivez l'extraction sur S-1 et vous verrez ce qui se passe. Mais après ? Où se situe la limite ? Combien de sites peut-on détruire de cette manière ? Et à quelle fréquence, avant que les milieux ne puissent pas s'en remettre ? Je pense que S-1 pourrait s'en remettre si après lui, on ne touche plus à rien. Mais si on attaque d'autres sites dans le bassin, jusqu'à combien peut-on aller ? Deux ? Je n'en sais rien. »

Van Dover lance un regard à travers la fenêtre de notre cabine. « Est-ce que tout cela peut être viable écologiquement parlant ? Oui. Mais est-ce que ça le sera ? Je ne suis pas très optimiste. »