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L’Estonie invente le concept de résidence numérique

Pour attirer les activités économiques, elle aurait pu se transformer en paradis fiscal. Pourtant, elle a trouvé une autre stratégie.

Taavi Kotka est le Directeur des systèmes d'information de l'Estonie. Son discours doit être replacé dans le contexte de son rôle au gouvernement estonien.

Au mois de mai, Manu Sporny est devenu le 10 000e « e-résident » de l'Estonie.

Sporny, fondateur et PDG d'une société de service de paiement américaine, n'a jamais mis les pieds en Estonie. Néanmoins, il a entendu parler du programme d'e-résidence lancé par le gouvernement estonien, et a décidé que baser son entreprise en Europe du nord serait une excellente idée.

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Les gens dans le cas de Sporny sont très nombreux, et ont motivé l'Estonie a créé un programme de résidence numérique en décembre 2014. Il permet à n'importe qui, n'importe où dans le monde, de faire la demande d'une identité numérique qui lui permettra : d'avoir accès au marché européen, d'ouvrir un compte en banque, de faire des transactions financières, d'utiliser un service de paiement international, de déclarer ses impôts, ou encore de signer des documents administratifs et autres contrats.

On pourrait appeler ce système « Pays en tant que service. »

Kotka. Image: Slush

Comme le secteur privé, le secteur public a la responsabilité de conserver ses citoyens et d'en attirer de nouveaux, ainsi que de nouvelles activités économiques. Plus il y a d'entreprises dans le pays, mieux c'est. La concurrence globale entre les États est rude, et il faut sans cesse inventer de nouveaux outils pour se maintenir dans la compétition.

En outre, les gros pays ont commencé à démanteler les modèles qui faisaient le succès des paradis fiscaux ; une entreprise ne peut pas, et ne doit pas, être en mesure de maintenir son activité en se reposant sur la fraude. Les petits pays, quant à eux, doivent trouver de nouvelles façons de prospérer.

L'Estonie possèdent 1,3 million d'habitants, vivant sous un climat qui n'est pas parmi les plus accueillants du monde, sur la même latitude que l'Alaska. Tant qu'à devoir supporter l'isolement et les tempêtes de neige, autant vivre dans les pays scandinaves voisins et profiter de leur protection sociale plus qu'appréciable. Justement, la population décroit régulièrement. Au premier abord on pourrait croire que l'Estonie n'a aucune chance de se mette sur les rails de la croissance ; pourtant, contre toute attente, elle a trouvé une solution à ce problème.

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L'Estonie possède une toute petite population par rapport à l'étendue de son territoire. Ce n'est pas une configuration idéale : impossible d'établir une banque ou un bureau gouvernemental dans chaque village. Après avoir pris son indépendance de l'URSS en 1991, les secteurs privé et public ont constaté qu'il fallait inventer une nouvelle forme de gouvernement. Ensemble, ils ont décidé de transformer l'Estonie en une nation basée sur le numérique, malgré les nombreux risques que présentait cette manœuvre.

25 ans plus tard, l'Estonie possède les infrastructures numériques parmi les plus avancées du monde. On peut y signer des documents administratifs grâce à des outils électroniques. Payer ses impôts se fait en quelques minutes. Elle a même développé le vote électronique, ce qui a encouragé les citoyens à participer à chaque élection.

« L'Estonie possède les infrastructures numériques parmi les plus avancées du monde. »

L'un des aspects essentiels d'une « société numérique, » est de pouvoir offrir la garantie d'une identité numérique parfaitement fiable et sécurisée. L'État et le secteur privé ont besoin de pouvoir authentifier de manière formelle qui accède aux services qu'ils proposent. De même, les utilisateurs souhaitent que leurs données personnelles soient parfaitement protégées.

Estonie a trouvé une solution à ce problème de sécurité. En 2002, elle a fourni à ses citoyens une carte d'identité électronique munie d'une puce qui leur permet de s'identifier, d'effectuer des transactions bancaires et de signer des documents. Rappelons que la signature électronique possède, légalement, la même valeur qu'une signature manuscrite depuis 1999 dans toute l'Union européenne.

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Avec ce nouveau système d'identité numérique, l'État pourrait non seulement intervenir dans des zones très peu peuplée, mais aussi faciliter la vie des Estoniens expatriés. Partout dans le monde, les Estoniens peuvent maintenir un lien avec leur pays d'origine par l'intermédiaire de services en ligne ; ils peuvent contribuer au processus législatif et participer aux élections. Une fois que le gouvernement a réalisé qu'il pouvait étendre ces services au monde entier, il semblait tout à fait logique de faire la même offre aux personnes sans résidence physique en Estonie. Soudain, l'Estonie avait acquis la valeur de « pays en tant que service, » et n'était plus seulement un territoire sur lequel on peut vivre.

What does "Country as a Service" mean?

Que signifie vraiment l'expression « Pays en tant que service » ?

Avec l'essor de l'Internet mondial, les travailleurs qualifiés et les entrepreneurs sont toujours plus nombreux à offrir leurs services à l'échelle globale, indépendamment de la localisation de leur entreprise. Une enquête menée par Intuit estime que ce nombre atteindra 40% aux États-Unis en 2020.

Ces entrepreneurs et travailleurs qualifiés cherchent la façon la plus simple de créer et maintenir un cadre juridique, une identité globale et des débouchés pour leur activité.

Ils se tournent donc vers d'autres pays que le leur, pas nécessairement dans le but de trouver un paradis fiscal, mais parce que la réglementation de leur pays n'est pas favorable au développement de leur entreprise.

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Ce qui compte pour eux, c'est que la création et la gestion de leur entreprise soit facile et se déroule sans accrocs. Ils souhaitent également rester honnêtes et pays des impôts dans leur pays de résidence.

C'est pour répondre à cette demande que l'Estonie propose un environnement économique et financier entièrement numérique, indépendant de l'emplacement de l'utilisateur, extrêmement facile à utiliser et peut contraignant d'un point de vue légal.

Quelles taxes paieront les e-résidents ?

L'un des principes de l'OCDE, de plus en plus populaire au sein des gouvernements, est le suivant : « les taxes doivent être payées sur le territoire où il y a eu création de valeur. » Un entrepreneur qui crée son entreprise en Estonie mais vit en France, aux États-Unis ou à Singapour doit donc payer ses taxes dans l'un de ces pays.

Dans ce cas, comment l'Estonie bénéficie-t-elle de l'activité économique en question ?

Plus les gens et les entreprises sont actifs dans le milieu des affaires en Estonie, plus les entreprises estoniennes trouvent de clients.

Lorsqu'un e-résident crée une entreprise, cela signifie que la société va probablement utiliser des services offerts par d'autres sociétés estoniennes (création d'un compte en banque, partenariat avec un fournisseur de services de paiement, aide d'experts-comptables, de consultants et d'avocats). Les entreprises estoniennes ont donc plus de clients, leur croissance est plus rapide, et cela a des retombées sur la croissance de l'Estonie d'une manière générale.

L'Estonie ne risque-t-elle pas de se retrouver avec plus de citoyens à l'extérieur de ses frontières que sur son propre territoire ?

Si. Et ce n'est pas un problème. Si les États ne parviennent pas à refondre le système bureaucratique dont ils sont actuellement tributaires, les pays qui offrent des services transnationaux seront avantagés.

L'Estonie a appris par l'expérience qu'il était important qu'un petit pays contribue à l'activité de petites entreprises, voire de microentreprises. Pour ce faire, nous devons automatiser et numériser les processus à notre échelle. Le modèle de l'Estonie permet d'adapter cette échelle à l'envi. Nous espérons accueillir prochainement 10 millions de résidents numériques au minimum, sans desservir les États-nations où ces personnes sont des résidents fiscaux.