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Crime

L'histoire de l’homme qui terrorisait New York en posant des bombes un peu partout

Dans les années 1940 et 1950, les délires d'un immigré lituanien schizophrène paranoïde​ ont forcé la police à contacter un psychiatre, auteur de l'un des premiers « profils criminels » de l'histoire.
Des policiers new-yorkais examinent des débris après l'exposition d'une bombe au Grand Central Terminal

Des décennies avant que les attaques du 11 septembre 2001 ne fassent entrer dans notre vocabulaire l'expression « terrorisme islamiste », un homme s'amusait à placer des bombes un peu partout dans New York. Pendant plus de 16 ans, le terroriste connu sous le nom de « FP » a déposé des explosifs dans les rues de la ville, dans des cabines téléphoniques, dans des poubelles et même dans des cinémas. Il n'a jamais tué qui que ce soit mais a fait sombrer toute une ville dans l'hystérie collective, si bien que la police a fait appel à un psychiatre qui estimait être capable de comprendre la façon de penser des criminels. Le docteur James Brussel a étudié attentivement les lettres et indices laissés par le terroriste afin d'établir l'un des premiers « profils criminels » de l'histoire – une technique quotidiennement employée aujourd'hui.

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Le profilage est au cœur des enquêtes contemporaines. Son objectif est d'identifier différents traits de caractère d'un individu recherché afin que la police puisse limiter le nombre de suspects. Dans le cas des bombes de New York, le Dr Brussel était persuadé d'être sur la piste d'un immigré pour qui le rêve américain ne s'était pas déroulé comme prévu. Il faut bien avoir en tête que la démarche du psychiatre n'avait pas grand-chose de scientifique, et avait plus à voir avec les intuitions de Sherlock Holmes.

Dans son nouveau livre, Incendiary: The Psychiatrist, the Mad Bomber and the Invention of Criminal Profiling, le journaliste Michael Cannell tente de comprendre comment cet épisode a modifié le déroulement des enquêtes aux États-Unis. Si le profilage nous paraît désormais banal, c'est sans doute parce que nous le voyons à la télévision – tandis que les policiers de l'époque accueillaient cela avec beaucoup de scepticisme. Je me suis entretenu avec Michael Cannell pour en savoir plus.

VICE : Bonjour Michael. Ce qui m'a fasciné dans cette histoire, c'est qu'il m'est difficile d'imaginer une enquête policière sans profil criminel – c'est vraiment quelque chose d'évident aujourd'hui.
Michael Cannell : Le profilage est très présent aujourd'hui, c'est vrai. Il est impossible d'allumer la télévision sans tomber sur une série policière – genre Les Experts – où toute l'intrigue est centrée sur la psychologie du criminel. Pour je ne sais quelle raison, cette méthode captive les gens. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'elle remonte aux années 1950, alors que la police de New York essayait d'attraper un type qui posait des bombes un peu partout depuis près de 16 ans. Désespérés, les enquêteurs ont fini par contacter le docteur Brussel.

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Ce dernier leur a donné ce qu'on appelle aujourd'hui un profil criminel, qui pour l'époque était incroyablement précis. La police n'avait au départ aucune intention de demander de l'aide à ce psychiatre, mais après avoir eu vent de son travail, elle a changé d'avis. Le docteur Brussel a également aidé à résoudre l'affaire de « L'étrangleur de Boston ». Après cela, le FBI est venu lui demander s'il accepterait de partager ses travaux, ce qu'il a fait.

Pourquoi y avait-il autant de scepticisme dans les rangs de la police ?
Les années 1950 correspondent au triomphe de la science en Amérique. Le vaccin contre la polio venait d'être découvert. La conquête spatiale débutait. Mais le seul domaine qui ne voulait pas adopter des techniques scientifiques, c'était la police. Les policiers aiment bien bosser à l'ancienne. Ils n'ont pas particulièrement confiance en quelqu'un qui se pointe dans leur bureau avec un diplôme et une blouse blanche. Ils préfèrent bosser dans leur coin.

Le commissaire Lewis Joseph Valentine répétait sans cesse qu'un suspect devait toujours avoir les cheveux décoiffés –  c'était une façon de dire qu'il fallait forcément bousculer des types pour régler une enquête. Lorsque les enquêteurs sont allés trouver le docteur Brussel en 1956, ils n'imaginaient pas un seul instant que celui-ci pouvait vraiment les aider. Ils ne comprenaient rien à ce qu'il leur disait : il utilisait son jargon.

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Les médias de l'époque parlaient-ils de ce poseur de bombes comme d'un terroriste ?
Je ne me souviens pas avoir lu cette expression dans les journaux. Lorsque la police est allée voir Brussel pour lui montrer les indices, le psychiatre a tout de suite affirmé que le coupable était d'Europe de l'est – car poser des bombes était une tactique classique au sein des groupes politiques radicaux de cette région. Ce qui faisait l'originalité de ce poseur de bombes, c'est qu'il ne souhaitait pas tuer des gens, mais simplement les terrifier. La taille de la bombe n'importait pas. C'est pour cela qu'il préférait poser des petites bombes dans des lieux publics, là où la peur créée est disproportionnée par rapport à l'attaque. Si vous y réfléchissez, c'est peu ou prou la même chose avec le terrorisme actuel. Les attaques sont souvent hasardeuses et n'ont pour seul but que de créer la peur.

Comment êtes-vous entré dans l'esprit du criminel pour votre livre ? Vous avez été quelque peu critiqué parce que vous avez tendance à le faire parler. 
Dans le livre, il y a certaines parties où je décris son raisonnement. Je devais faire très attention à ce que j'écrivais, car je ne voulais pas tomber dans la fiction. J'ai lu beaucoup d'interviews de lui après son arrestation, j'ai lu sa déposition, et je me sentais donc légitime pour parler de ce qu'il ressentait. Les gens évoquent parfois un « monologue intérieur », et c'est exactement ce que j'ai voulu faire ici. J'ai voulu exposer sa façon de penser de manière honnête.

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Pouvez-vous rappeler le profil établi par Brussel ?
Brussel a dit à la police : l'homme que vous recherchez n'a jamais eu de petite copine. Il doit vivre avec une femme plus âgée, une proche, sans doute dans les banlieues nord de la ville. Il a tendance à se disputer au boulot, et lorsque vous l'attraperez, il portera une veste à double boutonnage. Une nuit de janvier 1957, la police a investi une maison dans le Connecticut et le mec qui était à l'intérieur correspondait exactement à la description. Son nom était George Metesky.

Les avocats et les psychiatres se sont ensuite battus au sujet de la définition de la « folie ». Le juge qui présidait l'audience souhaitait qu'un procès ait lieu. Les différents psychiatres ont déclaré Metesky schizophrène paranoïde, et ont donc milité pour que le procès ne se tienne pas. Ensuite, Metesky a contracté la tuberculose et on a jugé qu'un procès pouvait clairement le tuer. On l'a enfermé dans un hôpital réservé au criminel et il y est resté pendant deux décennies, avant d'être libéré.

En lisant ce livre, j'ai été surpris d'apprendre que Metesky n'avait jamais tué personne – bien loin du terrorisme actuel.
En effet, il n'a jamais tué personne, mais ce serait probablement arrivé si la police ne l'avait pas arrêté. Au début de sa campagne destructrice, il ne souhaitait vraiment pas tuer des gens. Il fabriquait des petites bombes chez lui, de celles qui ont la puissance d'une simple grenade. Il les posait ensuite dans des lieux publics – comme une gare – mais toujours dans des endroits éloignés de la foule.  Je pense qu'il a ensuite été agacé de voir que son action était reléguée au second plan de tous les journaux. Vers 1955, il a commencé à faire tout son possible pour blesser et tuer des gens en déposant des bombes dans des cinémas. C'est pour cela que la police a réagi : le danger se rapprochait.

Est-il pertinent de comparer la situation de Metesky, un immigré isolé et malade, à celle de certains terroristes modernes ? 
Metesky est une sorte de grand-père du terrorisme. Il est né aux États-Unis, mais ses parents venaient d'Europe de l'est. Sa famille ne s'est jamais vraiment intégrée. Ça doit nous faire réfléchir quant à l'obligation d'intégrer les nouveaux immigrés.

Metesky, c'est l'histoire d'un immigré schizophrène paranoïde convaincu que le gouvernement, les médias et les multinationales conspiraient contre lui. À ses yeux, toutes ces bombes étaient une manière de lutter contre cette alliance menaçante, qui faisait tout pour détruire les travailleurs ordinaires, comme lui.

Incendiary: The Psychiatrist, the Mad Bomber and the Invention of Criminal Profiling de Michael Cannell est disponible ici

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