La guerre du cloud fait rage entre les géants américains

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La guerre du cloud fait rage entre les géants américains

Google, Microsoft et Amazon s’affrontent pour la suprématie sur le marché de l'informatique en nuage, en plein essor. L’importance croissante de l’IA sur ce marché pourrait permettre de rebattre les cartes.

Lors de sa conférence annuelle dédiée au cloud, qui s’est tenue à Las Vegas la semaine dernière, Amazon a annoncé le lancement d’une foule de nouveaux produits autour de l’intelligence artificielle. Ces derniers sont destinés à renforcer la plateforme d’informatique en nuage de l’entreprise, Amazon Web Services, afin d’affirmer sa suprématie face à ses concurrents directs, Microsoft et Google. Si Amazon est davantage connue pour son site de vente en ligne ou ses projets de livraisons par drones, son unité la plus profitable est aujourd’hui Amazon Web Services. Elle consiste à vendre la puissance informatique de ses serveurs à des entreprises tierces, et a ainsi généré 18 milliards de revenus en 2017. Le nuage rapporte, Amazon est loin d’être la seule à l’avoir compris : l’entreprise de Jeff Bezos livre une lutte au sommet avec Microsoft, Google, Oracle ou encore IBM pour la suprématie sur ce marché, qui, selon l’entreprise de prospective Forrester, pourrait atteindre 191 milliards de dollars en 2020.

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Commençons par un petit retour en arrière. Pour assurer l’expansion de leurs services à l’échelle internationale, les géants du Net ont construit de gigantesques infrastructures informatiques, dont des centres de données d’une ampleur et d’une efficacité sans pareil dans le monde. Petit à petit, ces entreprises ont réalisé qu’elles pouvaient tirer parti de cet avantage, et ont commencé à louer leur puissance informatique à des développeurs et des entreprises en quête de capacités de stockage et de puissance de calcul. Ainsi est née l’informatique en nuage, ou cloud computing, qui permet à n’importe qui à travers le monde d’accéder, en un clic, à une puissance informatique virtuellement illimitée.

Le marché bénéficie très largement aux deux parties. Les fournisseurs (Amazon, Microsoft ou encore Google) touchent ainsi une rente sur des infrastructures qu’ils avaient de toute manière déjà construites. Les entreprises clientes, elles, peuvent servir davantage de clients, à moindres frais, et de manière bien plus efficace que si elles avaient dû installer leurs propres serveurs. Elles n’ont en outre aucune activité de maintenance à effectuer : tout est géré par le fournisseur.

Un marché dominé par Amazon

Amazon est, pour l’heure, en position dominante sur ce marché. L’entreprise de Jeff Bezos s'est lancée avant tout le monde (en 2006, pour être précis). « Au départ, son service cloud était majoritairement utilisé par des développeurs et des start-ups, en quête d’une solution à bas coût pour tester leurs idées et mettre en ligne leur site avec peu de moyens. Mais au fur et à mesure, nombre de ces jeunes acteurs sont devenus grands, et ont continué à utiliser Amazon Web Services. » explique Noah Dennis, analyste chez le fonds en capital-risque Foresite Capital.

L’entreprise a ainsi au fil du temps fidélisé nombre de gros clients, dont Netflix, Airbnb, Anaplan ou encore Slack, et dégage aujourd’hui de juteux bénéfices. Avec cet argent, Amazon a pu construire des serveurs encore plus grands et plus puissants, et donc attirer davantage de gros poissons, etc. Grâce à ce cercle vertueux, Amazon est devenue un standard dans le domaine de l’information en nuage. « Amazon demeure, sans conteste, la plateforme favorite des développeurs », confie ainsi Ed Anderson, analyste chez Gartner, à Business Insider.

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À mesure que l’intelligence artificielle prend une place croissante dans l’économie, elle devient donc le nerf de la guerre du cloud.

Malgré l’avance que lui procure son statut de précurseur, Amazon est aujourd’hui talonnée par une autre grande entreprise américaine issue de la révolution numérique : Microsoft, dont le service Azure connaît une popularité croissante. Microsoft a généré 20 milliards de revenus grâce à ses services cloud en 2017, atteignant un ambitieux objectif fixé par le CEO, Satya Nadella, en 2015. Si le revenu généré par Microsoft dépasse celui d’Amazon, il inclut également les sommes récoltées grâce à la suite office, qui ne fait pas partie de sa plateforme cloud. C’est pourquoi les analystes placent Microsoft en seconde position derrière Amazon. Google complète le podium, avec sa plateforme Google Cloud, dont on ne connaît pas les revenus exacts, mais que les analystes considèrent unanimement comme le troisième acteur le plus sérieux sur le marché.

L’avènement de l’intelligence artificielle

Néanmoins, les progrès croissants de l’intelligence artificielle, et en particulier de l’apprentissage profond (Deep Learning, en anglais) pourraient bien rebattre les cartes. L’apprentissage profond est une sous-catégorie de l’apprentissage machine (lui-même une sous-catégorie de l’intelligence artificielle), qui permet aux ordinateurs de s’entraîner tout seuls à l’aide d’une vaste quantité de données. Il repose notamment sur les réseaux de neurones, algorithmes vaguement inspirés du fonctionnement du cerveau humain.

L’apprentissage profond est à l’origine de la plupart des progrès récents effectués par l’intelligence artificielle, notamment en matière de reconnaissance d’images et de textes. Il se trouve derrière les algorithmes capables d’identifier automatiquement les visages sur les photos Facebook, les logiciels de conduite des voitures autonomes, ou encore les prouesses du logiciel AlphaGo. Presque tous les secteurs de l’économie sont touchés par l’avènement de l’apprentissage profond.

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Mais cette technique requiert une puissance informatique colossale pour fonctionner. C’est là qu’intervient l’informatique en nuage. Grâce à lui, tous les petits acteurs peuvent employer l’apprentissage profond, à condition de souscrire au service d’une plus grande entreprise. À mesure que l’intelligence artificielle prend une place croissante dans l’économie, elle devient donc le nerf de la guerre du cloud. L’enjeu consiste désormais, pour les fournisseurs, à offrir les meilleurs outils pour les développeurs. D’après l’entreprise IDC, spécialisée dans l’analyse du marché des nouvelles technologies, les ventes de logiciels pour créer des applications autour de l’intelligence artificielle vont augmenter de 40% d’ici 2021. Et selon David Schubmehl, analyste chez IDC, cette croissance devrait être encore plus importante sur le nuage.

Google, l’ami des développeurs

Or, sur ce terrain-là, et malgré sa maîtrise de l’intelligence artificielle sur d’autres marchés (Amazon Alexa, entrepôts automatisés…), Amazon n’est pas vraiment en position de force. « Amazon est à la traîne en matière d’apprentissage machine sur le cloud », estime ainsi Pedro Domingos, chercheur en intelligence artificielle à l’université de Washington. Google, à l’inverse, possède plus d’une carte dans sa manche. Dès 2015, l’entreprise de Sundar Pichai a lancé TensorFlow, une plateforme d’apprentissage machine pour l’informatique en nuage. Offrant l’accès à des librairies en code source ouvert et à des outils pour construire des réseaux neuronaux, la plateforme a gagné une grande popularité auprès des développeurs, au point de devenir un argument massue en faveur de Google Cloud. En mai dernier, Google a en outre annoncé le lancement d’une nouvelle puce spécialement conçue pour alimenter de nouveaux usages autour de l’intelligence artificielle, à laquelle elle donne l‘accès via son service cloud.

Pour s’imposer, Google peut également compter sur l’expertise de DeepMind, jeune pousse londonienne qu’elle a racheté en 2014 au nez et à la barbe de Facebook, et qui s’est notamment rendue célèbre pour la création du logiciel AlphaGo. Citons encore l’ordinateur quantique, une technologie qui pourrait permettre de décupler considérablement la puissance des ordinateurs, et dans laquelle Google effectue de nombreuses recherches. Si l’efficacité de cette technologie reste à démontrer, elle pourrait transformer l’informatique, et donner à Google un avantage conséquent dans le cloud, en lui permettant de proposer une puissance informatique décuplée pour une somme modique.

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Google s’entoure également d’alliés puissants. L’entreprise de Sundar Pichai s’est ainsi associée à Cisco, entreprise informatique américaine, autour du projet « Goodzilla ». En vertu de ce dernier, Cisco profite du service d’informatique en nuage de Google tout en conservant certaines données sur ses propres serveurs. Ce système, que l’on désigne sous le nom de « cloud hybride », séduit un nombre croissant de grandes entreprises, désireuses de profiter des ressources informatiques permises par l’informatique en nuage tout en gardant la main sur leurs informations les plus sensibles. Cisco représente un gros poisson pour Google, qui compte bien moins de grandes entreprises dans son portfolio que ses rivaux, Amazon et Microsoft. Sa stratégie centrée sur l’intelligence artificielle lui a cependant permis de séduire plusieurs clients de premier plan, dont Coca-Cola, Nintendo, Snapchat, Marketo ou encore Spotify.

« Nous voyons notre expertise en apprentissage machine et dans l’intelligence artificielle comme un moyen de différencier notre plateforme cloud », confiait Sundar Pichai, le CEO de Google, dans un entretien accordé au magazine américain Wired en mai dernier. « Je pense que cela aidera à mettre notre plateforme en avant ». Google semble à vrai dire tellement bien placé pour remporter la course que les deux leaders rivaux, Amazon et Microsoft, ont mis leurs dissensions de côté et se sont alliés pour développer ensemble des modèles d’apprentissage profond à destination des développeurs, mis à leur disposition sur le cloud.

À l’est, du nouveau

Amazon met également les bouchées doubles en interne pour rattraper son retard dans l’intelligence artificielle. Lors de sa conférence à Las Vegas, elle a ainsi présenté le service SageMaker, qui vise à permettre aux développeurs de construire, entraîner et déployer des modèles d’apprentissage machine. SageMaker rassemble 22 outils différents, dont Amazon Transcribe, qui convertit instantanément des fichiers audios en texte ; Amazon Comprehend, capable d’identifier des sentiments positifs ou négatifs dans un texte, ainsi que certaines personnes et lieux ; Amazon Translate, pour traduire un texte d’un langage dans un autre ; ou encore Amazon Rekognition, qui reconnaît des éléments sur une vidéo. Récemment, l’entreprise a également annoncé le lancement d’Ironman, un service qui permet aux entreprises utilisant le cloud d’Amazon de collecter automatiquement des données depuis plusieurs sources différentes, de les rassembler et de les analyser à l’aide de l’intelligence artificielle.

L’avenir dira si l’expertise de Google lui permettra de rattraper Microsoft et Amazon sur le marché du cloud, ou si les deux leaders conserveront leurs positions respectives. Plusieurs acteurs de plus petite taille pourraient également venir jouer les troubles fêtes. C’est le cas du chinois Alibaba. Ce géant du commerce en ligne est souvent considéré comme l’équivalent d’Amazon dans l’empire du Milieu. Tout comme son cousin américain, il s’est lancé relativement tôt (en 2009) sur le cloud. Il est aujourd’hui leader sur le marché chinois, mais ne s’est ouvert que très récemment à l’international, avec un premier service en langue anglaise mis en place l’an passé. D’après une récente étude du cabinet de recherche Gartner, Alibaba a toutefois les capacités pour devenir un acteur de premier plan à l’échelle mondiale. Selon Gartner, l’efficacité du service proposé par le géant chinois pourrait lui permettre de prendre la quatrième place, derrière Google, mais devant Oracle et IBM.

IBM, justement, pourrait profiter de la vague de l’intelligence artificielle pour se remettre en piste, en capitalisant sur son superordinateur, IBM Watson, célèbre pour avoir remporté le jeu télévisé américain Jeopardy! en 2011. D’autres acteurs de plus petite taille, comme DigitalOcean, tentent de se faire une place en jouant la carte de la spécialisation : la start-up cible ainsi particulièrement les développeurs individuels. Enfin, n’oublions pas le Français OVH, qui séduit nombre d’entreprises européennes, parfois réticentes à confier leurs données à des entreprises américaines. Rappelons qu’en vertu du Patriot Act, loi antiterroriste instituée par l’administration Bush en 2011, les services secrets américains peuvent facilement accéder aux données d’une de leurs entreprises dans le cadre d’une enquête. Bref, la guerre du cloud ne fait que commencer.