Un neuroscientifique explique pourquoi on mate du porno

FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Un neuroscientifique explique pourquoi on mate du porno

Sans porno, la masturbation serait aussi triste que d'essayer de se chatouiller soi-même.

David J. Linden est professeur de neurosciences à l'université Johns Hopkins et l'auteur de Touch : The Science of Hand, Heart and Mind.

Après un long combat impliquant de nombreuses procédures médicales, mes enfants ont été conçus par fécondation in vitro. C'est ma femme qui a enduré presque toutes les épreuves liées à un tel processus, à savoir d'innombrables injections, examens et autres opérations. Ma propre contribution, négligeable en comparaison, a consisté à me masturber dans cet environnement peu sexy s'il en est qu'est le cabinet du médecin.

Publicité

Une infirmière patibulaire m'a tendu un petit flacon en plastique et m'a dirigé vers une pièce spécialement prévue à cet effet. À l'intérieur, outre des tableaux affreux représentant la mer et des meubles couverts de film plastique, j'ai trouvé une pile de magazines destinés à me venir en aide - Penthouse, Hustler et d'autres titres du même acabit. On était en 1996, avant que le porno n'envahisse Internet, et ceux dont les fantasmes étaient, disons, plus particuliers n'avaient qu'à se débrouiller avec leur imagination. Dans un tel contexte, il n'était pas évident de se mettre dans le bon mood, mais en vérité, les magazines m'ont bien aidé. J'ai accompli mon devoir en me tirant sur la nouille devant Penthouse, et j'ai rendu mon petit flacon tout chaud avec un sourire benêt.

Ces chiffres sont très certainement bien en-dessous de la vérité, mais un sondage récent a révélé que 66% des hommes et 41% des femmes regardaient du porno au moins une fois par mois. Une analyse des données qui transitent par les serveurs a montré que le porno représentait à peu près la moitié de l'ensemble du trafic d'Internet ; certains affirment qu'il s'agit d'un mythe, et que le chiffre est en réalité bien plus faible, aux alentours de 4%. La vérité se cache dans les profondeurs du trafic d'Internet et dans nos tabous les plus profonds, mais quoi qu'il en soit, personne ne peut contester l'incroyable popularité du porno.

Publicité

Pourquoi le porno a-t-il autant de succès ? Il y a plusieurs réponses à cette question simple en apparence. Si le porno est parfois utilisé comme préliminaire à un rapport sexuel (pour se mettre "dans l'ambiance"), l'immense majorité de la consommation de porno est liée, chez les femmes comme chez les hommes, à la masturbation. À vrai dire, beaucoup de gens ont du mal à atteindre l'orgasme en se masturbant sans regarder du porno.

Mais en quoi le porno nous aide-t-il ? Sur le plan psychologique, on peut dire que le porno facilite l'orgasme auto-induit en augmentant l'excitation sexuelle, en alimentant les fantasmes et en permettant au sujet onaniste de s'échapper de sa condition présente et solitaire. Ces réponses sont tout à fait correctes, mais je pense qu'elles sont aussi incomplètes et qu'elles passent à côté d'un aspect essentiel, sur le plan neurobiologique, de la masturbation.

Notre corps et notre esprit sont faits de telle manière que nous prêtons moins d'attention aux stimuli produits par notre propre mouvement qu'à ceux qui trouvent leur origine dans notre environnement extérieur. Par exemple, lorsque nous marchons dans la rue, nous ignorons presque totalement les sensations produites par le contact de nos vêtements sur notre peau. En revanche, si nous éprouvions des sensations similaires alors que nous étions immobile, elles attireraient immédiatement notre attention : qui (ou quoi) est en train de se frotter contre nous ? Ce n'est pas surprenant : les sensations qui viennent de notre environnement sont celles qui réclament le plus notre attention car elles sont susceptibles de constituer une menace ou de nécessiter une réponse de notre part.

Publicité

Notre corps et notre esprit sont faits de telle manière que nous prêtons moins d'attention aux stimuli produits par notre propre mouvement qu'à ceux qui trouvent leur origine dans notre environnement extérieur. Prenez par exemple les chatouilles.

Ce phénomène trouve son meilleur exemple dans le cas des chatouilles. La plupart des gens ne peuvent pas s'auto-chatouiller ; la sensation tactile produite par le fait de se chatouiller soi-même est bien plus faible que quand une autre personne vous chatouille. Sarah-Jayne Blakemore et ses collègues de l'Institut de neurologie de Londres ont réalisé des expériences dans lesquelles des cobayes étaient chatouillés ou invités à se chatouiller pendant qu'ils étaient soumis à une imagerie cérébrale.

Les chatouilles activaient des régions du cerveau chargées d'identifier la localisation précise ainsi que la qualité du toucher, ainsi que les zones du cerveau qui déterminent si le contact est censé susciter une émotion positive. Quand l'expérience a été renouvelée avec des chatouilles auto-administrées, ces régions ont été nettement moins actives.

Toutefois, au même moment, les chatouilles auto-infligées stimulaient fortement le cerebellum, une structure cérébrale qui reçoit à la fois les stimuli issus du toucher et des instructions provenant d'autres régions du cerveau qui produisent du mouvement - comme par exemple les signaux électriques qui parcourent les neurones pour contrôler les muscles de la main et du bras quand vous vous chatouillez. Le cerebellum s'active quand les instructions relatives au mouvement sont spécifiquement corrélées à une rétroaction sensorielle en provenance des capteurs tactiles situés sur la peau. Il envoie alors des signaux inhibiteurs aux régions du cerveau associées au toucher qui limitent leur activation et atténuent donc les sensations lorsque l'on se chatouille soi-même. Notre cerveau sait très bien quand notre propre main nous chatouille, et fait lui-même en sorte d'atténuer les sensations que cela produit.

Publicité

Les parallèles entre le fait de se chatouiller et la masturbation sont évidents. Dans les deux cas, le cerebellum fait en sorte de réduire l'activité neuronale dans les zones du cerveau associées aux dimensions sensorielles et émotionnelles du toucher. Pour intensifier ces signaux au cours de la masturbation, il est alors possible de laisser libre cours à son imagination ou, de façon plus efficace, de regarder du porno. Dans les deux cas, cela active d'autres zones du cerveau associées à d'autres sens, notamment la vision. Même si vous lisez simplement un récit érotique, sans images, les zones visuelles de votre cerveau seront stimulées du simple fait que vous créerez une image mentale de ce que vous êtes en train de lire.

(Notez bien qu'à ma connaissance, cette théorie n'a jamais été vraiment testée en laboratoire, et il y a peu de chances que cela devienne une priorité dans les prochains mois. Mais pour ce faire, il suffirait tout simplement que des hommes et des femmes se masturbent pendant qu'on leur administre un scanner cérébral, avec et sans porno. Reste un obstacle : il est difficile de se masturber sans faire bouger au moins un peu son cerveau).

Pour intensifier les sensations liées au toucher au cours de la masturbation, il est alors possible de laisser libre cours à son imagination ou, de façon plus efficace, de regarder du porno.

Le fait que nous soyons sensibles au contact entre les acteurs à l'écran comme s'ils touchaient notre propre peau est dû à l'insula, le principal centre cortical activé par les caresses, qui joue un rôle capital dans nos émotions. En plus des fibres nerveuses activées par les caresses, l'insula traite des flux d'informations visuelles. Étonnamment, le simple fait de regarder un film où quelqu'un reçoit des caresses sur le corps active notre insula comme si nous étions nous-même caressé. C'est ainsi que le porno contre l'action du cerebellum. Grâce au porno, les sensations produites par l'autostimulation deviennent nettement plus intenses et agréables, ce qui facilite l'orgasme.

Voilà, vous savez tout. Si le porno ne permettait pas d'atténuer l'action du cerebellum, qui atténue les sensations issues de nos propres mouvements, il ne nous serait pas aussi précieux pour nous masturber, et il ne jouerait pas un aussi grand rôle dans nos vies privées et dans notre culture. Bien joué, le porno.