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Comment rendre un employé "heureux" grâce aux nouvelles technologies

Le centre d'appels est probablement le pire lieu de travail qui soit à l'ère moderne.

S'il existe un lieu de travail qui est une véritable dystopie, c'est bien le centre d'appels moderne. Les employés y passent leurs journées à embêter des inconnus avec des sondages et des arguments de vente, ou à filtrer les appels de clients mécontents qui, après avoir perdu des heures précieuses à essayer de trouver des solutions sur Google, sont désormais prêts à hurler sur le premier venu. Dès qu'une conversation tendue ou violente touche à sa fin, l'employé passe immédiatement à l'appel suivant, car chaque seconde de travail est quantifiée et analysée. Mais même s'ils parlent à des gens toute la journée, les employés des centres d'appel avouent se sentir seuls et isolés dans leur petit box étriqué.

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Avec un boulot aussi nul, seules deux options s'offrent à vous : l'arrêt maladie ou la démission. Et c'est justement ce que font beaucoup d'employés. Le taux de roulement annuel a chuté entre 30 et 45 pour cent. Le taux d'absentéisme est également très élevé. Étant donné que recruter, embaucher et former un employé peut coûter aux entreprises plusieurs milliers par tête, les patrons ont donc tout intérêt à améliorer le moral, ne serait-ce que pour augmenter le bilan.

La rentabilité est donc une motivation suffisante pour améliorer les conditions de travail, mais peu d'entreprises y parviennent. Au lieu de distribuer des cartes cadeaux et d'épingler l'employé du mois au mur, certaines entreprises choisissent de rendre les employés plus productifs (et, idéalement, plus heureux) en chapeautant leurs interactions sociales. Elles exploitent pour cela tout système de données concevable et déploient les résultats pour façonner la communication entre les employés. Pour les téléopérateurs, l'avenir s'annonce donc plus amical, et peut-être un peu moins maussade.

Ron Davis est le directeur de Tenacity, une entreprise de « services de fidélisation » basée à Seattle qui propose d'utiliser la « physique sociale » pour que les gens tirent un peu de plaisir dans leur boulot – et qu'ils ne démissionnent pas. Les techniques sont bien rodées : la pleine conscience, la respiration profonde, l'exercice physique et le contact avec ses pairs – autant d'éléments qui contribuent au sentiment de bien-être. « Le problème est que personne ne fait ces trucs », déplore-t-il. Par le biais du domaine émergent de la « physique social », Tenacity exerce une influence subtile sur ses employés afin d'égayer leur quotidien.

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Le badge combine un capteur Bluetooth, un capteur infrarouge, un accéléromètre, ainsi qu'un microphone.digital badge packs a Bluetooth sensor that checks proximity to other people

La physique sociale intègre le big data aux sciences sociales. Le parrain de la discipline est Alex « Sandy » Pentland, qui dirige le MIT Connection Science and Human Dynamics. Pentland déclare que « dans le domaine de la psychologie et de la gestion, nous sommes de retour à l'époque de l'alchimie… Il n'y a pas de connaissances scientifiques à ce sujet ».

Maintenant que les recherches qualitatives deviennent de plus en plus quantitatives, Pentland affirme que les physiciens sociaux sont capables d'appliquer les sciences dures à des problèmes pernicieux, comme trouver le moyen de parvenir à des changements durables des comportements des employés.

L'un des principes de la physique sociale est de récompenser les autres – et non vous-même – pour vos réussites, m'a expliqué Davis. Chez Tenacity, les employés choisissent deux collègues avec qui ils partageront leurs responsabilités. Au lieu de récompenser les travailleurs directement pour les comportements souhaités, comme faire des exercices de méditation ou pratiquer une activité physique modérée, le programme récompense tous les partenaires. « Il s'avère que c'est sept fois plus efficace », explique Davis. Ce que nous ne faisons pas pour nous-même, nous le faisons pour les autres.

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Les participants effectuent des "quêtes", comme aller boire un verre avec un nouvel employé ou prendre des selfies stupides

La physique sociale suggère aussi que les gens sont plus productifs quand ils passent du temps libre ensemble. Puisque les centres d'appel peuvent être des lieux très solitaires, Tenacity propose d'encourager les amitiés en dehors du travail. Les participants effectuent des « quêtes », comme aller boire un verre avec un nouvel employé ou prendre des selfies stupides. De telles sorties arrangées peuvent être, pour certains, un supplice plutôt qu'une aventure, mais encore une fois, elles paraissent sans doute plus amusantes quand on les compare à l'ambiance infernale des centres d'appel.

« Nous pouvons voir ce qui cloche dans le réseau social et adapter nos quêtes pour régler ces problèmes, déclare Davis. Nous essayons de créer les bonnes relations avec les bonnes personnes via la technologie. » Si cela fonctionne, peut-être que nos relations de travail seront toutes customisées pour convenir aux besoins des employeurs.

Une autre entreprise a cherché à commercialiser le principe de la physique sociale et a crée Humanyze, un badge connecté chargé de recueillir des données comportementales. « Le face-à-face est beaucoup plus prédictif que les données numériques », déclare Ben Waber, directeur de l'entreprise, au téléphone depuis Boston, où se trouve le siège de l'entreprise.

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Le badge de Humanyze, porté en lanière autour du cou, combine un capteur Bluetooth qui capte les personnes à proximité, un capteur infrarouge qui repère la personne qui se trouve en face de vous, un accéléromètre qui enregistre votre niveau d'activité, ainsi qu'un microphone qui effectue une analyse vocale. Le microphone n'enregistre pas les propos des gens, m'a précisé Waber, mais détermine plutôt le pourcentage de temps qu'ils passent à parler et analyse le volume et le ton de leur voix.

Rendre les gens satisfaits de leur boulot merdique permet aux employeurs d'éviter d'autres améliorations, comme une augmentation des salaires

En gros, les employés portent un panoptique sur la poitrine en permanence. Du point de vue de la vie privée, ces badges sont assez perturbants. Waber insiste tout de même sur le fait que Humanyze ne diffuse pas de données individuelles aux employeurs. Les employés disposent de leurs propres données sur un tableau de bord, ce qui leur permet de voir le pourcentage de temps exact qu'ils ont passé à interagir avec leurs collègues, ainsi que d'autres métriques intimes et déroutantes.

Le feedback que les entreprises reçoivent est global, et donc plus général : il montre la fréquence à laquelle les hommes parlent en réunion par rapport aux femmes, où à quelle fréquence les cadres dominent la conversation, par exemple.

Humanyze est surtout destiné aux changements systémiques, comme modifier l'agencement du bureau pour encourager la socialisation, ou ajuster les temps de pause afin que les gens puissent traîner ensemble.

La manipulation sociale permise par les données peut sembler invraisemblable, mais personne n'est plus sceptique que les sociétés qui doivent payer pour les programmes. « Nous devons être avantageux pour attirer leur attention, déclare Davis. Et nous le sommes ! » Tenacity le prouve avec des exemples d'entreprises qui ont vu une réduction de 10 à 25 pour cent de leur taux d'attrition et d'absentéisme, ainsi que des retours sur investissement grâce à l'augmentation de la productivité et autres avantages.

Enfin, rendre les gens satisfaits de leur boulot merdique permet aux employeurs d'éviter d'autres améliorations, comme une augmentation des salaires. « Afin d'attirer des employés, il faut proposer des salaires compétitifs, donc je ne pense pas que ça soit vrai, déclare Davis. Je pense que c'est un truc vraiment positif. Les gens qui l'utilisent affirment que leur vie est meilleure à présent. »

Peut-être que faute d'avoir ce que l'on souhaite, il faut se contenter de ce que l'on a, mais cela ne veut pas dire qu'on ne peut pas se faire d'amis.