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Gauche vénère

Avec les baroudeurs du Black bloc

Un jour à Notre-Dame-des-Landes, le lendemain sur une ZAD allemande, le surlendemain dans une fac occupée… Mais comment font-ils pour être sur tous les fronts à la fois ?
Photo : Thomas Samson / AFP, Paris, Mai 2018.

Baptisée la « marée populaire », la grande manifestation de ce samedi 26 mars a, aussi, un autre nom : #26maipimenté. C’est ainsi que l’ont surnommé les militants les plus radicaux. Repris par des groupes comme l’action AntiFAsciste Paris-Banlieue, l’appel #26maipimenté circule sur Twitter d’un compte anonyme à l’autre et invective les militants radicaux des pays voisins à les rejoindre.

Valentin, étudiant belge de 22 ans, répondra à l’appel. Avec son anorak noir, son sac Quechua, son masque à gaz et ses lunettes de plongée, il rejoindra Paris pour « tout casser ». Ce sera la fin de la « pause » qu’il s’est octroyée depuis le 1 er mai. Il faut dire que ce mois d’avril a été bien chargé. Lors des évacuations de la ZAD de Notre-Dame des Landes, Valentin a vécu une semaine d’affrontements avec les gendarmes avant de rejoindre Bruxelles, pour soutenir l’occupation du campus de l’Université Libre de Belgique. S’il a raté le cortège de tête de la manif parisienne des cheminots grévistes du 19 à cause de galères d’auto-stop, il a pu se rattraper le lendemain, lors l’expulsion des étudiants de Tolbiac. Repassé un temps par chez lui, il est vite reparti sur le bocage nantais. Et a terminé, c’était sur son chemin, par le McDo d’Austerlitz, le 1 er mai. Bref, Valentin est sur les tous les fronts de la lutte anticapitaliste. La Belgique, où il vit en squat, manque trop de culture insurrectionnelle et émeutière à son goût. « Des périodes aussi intenses, il n’y a que trois ou quatre par an », raconte-t-il, comme s’il cherchait à nous rassurer. Le reste du temps, il parcourt la planète au gré des mobilisations : COP19 à Varsovie en 2013 (son baptême du feu), manifestations contre l’inauguration de la BCE à Francfort en 2015, Contre-sommet du G20 à Hambourg en 2017 – sans compter le tour d’Europe des ZAD, du Val de Suse italien à la forêt d’Hambach, en Allemagne…

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Valentin est loin d’être un cas isolé. « Beaucoup de gens bougent d’un front de lutte à l’autre », explique-t-il. Comment font-ils pour êtres mobiles malgré de faibles revenus, pour trouver l’équilibre entre vie étudiante et militantisme radical chronophage, et pour éviter de tomber dans les mailles du filet policier ? Le plus souvent, pour remplir son agenda, le nomade de la lutte n’a qu’à ouvrir un site d’info militante. Voire même sa timeline Facebook, tant les appels à manifester et à soutien sont publics. En ce moment, entre les manifs de fonctionnaires et les facs occupées, nul besoin d’être inscrit sur un fil what’s app militant pour savoir ou aller !

« À Notre-Dame-des-Landes, on comptait sur les messages Signal envoyés par les copains cachés dans les arbres » - Louise, 20 ans.

Louise, la vingtaine, ne participe ni aux black-blocs, ni aux missions de sauvetage des ZAD. Et pourtant, elle en connaît un rayon. Elle partage son foyer - dont elle préfère taire la localité - avec une quinzaine de militants. Chacun d’eux « bouge » en moyenne une fois tous les deux mois, sur différents terrains de luttes. Par exemple, quand le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été abandonné, tous ont commencé par suivre les informations sur leur téléphone. Mais pour les vraies infos utiles – le type d’équipement utilisé par les forces de l’ordre, par exemple - c’est autre chose : « là, on comptait sur les messages Signal envoyés en direct par les copains cachés dans les arbres ». Quand un besoin spécifique est identifié par l’un des cohabitants ou qu’il ne tient plus en place, il est temps de prévenir les autres et de s’organiser. Qui va chercher la voiture ? Quand est-ce qu’on part ? Qu’est-ce qu’on emporte ? La conversation s’amorce. Mais toujours pas gestes – en raison, nous dit-on, des micros cachés dans les smartphones.

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Le phénomène n’est pas nouveau. Déjà au XIXème, des Italiens et des Polonais sont venus prêter main-forte aux communards parisiens. Les étudiants frondeurs de mai 68 et du boulevard Saint-Michel ont ensuite rejoint en 73 la marche des 100 000 à Besançon en faveur des LIP ou donné la patte au Larzac, lors des affrontements dans les années 70. On observe pourtant une bascule dans les années 90, explique le chercheur Paolo Stuppia, qui a contribué au livre La violence des marges politiques des années 1980 à nos jours, sous la direction de Nicolas Lebourg et Isabelle Sommier, (éditions Riveneuve) : « La mobilité des militants radicaux s’est accrue. En Europe, il y a moins de frontières. La nouveauté, qui n’existait pas en 68 notamment, c’est le phénomène de réseau. C’est-à-dire que l’info circule désormais de proche en proche, sans qu’elle n’ai besoin de passer par le chef ».

« Je ne me déplace pas pour mener des actions non-violentes. Ça, les autres peuvent le faire. Alors que pour aller à l’affrontement, on est moins nombreux », Simon, 23 ans.

Concrètement, si beaucoup de militants sont sédentaires, « ceux qui bougent, le font vraiment beaucoup », assure Simon, 23 ans, qui virevolte d’un front à l’autre plusieurs fois par an. Le jeune homme choisi très précisément ses combats : « je ne me déplace pas pour mener des actions non-violentes. Ça, les autres peuvent le faire aussi. Alors que pour aller à l’affrontement, on est moins nombreux… ». Bure, Notre-Dame-des-Landes, Hambach, Simon est sur tous les gros coups. Récemment, il est même allé jusqu’en Finlande, aider des potes militants à monter un camp contre une centrale nucléaire. Ils s’étaient rencontrés trois ans plus tôt, sur un autre camp militant dont il préfère taire la localisation : « le vécu en commun, ça crée uun rapport de confiance ». Surtout sur une barricade. Alors, quand ils ont eu besoin de son aide à leur tour, c’était un juste retour des choses.

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Bien sûr, tous les terrains d’opération ne sont pas sur un pied d’égalité. Celles du contre-sommet du G20 d’Hambourg, par exemple, sont parfaitement huilées. À chaque quartier, son grand squat - probablement aussi connu des militants que des forces de l’ordre - avec son « point info » dans le lobby pour se renseigner sur les places dispos dans les dortoirs des squats ou chez les locaux partenaires, les adresses de cantines militantes à prix libres, et bien sûr les rendez-vous de manif. Pour les mobilisations plus modestes, il faut se débrouiller. Certaines font des efforts pour soigner pour les renforts, mais ce n’est pas une science exacte. À l’automne 2016, Simon a ainsi rejoint la « jungle » de Calais pour aider les militants No Border à tenter d’empêcher le démantèlement du campement. Certains activistes altermondialistes avaient laissé leurs numéros sur les tracts en ligne pour fournir l’hébergement. Mais « j’avais dû faire une connerie, ou m’y prendre trop tard parce que, ça n’a pas fonctionné », raconte-t-il. Du coup, il a finalement passé la nuit « dans une cabane, avec des migrants rencontrés dix minutes plus tôt ». Dans l’ensemble, les militants en vadrouille qui répondent aux appels de leurs réseaux finissent le plus souvent par trouver le gîte et le couvert. Quitte à passer un peu de temps chaque jour à biper l’intégralité de leurs répertoires téléphoniques.

Dans le militantisme vénère, internet a aussi ses vertus. Il a ainsi permis la création de Bure Carbure, un site de petites annonces de covoiturage initialement dédié aux arrivées et départs de la ZAD éponyme. Ou bien coivoit-nddl-idf se voulait encore plus pointu. Des groupes Facebook fonctionnent sur le même principe ; certains proposent d’effectuer le trajet en « Coupat-Cabriolet ». Pour les grosses mobilisations comme les expulsions de ZAD ou le G20, des inconnus rencontrés sur Facebook se réunissent pour louer des bus. À NDDL, les groupes de copains qui partent en voiture peuvent écouter en 3G les points infos-traFlics de radio Klaxon, qui précisent en direct comment éviter les barrages policiers, tous feux éteints dans le bocage nantais.

« Il y a des bandes de copains qui prennent 5 jours pour aller au Mondial de foot. Moi, je prends 5 jours pour aller troller le G20 à Hambourg » - Léon, 21 ans

Quand le covoiturage n’est pas disponible, ceux qui n’ont pas les moyens d’emprunter la voiture d’un copain ni de partager les frais d’essence se tournent vers le stop. « Ce n’est pas qu’une question de fric. Ça permet de rencontrer du monde. Et, aussi, d’éviter de donner de l’argent à des capitalistes », souffle un militant. C’est en tout cas nettement plus incertain. Et se pose alors la question du matos emporté avec soit. Simon ne s’en cache pas : après un événement, quand l’adrénaline est retombée, se balader seul avec un gros sac de rando qui contient le petit sac Quechua, l’anorak noir et le masque à gaz de chantier, est facteur de stress. « Je préfère tout balancer à chaque fois, en me disant que j’en piquerais d’autres. Surtout à l’étranger quand j’essaye de quitter une zone dans laquelle s’est déroulé un énorme black-bloc la veille ». Évidemment, certains militants tiennent à leurs trophées, comme un imposant masque à gaz de gendarme mobile tombé dans une ornière lors d’une charge et récupéré dans la foulée.

À écouter certains témoignages, toutes ces contraintes et ces efforts, seraient exténuants. « Ce n’est pas si chiant que ça en a l’air. Il faut sortir de l’idée que c’est un sacrifice. Moi, je m’éclate ! », réagit Léon, 21 ans et également un long pédigrée de lutte radicale violente derrière lui. Pour savoir si ses choix de lutte valent le coup ou non, il a développé sa boussole perso. 50 % politique, 50 % plaisir, le parfait équilibre à ses yeux. Car, oui, il est bien question de plaisir : « Il y a des bandes de copains qui prennent 5 jours pour aller au Mondial de foot en Russie. Moi, je prends 5 jours pour aller troller le G20 à Hambourg ».