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L'étoile que personne ne parvient à expliquer

Mégastructure extraterrestre ? Amas de comètes ? Les théories les plus folles circulent au sujet de KIC 8462852, et les derniers travaux ne permettent pas vraiment d'y voir plus clair.

L'étoile KIC 8462852 fascine depuis longtemps déjà tous les passionnés d'espace à travers le monde, nombre d'entre eux supposant que ses étranges fluctuations lumineuses pourrait bien être causées par des mégastructures extraterrestres placées en orbite. Pourtant, au cours des derniers mois, les astronomes du SETI l'ont scrutée attentivement à la recherche de signaux radio ou laser inhabituels susceptibles d'indiquer la présence d'une technologie avancée, en vain. Cela ne réfute pas totalement l'hypothèse extraterrestre, mais ça ne la renforce clairement pas.

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En effet, comme les astronomes le soulignent depuis le départ, le comportement étrange de KIC 8462852 a plus de chances d'être la conséquence de phénomènes naturels que de vastes bâtiments extraterrestres. Jusqu'ici, la théorie dominante voudrait que l'étoile soit périodiquement masquée par un énorme amas de comètes qui empêchent sa lumière de nous parvenir, à hauteur de 20%.

Mais Bradley Schaefer, un astrophysicien très prolifique de l'Université de Louisiane, a porté un coup sévère à cette théorie la semaine dernière dans un article publié sur arXiv.

Si les recherches de Schaefer sont particulièrement intéressantes, ce n'est pas tant en raison de ses résultats que de sa méthode. En parcourant la collection de plaques photographiques en verre de l'Observatoire de Harvard (des archives remontant aux années 1880 et contenant plus de 500.000 images), Schaefer a pu retracer l'histoire des fluctuations lumineuses de KIC 8462852 jusqu'aux années 1890.

L'observatoire de Harvard vers 1899. Image: Harvard College Observatory

« Pour répondre à certaines questions scientifiques, il faut connaître l'activité d'une étoile sur le long terme, et on peut la mesurer en étudiant sa luminosité sur de très nombreuses images prises à travers le temps, m'a explique Schaefer par e-mail. L'idée, c'est de créer ce que nous appelons une « courbe de lumière », qui n'est en fait qu'un historique de la luminosité de l'étoile. »

Au cours des dernières décennies, la plupart des astronomes ont eu recours à des capteurs photographiques (« charge coupled devices », ou « dispositifs à transfert de charge ») pour photographier le ciel nocturne, ce qui leur a permis d'obtenir des images de meilleure qualité et plus facilement exploitables. La première étude sur KIC 8462852 qui a suscité tant d'intérêt concernant ses périodes d'obscurcissement était fondée sur des données provenant du télescope de Kepler, qui utilise un ensemble de 42 CCDs. Il permettait donc de se faire une idée du comportement à court terme de l'étoile, mais pas sur une longue période.

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Mais lorsqu'il s'agit d'étudier des courbes de lumière sur des périodes étendues, soit plusieurs décennies voire plusieurs siècles, rien ne vaut les bonnes vieilles plaques photographiques. « Sur des périodes excédant quelques années, les CCDs ne servent à rien, et on doit se contenter d'utiliser de vieilles photos d'archives du ciel, explique Schaefer. Dans le cas de KIC 8462852, j'ai pu utiliser 1232 plaques de bonne qualité et donc mesurer la magnitude de l'étoile (c'est-à-dire sa luminosité). »

Vous voyez les DJs qui passent leur temps à fouiller dans des vieux bacs de vinyls pour y dénicher des samples intéressants ? C'est un peu la même idée. Et les plaques ont révélé une autre histoire de cette étoile étrange.

Il s'avère que KIC 8462852 est non seulement sujette à des fluctuations lumineuses très importantes à court terme, mais aussi à un assombrissement progressif à long terme qui est magnifiquement relaté par les photographies conservées à Harvard.

À la vitesse où évolue la courbe de lumière de l'étoile, Schaefer a calculé qu'il faudrait environ 648.000 comètes massives d'au moins 200 kilomètres de diamètre pour expliquer les fluctuations les plus extrêmes qu'on ait observées. Un scénario extrêmement peu probable, et pas moins fou que l'hypothèse extraterrestre. « Cette baisse de lumière globale et progressive a de sérieuses implications, puisqu'elle réfute de nombreux modèles, y compris celui de l'amas de comètes et les spéculations les plus farfelues », estime Schaefer.

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Si cette courbe de lumière extravagante n'a rien à voir avec des mégastructures extraterrestres ni avec un essaim de comètes, alors il se passe quoi au juste avec KIC 8462852 ? Le seul moyen de le savoir, c'est de l'observer encore et toujours, tout particulièrement pendant ses fameuses périodes d'occultation.

KIC 8462852 infrarouge et en ultraviolet. Image: IPAC/NASA/STScI

« A priori, la meilleure chose à faire, ce serait d'essayer d'obtenir un spectre de l'étoile pendant une baisse de luminosité, m'a expliqué Schaefer. Grâce au spectre, nous pourrions voir les lignes d'absorption de n'importe quel gaz associé à l' « occulteur », ou un rougeoiment indiquant qu'il s'agit surtout de poussière, ou encore une baisse de couleur neutre indiquant un corps solide. Un spectre nous renseignerait donc sur la nature de l'occulteur, ce qui nous permettrait de restreindre le champ des possibles. »

« Mais les baisses de luminosité majeures sont rares, donc il faut attendre la prochaine », a-t-il ajouté.

Heureusement, l'astronome Tabby Boyajian, auteure principale de l'article originel sur KIC 8462852, est sur le coup. Elle dirige une équipe de chercheurs de l'American Association of Variable Star Observers (AAVSO) qui surveillent tous les faits et gestes de l'étoile.

« Ces observateurs sont situés partout dans le monde et ils travaillent très bien, ce sont de grands professionnels, dit Schaefer. Tabby a aussi programmé de gros télescopes pour qu'ils se braquent immédiatement sur l'étoile dès que sa luminosité baisse. Hélas, jusqu'ici, ça n'est pas arrivé. Mais ça finira par venir, et nous obtiendrons un spectre qui nous permettra de connaître la nature de l'occulteur. »

D'ici là, nous pouvons toujours nous émerveiller devant la manière dont KIC 8462852 continue à se soustraire à toute tentative d'explication de son comportement jamais vu auparavant. Bien joué et merci pour tout, zinzin de l'espace.