Petit guide des inventeurs tués par leurs propres inventions

FYI.

This story is over 5 years old.

Tech

Petit guide des inventeurs tués par leurs propres inventions

Qu'ils aient bafoué les règles élémentaires de la logique et de la sécurité, ou simplement joué de malchance, rendons hommage à ces génies qui ont écrit "IRONIE" en lettres de feu dans le ciel de la science.
Genono
par Genono

Le destin peut être merveilleux ou cruel, hors-normes ou anodin, mais il peut aussi et surtout se foutre complètement de votre gueule. Jouer au loto avec les mêmes numéros chaque matin de sa vie, et oublier de le faire le jour où la combinaison exacte tombe ; apprendre qu'on a un cancer du poumon un an après avoir arrêté de fumer ; développer un vaccin révolutionnaire contre une maladie mortelle, et mourir d'un rhume mal soigné. Encore plus fort dans l'ironie : passer sa vie à développer une invention révolutionnaire, et se faire tuer par cette invention.

Publicité

Malgré l'incongruité de la situation, elle s'est répétée à de nombreuses reprises à travers l'Histoire : parfois de manière assez prévisible – tester soi-même un parachute sans passer par l'étape préalable du mannequin est une mauvaise idée -, d'autres fois suite à de purs coups du sort, absolument imprévisibles, même pour le plus prévoyant des scientifiques. Le fait que les inventeurs soient souvent fidèles à la caricature que l'on fait d'eux – tête en l'air et désinvoltes - tend également à précipiter certaines situations et à faire de simples petits accidents de véritables drames. Comme le Docteur Frankenstein tué par sa propre créature, de nombreux scientifiques, ingénieurs, ou simples esprits inventifs, ont fini étranglés, lacérés, explosés, découpés, amputés par leurs propres découvertes. Selon le taux de taquinerie de votre esprit, la liste ressemble à un excellent épisode de TNL Fail Compilation ou à une terrible et interminable torture psychologique sous forme de medley grandeur nature de Destination Finale.

L'un des cas les plus célèbres et les plus parlants est celui de Thomas Midgley Jr. Ingénieur américain spécialisé dans le monde de l'automobile et des carburants, il est notamment responsable de l'existence de deux des produits les plus désastreux pour l'environnement : le plomb tétraéthyle, qui représente à l'heure actuelle 90% de la concentration en plomb dans l'atmosphère ; et les chlorofluorocarbures, utilisés dans l'industrie du froid et des nettoyants industriels, fortement en cause dans la destruction de la couche d'ozone. Pour faire court : en croyant bien faire, Thomas nous a bien niqués. Certains vont même jusqu'à le considérer comme « l'homme le plus dangereux ayant jamais vécu » - même si un mec comme Charles Bronson pourrait légitimement lui contester ce titre. Comme un coup de revers du destin, sa mort est un chef d'œuvre d'absurdité. Atteint de poliomyélite – la fameuse polio - et de divers maux liés à ses ingestions volontaires de plomb – pour prouver qu'il n'était pas dangereux -, il finit partiellement paralysé et alité. Dernier sursaut de son esprit inventif, il inventa un système de harnais, de poulies et de câbles pour faciliter ses mouvements d'entrée et sortie du lit. De la même manière que ses travaux dans le domaine de la chimie pour améliorer le confort de l'humanité ont fini par détruire l'équilibre de la planète entière, les travaux de Thomas pour améliorer son confort de cinquantenaire grabataire causèrent sa propre perte : il s'étrangla involontairement avec les câbles.

Publicité

Difficile de faire destin plus tordu, me direz-vous. Et pourtant, il y a bien pire retour de karma : la plupart des inventeurs oeuvrent pour le bien des autres – même s'ils se foirent lamentablement la moitié du temps -, mais certains mettent leur ingéniosité au service du mal et de la destruction. C'est le cas de l'antique Li Si, Premier Ministre du Royaume de Qin, situé dans la moitié Est de la Chine actuelle. Li Si, habile politicien et dirigeant particulièrement sévère, institua notamment la « méthode des 5 douleurs », une manière terriblement atroce d'exécuter les condamnés. Dans le détail, et dans l'ordre des choses, il s'agit de marquer le prisonnier au fer rouge, avant de lui couper le nez, puis les pieds, et de l'éviscérer. Si la victime est encore en vie malgré cette dernière étape, la cinquième « punition » est la mise à mort, ce qui, étant donné l'état général du corps à ce moment de la peine, est probablement vécu comme un soulagement pour tout le monde. Pour justifier ce châtiment terrible, il écrivit ceci : « La seule règle intelligente est celle capable de faire appliquer de lourdes peines pour des infractions légères. Si l'on comprend que l'on sera puni lourdement pour un petit écart, on imagine ce qui sera fait en cas de crime important. De cette manière, les gens évitent d'enfreindre la loi ». L'idée est discutable, mais ce n'est évidemment pas la question ici : figurez-vous simplement que Li Si, après une trentaine d'années passées au sommet des institutions politiques de l'époque, a fini par se faire pincer pour haute trahison – une histoire complexe et pas forcément très intéressante ici. Evidemment, il fut condamné à « tester » la fameuse méthode des 5 douleurs, mais une torture n'allant jamais seule, on fit subir la même chose à son fils. Note pour tous les apprentis bourreaux : ne faites pas trop de zèle dans votre travail, la terrible – mais parfois juste - ironie du sort pourrait vous le faire regretter. Et si vous avez l'esprit inventif, contentez-vous de postuler chez Apple ou de monter votre propre start-up à la pointe de l'innovation. C'est beaucoup moins risqué… en général. Vous pouvez aussi être tué en chutant d'une bicyclette que vous venez d'inventer, comme William Nelson en 1903. En fait, à partir du moment où l'annotation « mort ironique » apparait en marge de votre destinée, rien ne pourra vous sauver.

Publicité

Et contrairement à ce que l'on peut imaginer, ces accidents de fin de parcours ne concernent pas que des petits inventeurs à l'esprit un peu loufoque : de grands scientifiques ayant marqué l'histoire à l'échelle de l'humanité ont péri dans des conditions aussi lamentables que William Nelson. Marie Curie est la seule chercheuse à avoir remporté deux prix Nobel dans deux domaines scientifiques différents, physique et chimie – un peu comme si Cristiano Ronaldo remportait un Ballon d'or au foot et un autre à la natation. Sans retracer son CV interminable, ses principaux travaux – réalisés conjointement avec son époux, Pierre - portent sur la radioactivité, et constituent de véritables révolutions scientifiques et même philosophiques, remettant en cause des théories antiques comme l'atomisme, même si son plus grand fait d'armes reste le refus de la Légion d'honneur. Assez logiquement, après deux décennies d'exposition sans filtre à la radioactivité, elle contracte une leucémie, qui débouche sur une sévère anémie, et finit par avoir raison d'elle. Marie Curie qui décède à cause de la radioactivité, c'est un peu comme si Einstein était mort à cause de la relativité générale, ou Steve Jobs tué par un iPhone. Alors évidemment, c'est moins spectaculaire qu'une five punishment fatality se concluant sur une éviscération publique, mais c'est une bonne manière de nous rappeler que la mort peut être vicieuse et dramatiquement invisible.

Une personne aussi raisonnable et sensée que Marie Curie aurait évidemment pris bien plus de précautions si elle s'était douté du potentiel létal de ses travaux. Ce n'est malheureusement pas le cas de tout le monde, et dans la plupart des cas d'inventeurs tués par leur propres inventions, les drames auraient pu être évités avec un simple mannequin (les fameux crash test dummies). Prenez le cas des ingénieurs en aéronautique, par exemple. Supposons que vous inventiez un petit système portatif vous permettant de planer, un peu comme la cape de Batman. Vous dessinez un patron, vous faites des plans millimétrés sur de grandes feuilles A3, des dizaines de tableurs Excel, un travail minutieux sur l'aérodynamique, vous brodez même un joli logo. Vous avez de quoi être fier. Mais jamais, ô grand jamais, vous n'irez tester votre invention sans minimiser les risques autant que possible : un cordon de sécurité, un parachute d'urgence, un jetpack, un trampoline, peu importe. C'est ce que la logique vous dicte. Malheureusement, les esprits inventifs ont souvent une logique différente de celle de reste de l'humanité.

Ismaïl Al-Jawhari est entré dans l'Histoire pour deux choses : premièrement, il est l'auteur, aux alentours de l'an 1000, de l'un des principaux dictionnaires d'arabe de l'ère médiévale, contenant plus de 40000 mots, et ayant servi de base à la plupart des dictionnaires d'arabe et des traductions au cours des siècles suivants ; deuxièmement, il est l'auteur d'une tentative foirée de planer au moyen de deux ailes en bois accrochées à ses bras et reliées par une corde. Dans le même ordre d'idées, le couturier Franz Reichelt se tue en sautant du premier étage de la Tour Eiffel avec un costume-parachute de sa conception, le 4 février 1912. Pas de pot pour lui, la tentative est filmée, et Franz devient le premier fail officiel de l'histoire. Il est cependant fort probable qu'il ait été au courant de l'inefficacité de son costume, car il avait rédigé, la veille du saut, son testament chez un notaire, et avait trompé les autorités de l'époque en assurant à la Préfecture de Police qu'il utiliserait uniquement des mannequins pour ses tests.

La liste des apprentis-Icare est longue, mais les loubards désireux de prendre leur envol se sont presque tous lamentablement crashés, que ce soit en aéro-montgolfière, comme Jean-François Pilâtre de Rozier, en avion comme Aurel Vlaicu, ou en deltaplane comme Otto Lilienthal, qui déclare quelques instants avant sa mort « des sacrifices doivent être faits », et même en voiture volante, comme Henry Smolinski. On ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs, certes, et si l'on peut aujourd'hui voler dans des charters low-cost aux sièges trop petits et aux toilettes payantes pour aller dépenser tout son argent en Thaïlande et ainsi nourrir l'industrie du tourisme sexuel, c'est aussi et surtout grâce à ces quelques ingénieurs un peu facétieux qui ont osé décoller leurs pieds du plancher des vaches pour permettre à l'humanité d'entrer dans la lumière. Gloire leur soit donc rendue ; et même à ceux qui n'ont contribué à rien, car au moins ils auront su nous faire rire l'espace d'un instant - et c'est déjà pas mal.