et si « sabrina, l’apprentie sorcière » était la meilleure série des années 90 ?
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et si « sabrina, l’apprentie sorcière » était la meilleure série des années 90 ?

Du féminisme, un humour très culinaire et un chat bi-curieux doté de parole... On souhaite bonne chance au reboot pour surpasser tout ça.

En octobre prochain, pour Halloween, Netflix nous fera le cadeau de la série Chilling Adventures of Sabrina, reboot de Sabrina l’apprentie sorcière, qui racontait le quotidien d’une ado moitié sorcière, moitié mortelle, partagée entre ses obligations lycéennes et son combat contre les forces du mal désireuses de conquérir le monde. La nouvelle version, paraît-il, s’annonce plus sombre et plus dérangeante que la légendaire sitcom des années 1990. Et même si l’horreur en tant que genre est sujette à un regain d’intérêt ces derniers temps, et qu’il est facile de faire passer une sitcom pour un divertissement creux en comparaison, la série originale était bien plus qu’un plaisir coupable et idiot. Cette série était importante. Une perle féministe, parcourue de thèmes LGBTQ, qui a appris à toute une génération d’ados et de pré-ados qu’être différent n’était pas un problème – c’était même un avantage.

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Sabrina, l’apprentie sorcière avait plusieurs formes. Pas seulement quand son personnage principal se transformait en chat ou utilisait la magie pour se gonfler les muscles jusqu’à ressembler à un candidat de Love Island sous stéroïdes. Sabrina est d’abord née dans les pages d’Archie Comics en 1960, dans la peau d’une ado sorcière vivant avec ses deux tantes et Salem, un chat noir parlant. Puis est arrivée la série animée, entre 1970 et 1974, Sabrina the Teenage Witch, ou Sabrina and the Groovie Goolies. Et enfin la sitcom des années 1990 avec Melissa Joan Hart, qui a galvanisé les cœurs et cerveaux d’une masse de jeunes sorcières et sorciers en herbe dans le monde entier. De là ont émergé une série de jeux d’ordinateur, quelques films et un magazine, bien sûr accompagné d’un « range revues » où les compiler pour assouvir nos obsessions adolescentes et, pour les lecteurs les plus acharnés, nourrir la genèse d’une carrière dans les médias.

En 2014, la version comic s’est vue affublée d’un spin-off appelé Chilling Adventures of Sabrina. Et aujourd’hui, ce spin-off passe à la moulinette Netflix, avec Kiernan Shipka (la géniale fille de Don Draper dans Mad Men) au casting. Oubliez les scènes burlesques de la sitcom, comme quand Sabrina se retrouvait coincée dans des sables mouvants, encerclée par le feu et les serpents : cette nouvelle version a été décrite comme étant plus proche dans le ton de Rosemary’s Baby ou de L’Exorciste. Elle a aussi réussi à obtenir la date de sortie, pré-Halloween, très convoitée et réservée l’an dernier à la saison 2 de Stranger Things, un show dont le buzz a créé un rayon entier de Topshop, un jeu de cartes Eggo, un Monopoly à thème, une planche ouija et un mode Spotify « immersif » qui change de couleur et vous dit quel personnage vous êtes en fonction de vos écoutes.

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Heureusement, il n’existe pas encore de mode « Sabrina Spotify », mais il existe autour du reboot une hype déjà monumentale. Ce qui fait sens : déjà parce que la série est écrite par le créateur d’un autre titre d’Archie Comics devenu série à succès, Riverdale. Et aussi parce que la dernière fois que Sabrina a été une série télé, c’était l’une des meilleures de son époque. La série originale a commencé en 1996, écrite et créée par Nell Scovell, une femme qui mettait un point d’honneur à promouvoir la diversité au sein de son équipe de scénaristes – et par extension à l’écran. Elle a été la seconde femme à écrire pour le Late Night with David Letterman, mais a quitté le poste au bout d’un an, atterrée mais malheureusement peu surprise par les inégalités présentes au sein de l’équipe d’écriture. Une expérience qu’elle racontait plus tard dans les détails les plus tristes à Vanity Fair. « Le problème, écrivait-elle dans ses mémoires plus récentes, c’est que j’étais la seule à vouloir parler du genre en salle d’écriture. »

“La série prouvait qu'un foyer entièrement tenu par des femmes pouvait être à la fois fort et merveilleux.”

Cet intérêt impérieux pour les perspectives féminines authentiques, dans tout ce qu’elles peuvent avoir d’étrange ou de cru, est profondément intégré dans Sabrina. « Avec Sabrina j'ai voulu créer la série que j’aurais aimé voir quand j’étais encore une petite fille bizarre, qui allait finir par écrire pour Letterman et Spy et Les Simpson, expliquait Nell au Guardian. C’était important pour elle d’être une bonne amie, de faire les bons choix et de réussir à l’école. La magie était une métaphore de cette période où une jeune fille apprend à contrôler ses désirs et ses émotions, et une excuse pour porter à l’écran un flan de deux mètres de hauteur. » Dans l’épisode en question, Sabrina est moquée par son ennemie jurée, Libby, parce qu’elle a un énorme bouton sur le front. Pour se venger, Sabrina la transforme en chèvre. Mais le scénario typique de la vengeance n’est pas suivi à la lettre : Sabrina se retrouve enfermée dans un miroir par le joueur de baseball Brady Anderson, qui ne la laisse pas sortir tant qu’elle n’a pas fait amende honorable et reconnu ses torts à elle. Elle finit par célébrer sa leçon de vie en offrant à manger à ses camarades de classe un flan géant. Du Sabrina tout craché : une morale salvatrice ponctuée de séquences vraiment barrées.

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Pour Camilla O’Connell, fan depuis la fin des années 1990, c’est le nombre de personnages principaux et féminins – une rareté à l’époque – qui l’a attiré. « La plupart des personnages importants sont des filles, et elles ne font pas que parler de mecs, explique-t-elle. Sabrina était travailleuse et très ambitieuse, ça faisait du bien à voir. » Les mêmes qualités s’appliquent à tante Hilda et Tante Zelda, qui s’occupaient de Sabrina : « Les deux étaient aussi très ambitieuses, elles allaient au bout de leurs idées. De super modèles à suivre. » Kelsey Parker, une autre fan de longue date à qui il arrive de porter des robes inspirées de la série, va dans le même sens. « Elles auraient facilement pu être représentées comme des vieilles peaux, ressassant leurs regrets de jeunesse et s’en prenant à Sabrina pour compenser. Mais non, elles étaient de sages sorcières, pleines d’altruisme, apprenant ce qu’elles savaient à la génération suivante. Elles prouvaient qu’un foyer entièrement tenu par des femmes pouvait être à la fois fort et merveilleux. »

La série savait aussi très bien renverser les stéréotypes. Dans un épisode, après avoir été raillée par la populaire Libby (encore) parce qu’elle a rejoint le club de science de l’école, Sabrina transforme Libby en « geek » pour qu’elle comprenne ce que c’est que d’être pris à parti quotidiennement. Mais Libby fait de ses nouveaux amis le groupe le plus détesté de l’école, de la même manière qu’elle avait auparavant rallié à sa cause les pom-pom girls. En gros : peu importe que tu sois une pom-pom girl modèle ou un génie des algorithmes, si tu es une peste, tu resteras une peste. Et vice versa. Dans un autre épisode, The Crucible, après la fameuse pièce d’Arthur Miller sur le procès des sorcières de Salem, Sabrina est jugée parce qu’elle est une sorcière dans une reconstitution historique des évènements. Quand Harvey – le crush de Sabrina – essaye de convaincre tout le monde qu’elle n’est pas une sorcière, parce qu’elle n’a pas de boutons sur le visage, de nez énorme ni de tendance à fondre quand on l’asperge d’eau, elle rétorque : « Ce que tu viens de décrire est un stéréotype. Comment tu sais que les sorcières sont laides – tu en as déjà rencontré une ? » Avant d’ajouter : « Oui, les sorcières sont différentes des mortels – mais la différence n’est pas une mauvaise chose. Il y a peut-être des sorcières parmi nous aujourd’hui, mais tu es tellement fermé qu’elles n’oseront jamais avouer qui elles sont. »

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"La télé aujourd'hui a perdu de sa légèreté, et c'est dommage. Les années 1990 sont bel et bien finies.”

Théorie alternative : Sabrina était une métaphore de l’homosexualité dans les années 1990. Comme beaucoup de personnes l’ont souligné : elle était une jeune lycéenne porteuse d’un secret qu’elle souhaitait cacher au mode, de peur d’être couverte de honte. Elle tentait de comprendre comment être à l’aise avec sa vraie identité grâce au soutien de deux tutrices du même sexe, ayant vécu les mêmes questionnements. Elle devait littéralement passer par un placard pour rejoindre « l’autre royaume », où elle pouvait être elle-même. « Il a fallu que je sois adulte pour commencer à saisir le sous-texte queer de Sabrina, raconte Anthony Alonzo Gooch, fan de 26 ans. Quand je re-regarde la série aujourd’hui, je vois Harvey Kinkle et son pote Brad, beau gosse chasseur de sorcières, deux mecs impertinents qui vivent ensemble ; un chat qui joue sur les archétypes queer qu’on peut retrouver dans les personnages de Disney (Scar, Jafar, Ursula) ; et une adolescente en pleine découverte d’elle-même. »

Que vous l’ayez remarqué ou non, la série comporte une myriade de références aux problématiques et à la culture queer. Quand le meilleur ami d’Harvey, Brad, revient en ville, il passe plus de temps avec lui qu’avec Sabrina. D’ailleurs, Brad ne supporte pas Sabrina. Plus tard, on comprend que la rancœur de Brad à l’égard de Sabrina est « techniquement » due à son gène de chasseur de sorcières. Et pas du tout, par exemple, à la jalousie que la relation amoureuse entre Sabrina et Harvey lui provoque. Mais ça n’a pas empêché quelques fans de spéculer.

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Il y a aussi cet épisode où Ru Paul (avant Drag Race) joue un coiffeur drag qui s’occupe de la coupe de Sabrina avant de lui révéler qu’il fait partie du Conseil des Sorcières. Et évidemment, il y a Salem – un homme de 500 ans condamné à vivre 100 ans dans la peau d’un chat pour avoir tenté de conquérir le monde. Un chat bi-curieux fameux pour ses punchlines bien senties et à deux doigts de l’icône gay.

Mais malgré toute son intelligence, ses morales salvatrices et ses flans surdimensionnés, la série n’était pas parfaite. Elle était déjà très blanche, et certaines storylines posaient problème. Et même si Sabrina est souvent présentée comme une allégorie de l’homosexualité, en termes de réelle diversité d’orientation sexuelle, il n’y avait pas grand-chose à manger. « Je connais beaucoup de gens – dont moi – qui auraient adoré que Hilda et Zelda ne soient pas présentées comme des sœurs mais comme des épouses, affirme Kelsey. Pourquoi ne pas faire de deux femmes qui s’aiment et vivent ensemble un couple lesbien très fort ? On veut de la représentation ! »

Peut-être que la nouvelle version de Netflix reviendra sur certains de ces problèmes. Après tout, un acteur de couleur a déjà été casté pour jouer un démoniste pansexuel (mais un seul acteur ne suffit pas à la diversité). Il sera par contre peut-être plus compliqué de conserver la magie de la série originale. Son charme résidait en un savant équilibre entre finesse et bizarrerie, gags et messages intelligents. Une manière d’aborder des sujets sérieux de manière très accessible. Cette version s’annonce déjà plus sombre, plus sérieuse. Une recette qui a déjà prouvé son succès chez les ados avec Riverdale, The Vampire Diaries, Pretty Little Liars et consort. Comme l’indique Camilla : « Je ne pense pas que le message sera le même. La télé aujourd’hui n’est plus aussi légère, ce qui est dommage. Les années 1990 sont bel et bien finies. » Transformer Sabrina en drama c’est prendre le risque d’arracher le personnage des mains des outsiders, des marginaux qui ont appris avec l’aide de la série à rire de leur situation, à s’accepter. Pour ne citer que l’inénarrable Salem : « Quelqu’un va finir en larmes. Sûrement moi. »

Cet article a été initialement publié dans i-D UK.